Walcheren, la débâcle

Auteur(s) : DELAGE Irène (trad.), HICKS Peter
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Napoléon, lors d’une conversation avec Metternich, le 22 janvier 1808 :
« Les Anglais […] c’est toujours la question des Pays-Bas qui les préoccupe… »[1]

Walcheren, la débâcle
Les Anglais abandonnent l'île de Walcheren, Charles Monnet
© RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) - Gérard Blot.jpg

Un projet récurrent chez Castlereagh

La prise de l’île de Walcheren était une idée fixe chez Castlereagh depuis 1797, date à laquelle il proposa ce projet d’expédition pour la première fois au Premier Ministre William Pitt. Selon lui, la possession de cette île permettrait le contrôle de l’Escaut, et par-là le contrôle des anciens Pays-Bas hollandais et autrichiens et de ce qui était le plus important par-dessus tout, le port de Flessingue, l’un des possibles points d’attaque vers l’Angleterre. [2] Aussi, 10 ans plus tard, alors que Castlereagh rejoignait, en avril 1807, le Cabinet britannique au poste de secrétaire d’Etat de la Guerre et des Colonies, il relança son plan. Les victoires napoléoniennes à Friedland et à Tilsit lui ont fait enterrer le projet, mais pas pour longtemps. Au cours des deux années suivantes, Castlereagh proposa de nombreux plans d’attaque dans l’Escaut.[3] En 1809, l’estuaire de l’Escaut était devenu le second plus important arsenal naval français après Toulon. Et depuis Tilsit, la marine tenait une place importante dans la guerre que Napoléon menait contre l’Angleterre. « Tout porte à penser que la guerre du continent est finie. Tous les efforts doivent se jeter du côté de la marine » écrivait l’Empereur à Decrès le 4 juillet 1807.[4] Castlereagh ne se trompait pas. Napoléon pensait bien faire d’Anvers son principal arsenal, un « point d’attaque mortel à l’ennemi », en face de l’estuaire de la Tamise.[5] L’Angleterre prenait la menace au sérieux, au point de maintenir en permanence deux escadres sur les côtes hollandaises, l’une pour prévenir une attaque, l’autre pour empêcher le passage de navires récemment construits vers d’autres ports. De son côté, Napoléon s’attendait à une attaque britannique dans cette zone (peut-être était-il au courant des intentions de Castlereagh), car, déjà en 1808, il avait fait fortifier le port d’Anvers.[6]

Provisoirement sur la touche, le plan de Castlereagh revint sur le devant de la scène, poussé par les événements du début de 1809. Le 2 janvier 1809, des espions informèrent le gouvernement britannique que le port de Flessingue abritait 10 navires français (dont 3 en construction), que 9 autres navires de ligne étaient en construction dans le port d’Anvers, et que 10 vaisseaux français désarmés étaient entrés à Flessingue. Le secrétaire d’Etat britannique entrevit la chance qu’il avait de voir se réaliser son plan.[7] Le 25 mars 1809, Sir David Dundas, récemment nommé commandant en chef de l’armée britannique, fut convoqué à une réunion du Cabinet afin de préparer une attaque immédiate des positions françaises dans l’Escaut. Dundas réussit à plaider l’impossibilité d’une aussi rapide réalisation, car l’armée n’était pas remise de sa retraite de La Corogne. Aussi Castlereagh accepta de remettre l’invasion plus tard dans l’année, recontactant Dundas en mai (le 8), et demandant des rapports sur la situation de l’armée et l’état des troupes. Dans le même temps, Castlereagh sollicita l’approbation de plusieurs hauts militaires pour ses plans d’une expédition – coup de main.[8] Tous validèrent le plan général, selon lequel les troupes remonteraient l’Escaut pour un raid sur les installations navales d’Anvers, après avoir préalablement neutralisé les batteries sur l’île de Cadsand et pris les îles voisines de Walcheren (et son port si important de Flessingue) et du Beveland du Sud (et la place clé de Batz). Cependant les militaires consultés s’accordèrent aussi à trouver l’expédition extrêmement hasardeuse, et à estimer que la rapidité et de l’énergie de son exécution en détermineraient son succès. Ces réactions mesurées atténuèrent l’enthousiasme du gouvernement et Castlereagh nota, plus tard, que seule la nouvelle du succès autrichien à Aspern-Essling (qui fut connue à Londres dans la première semaine de juin) balaya les derniers doutes du Cabinet. Les espions de Castlereagh lui avaient également apporté des informations clé : des troupes françaises stationnées aux Pays-Bas avaient été envoyées en Autriche, la garnison de Flessingue était constituée de soldats hollandais, allemands, irlandais et espagnols peu expérimentés, et une grande partie de la garnison d’Anvers avait également été envoyée en Autriche. Les troupes françaises stationnées dans la région étaient estimées au maximum à 8 400 hommes. Encouragé par ces informations, Castlereagh se mit à chercher un chef pour son expédition. Il choisit John Pitt, comte de Chatham et frère aîné de l’ancien Premier Ministre William Pitt, récemment décédé. Bien qu’il eut servi pendant la guerre d’Indépendance américaine, ainsi que lors de l’expédition anglo-russe aux Pays-Bas en 1799, John Pitt avait surtout occupé des postes administratifs ces 7 dernières années, et était notoirement connu pour être fainéant dans sa vie privée. En 1794, l’opinion public s’élevant contre la paresse du dernier, Pitt le jeune s’était vu obligé d’écarter son frère aîné de son poste de Premier Lord de l’Amirauté. Aussi, cette nomination de 1809 était si étonnante que les historiens la considérèrent comme le fruit de manœuvres politiques. Cependant, John Pitt avait, pour sa défense, le soutien total de Castlereagh et du Roi.

Robert Stewart, vicomte Castlereagh, 2e marquis de Londonderry<br>atelier de Sir Thomas Lawrence ©National Trust Images - John Hammond
Robert Stewart, vicomte Castlereagh, 2e marquis de Londonderry
atelier de Sir Thomas Lawrence ©National Trust Images – John Hammond

Le 22 juin, Castlereagh reçut l’accord du Roi pour lancer l’expédition. Le même jour, Dundas l’informait que 35 000 soldats d’infanterie et 1 900 cavaliers étaient prêts à embarquer. Le 9 juin, le vice-amiral Sir Richard Strachan avait été chargé de diriger les opérations maritimes. Il possédait un caractère à l’opposé de celui de Chatham, c’était « un homme irrégulier et impétueux, possédant une sagacité et un bon sens hors du commun ». [9] Strachan était aussi appelé affectueusement par ses homme « Mad Dick » (Richard le fou) car il perdait parfois son calme et jurait alors sans retenue. Ces deux hommes, aux caractères aussi opposés que possible, se retrouvèrent donc à la tête de la plus importante force expéditionnaire britannique jamais montée, composée de 618 navires, dont 352 pour le transport et 266 vaisseaux de guerre.[10].

Une diversion en faveur de l’Autriche ?

L’expédition de Walcheren fut parfois considérée comme une diversion entreprise par les Britanniques pour soutenir les Autrichiens dans la campagne de Wagram.[11] Il est vrai que l’Autriche sollicita un soutien financier, en octobre 1808 et en avril 1809.[12]. Mais Canning méprisa la première demande. C’était la plus importante demande de subsides que l’Angleterre avait jamais reçue, et il la rejeta, arguant que cela était largement au dessus des moyens de l’Angleterre.[13] La seconde requête, portée par les envoyés autrichiens, le Feld-maréchal Graf Ludwig von Wallmoden et le Lieutenant August Wagner, était d’un autre genre. L’Autriche sollicitait moins d’argent [14] mais demandait également la conduite d’une attaque de diversion : soit dans l’Italie du Sud (pour soutenir l’archiduc Jean), soit en Espagne ou dans le Nord de l’Allemagne. La réaction britannique envers les sollicitations autrichiennes fut pour le moins peu enthousiaste. Un chargé britannique fut envoyé à Vienne, mais il ne s’agissait que d’un jeune diplomate neurasthénique (et parent éloigné du comte Bathurst) qui n’arriva pas à Vienne avant la fin du mois d’avril (avant l’arrivée à Londres du second envoyé autrichien, et après le début de l’invasion autrichienne en Bavière). Par ailleurs, l’Autriche n’était pas seule à solliciter les Britanniques. A la même époque, un envoyé prussien, Ludwig von Kleist, demandait à Canning de livrer secrètement des armes à Heligoland pour soutenir le soulèvement d’une insurrection prussienne, et de verser diligemment £50 000 livres pour les dépenses immédiates.[15] La réponse de Canning à l’Autriche (au début d’avril) fut d’envoyer £250 000 en argent dans un port autrichien de l’Adriatique, de faire déposer à Malte un fonds spécial de £0,75 million à £1 million à l’usage de l’Autriche, et de décliner toute assistance à une attaque de diversion en Allemagne. En ce qui concerne le plan prussien, le principe d’une livraison d’armes à Heligoland était accepté et von Kleist devait recevoir £20 000 sous la forme d’une lettre de crédit. Quand le prince autrichien Louis de Starhemberg arriva à Londres, en mai, pour faire pression, notamment en insistant sur l’attaque en Allemagne, le plan de Castlereagh était très avancé et presque accepté par le Cabinet ; en, effet, Castlereagh avait déjà choisi le chef de son expédition dès le 18 mai 1809. Par la suite, les hommes politiques et diplomates britanniques présentèrent l’expédition de l’Escaut à l’Autriche (et aux historiens) comme une diversion, son premier objectif ayant été la sécurité nationale, en bloquant l’expansion navale française dans cette zone, comme nous allons le voir.

L’estuaire de l’Escaut

Walcheren est la première et la plus importante île dans l’estuaire de l’Escaut. Elle abritait le port le plus grand, Flessingue, et gardait l’accès privilégié aux installations navales d’Anvers. Importante pour la construction des navires, c’était aussi une île dont la position stratégique était déterminante (comme en 1944), en étant l’île la plus proche et située à l’exact opposé de l’estuaire de la Tamise. Dans sa partie ouest, l’Escaut était traversé de bancs de sable sur 50 kilomètres vers Anvers entre l’île de Cadsand (vers le sud, rive gauche) et le Beveland du Sud (vers le nord, rive droite) ; sur ces îles s’érigeaient des batteries (à Breskens, en aval, sur la première et à Batz, en amont, sur la deuxième). Sur les deux côtés de l’Escaut en amont de Batz en allant vers Anvers il y avait d’avantage de batteries défensives, à Lillo, La Croix et St Philippe sur la rive ouest, et à Liefkenshoek, Isabelle, La Perle, St Marie et Tête de Flandre sur la rive est. Un barrage défensif avait été construit entre les forts de Lillo et de Liefkenshoek. Si ces nombreuses défenses pouvaient impressionner, en réalité les constructions étaient anciennes et mal entretenues. Plusieurs affûts allaient s’effondrer lors des premiers tirs. Et le barrage allait se briser à chaque changement de marée.

Le lancement de l’expédition

Le plan britannique était le suivant. Après avoir pris et occupé Walcheren et le port de Flessingue, la flotte continuerait à remonter l’Escaut pour attaquer les installations navales d’Anvers. Une « grande division » (l’aile gauche) devait prendre Walcheren. Le reste de l’armée devait prendre le contrôle du Beveland Sud et du fort de Batz, pendant qu’une « Seconde division » était chargée de prendre Cadsand. La « grande division » commandée par Sir Eyre Coote, comprenait la Première division du Maj. Gen. Sir Thomas Graham, la 4e Division du Lt. Gen. Mackenzie Fraser, et l’infanterie légère sous les ordres du Lt. Gen. Lord Paget, et totalisait 12 668 officiers et soldats. 37 vaisseaux de guerre transportaient ces troupes, sous le commandement de l’amiral Amelius Lord Beauclerk. La réserve était dirigée par Sir John Hope et la Seconde division par George Gordon, marquis d’Huntley. Environ 9 000 hommes (parmi lesquels ceux de la division légère du comte de Rosslyn et de la 3e division du Lt. Gen. Thomas Grosvenor), complétés de la cavalerie et de l’intendance, devaient être convoyés dans un deuxième temps.

Plan figuratif de la Grande Expédition, John Heaviside Clark<br>d'après James Pattison Cockburn © British Museum
Plan figuratif de la Grande Expédition (à l’horizon, les Français gardant anvers), John Heaviside Clark
d’après James Pattison Cockburn © British Museum

Après l’arrivée de la flotte le 27 juillet, le premier débarquement sur l’île de Walcheren se déroula avec succès le 30 – il y eut cependant quelques hésitations dans le sud et la prise de Cadsand fut abandonnée après une mauvaise communication entre les généraux britanniques. Les troupes napoléoniennes envoyées pour repousser tout débarquement étaient composées de différentes troupes (trois bataillons Irlandais, Coloniaux et Prussiens, au nombre total de 1 200), conduites par le commandant en second des forces françaises de l’île, le Général Pierre-Jacques Osten. Les troupes britanniques balayèrent toute résistance, occupant rapidement toutes les places majeures de l’île et menaçant Flessingue le 1er août. Les troupes de réserve de Hope débarquèrent dans le Beveland du Sud le 1er août, découvrant le 2 que les forces hollandaises du Général Stewart Bruce leur avaient encloué les canons et quitté la forteresse stratégique de Batz sans combattre. Fortement critiqué pour sa réaction peu vigoureuse, Bruce fut arrêté et emprisonné après un procès (sur les ordres d’un Napoléon courroucé) qui se tint le 8 juillet 1810.[16] La prise de Batz donnait aux Britanniques une bonne base d’action pour le coup de main sur Anvers. Cependant, dans le même temps, la flotte française (sous les ordres de Missiessy) s’était mise en route vers Anvers et s’installa derrière le barrage.

C’est alors que tout ce qui avait été jusqu’ici une réussite allait être dévasté. Paris apprit la nouvelle de l’expédition britannique le 30 juillet, et à compter de ce jour, des forces françaises furent mobilisées avec célérité et efficacité, en provenance de Saint-Omer, Ecloo, Bruxelles et Louvain, la plupart pour être envoyées à Cadsand, l’île que les forces britanniques avaient hésité à prendre,[17] idéalement placée à l’embouchure de l’Escaut pour tirer sur les bateaux et maintenir un lien entre Flessingue et le reste de la région en cas d’encerclement de cette dernière. Au cours des dix premiers jours d’août, les troupes françaises affluèrent pour arriver à rassembler 15 399 hommes sur la rive droite et 20 883 sur la gauche. Au cours de ces dix jours cruciaux, les Anglais perdirent alors l’initiative, en faisant le choix de se concentrer pour assiéger Flessingue, le dernier obstacle au contrôle total de l’embouchure de l’Escaut.

Chatham et Strachan se rencontrèrent le 6 août pour définir la poursuite de l’expédition, mais les deux hommes commençaient à douter de la réussite de l’objectif principal de l’expédition. Strachan écrivait dès le 5, au sujet des renforts français : « Je crains qu’il ne soit plus possible d’atteindre Anvers ».[18] Un rapport anglais de Sir Home Popham, destiné à Chatham, estimait qu’avec de tels renforts dirigés par le maréchal Lefebvre à Anvers, l’expédition britannique devrait se satisfaire de la prise de Flessingue et abandonner la part la plus risquée du plan originel, c’est-à-dire la prise d’Anvers. Cet avis semble avoir été crucial pour Chatham dans la poursuite de la campagne.

Flessingue fut assiégée du 13 au 15 août, jusqu’à la capitulation de l’officier commandant la place, Monnet. Ce dernier avait bien tenté de gêner / de bloquer les assiégeants en coupant les digues et ainsi en inondant la zone occupée par eux, mais il ne put résister plus de 38 heures au bombardement, ce qui provoqua la colère de Napoléon qui considérait, alors, la place imprenable.[19]

Le bombardement de Flessingue, 13-14 août 1809, Jan Anthonie Langendijk © Royakl Collection Trust
Le bombardement de Flessingue, 13-14 août 1809, Jan Anthonie Langendijk © Royakl Collection Trust

Cependant, Monnet avait perdu près du tiers de ses hommes[20], morts, capturés, blessés ou déserteurs, et la ville avait souffert énormément : en investissant la ville les forces britanniques furent impressionnés par l’ampleur des destructions. Chatham rejoignit son quartier général dans le Beveland du Sud avec pour objectif de poursuivre l’expédition. Les contemporains remarquèrent cependant qu’il ne se montrait pas pressé d’en finir. « Après trois jours perdus à Walcheren pour la cérémonie de dépôt des armes, nota Frederick William Trench, l’intendant général de Sir John Hope, il arriva à Ter Goes […]. Il alla jusqu’à Schore [c’est-à-dire à cinq miles en direction de Batz]… pour parler avec Sir John Hope [… et] revint à Ter Goes pour le dîner ! Hier [c’est-à-dire, 23 août], vers 12h., il partit, précédé d’un convoi de charriots, dont le premier transportait une tortue vivante ; il monta un cheval frais à Schore, mais n’alla pas plus loin que Crabbendyke [à cinq miles de Schore], alors que Batz n’était plus qu’à 7 miles… Cette apathie était si extraordinaire que je ne pus que penser qu’il était dans l’attente d’ordre d’Angleterre. »[21] Finalement, il attint Batz le 24 août. A supposer que les troupes du général Graham soient arrivées dans le même temps, l’attaque d’Anvers pouvait être lancée. Les jours suivants, Bernadotte fut informé que les Britanniques étaient sur le point de lancer leur opération et entreprit avec détermination de préparer la défense et de concentrer ses forces. Cependant les Britanniques ne furent pas aussi énergiques. Après une reconnaissance initiale, Chatham, Strachan, Sir Richard Keats et les lieutenants généraux de l’armée se réunirent, et ils conclurent que face à de tels dangers ils devaient passer à l’action. Ils décidèrent de… se réunir une nouvelle fois le lendemain, avant de prévenir Londres qu’ils n’iraient pas à Anvers.

La fièvre à Walcheren

Dans ce contexte de léthargie et d’extrême prudence survint un problème de santé. Walcheren était connu pour son insalubrité. Napoléon lui-même était au courant, escomptant que dans l’attente de l’attaque, l’armée britannique serait finalement décimée par la maladie.[22] Chatham n’avait pas pris de précautions particulières pour le campement de ses troupes sur les sols marécageux, et l’inondation par Monnet de la région aux alentours de Flessingue n’était pas faite pour arranger une situation déjà difficile. Aussi, quand Chatham tourna son attention vers Anvers (vers le 27 août), 3 467 de ses hommes étaient malades, souffrant de malaria, typhus ou de fièvre typhoïde, et le nombre augmentait chaque heure. Très vite, le service de santé (insuffisant dès le début) fut dépassé. Le 27, le général Brownrigg informa les commandants de ces difficultés contrecarrant la poursuite de l’expédition, sans compter la présence de 37 000 Français et Hollandais entre Bergen-op-Zoom et Anvers. De l’état des lieux dressés par Brownrigg, les lieutenants généraux conclurent que « le siège d’Anvers s’avérait impossible. » Ce constat marqua la fin de l’expédition.

The winding up of the medical report of the Walcheren expedition<br>(La conclusion du rapport médical de l'expédition de Walcheren)<br> Thomas Rowlandson © British Museum
Caricature : The winding up of the medical report of the Walcheren Expedition
(La conclusion du rapport médical de l’expédition de Walcheren)
Thomas Rowlandson © British Museum

Castlereagh informé, Chatham s’occupa du retour des troupes du Beveland du Sud vers Walcheren. Les relations entre Chatham et Strachan atteignirent un point de non retour, Strachan voulant, lui, poursuivre l’expédition. Ce fut seulement le 31 août que Strachan abandonna tout espoir d’une attaque et dut désormais s’occuper de l’évacuation de l’armée vers Walcheren, puis en Grande-Bretagne. Après consultation, le Cabinet autorisa Chatham à faire revenir une partie de ses troupes en Angleterre. L’évacuation vers Walcheren et Flessingue prit fin le 6 septembre, et le 14 septembre et les 2 jours suivants près de 11 000 soldats, malades et valides, voguaient vers l’Angleterre. 16 766 hommes restèrent en garnison à Flessingue sous les ordres de Sir Eyre Coote.[23] Au 18 septembre, près de la moitié de ces hommes étaient tombés malades et 309 étaient décédés la semaine précédente. Les semaines suivantes, la maladie continua à progresser pour toucher plus de 1 500 hommes. Enfin elle progressait si vite que Cote écrivit à Castlereagh qu’il ne pouvait plus garantir Flessingue. Sur les 40 000 hommes qui avaient embarqué en juillet, seuls 4 500 restaient valides en octobre, et en février 1810, 11 500 hommes étaient encore malades à l’hôpital, et 4 000 étaient décédés. L’évacuation fut terminée le 23 décembre protégée par des vaisseaux britanniques stationnés au nord et au sud de Walcheren, tandis que les troupes françaises s’approchaient de plus en plus.

La chute de Castlereagh et l’enquête parlementaire

A Londres, il devint clair à la mi-août que l’expédition tournait à l’échec. Le premier article évoquant les dissensions entre les deux chefs à la tête de l’expédition parut dans la presse le 14 août, et le point d’orgue fut atteint début septembre quand le Times qualifia l’expédition de désastre national et blâma de manière générale Chatham, mais aussi plus particulièrement pour la désastreuse et meurtrière retraite. Les caricatures et les pamphlets enflammèrent alors la presse. L’on s’empara de l’histoire de Chatham et de sa tortue, et une caricature publiée dans le Journal du commerce (publié à Gand) montrait le commandant en chef conduisant une voiture tirée par deux tortues et de six escargots, en criant « Pas si vite ! » Mais Chatham n’était pas la seule cible des critiques. Tous ceux qui furent impliqués dans l’expédition se retrouvèrent pris sous le feu des attaques, particulièrement le service de santé qui ne sut pas anticiper les risques d’épidémie dans une région connue pour son insalubrité. C’est dans ce contexte que la rumeur d’une dissolution du Cabinet fit l’effet d’une bombe. Canning manœuvrait pour le départ de Castlereagh du Cabinet depuis avril 1809. A cette époque il avait rencontré Portland et menacé de sa démission. Dans la discussion qui s’ensuivit, Canning suggéra la constitution d’un nouveau Cabinet, dans lequel Chatham serait Premier Ministre et Wellesley remplacerait Castlereagh au ministère de la Guerre. Portland soutenait cette idée mais, alors que l’année passait, hésitait toujours à passer à l’acte. Peu à peu, tous les membres du Cabinet (à l’exception de Castlereagh lui-même) apprirent l’imminence du remaniement. Les choses se précipitèrent avec l’attaque de paralysie qui toucha Portland le 11 août – après quoi le Roi demanda à Bathurst et Liverpool de rechercher un nouveau leader. Perceval suggéra à Canning qu’on devait choisir un pair pour agir en chef de file, mais depuis que Canning considérait qu’il était lui-même le seul candidat possible, cette idée fut rejetée. En revanche, Perceval craignait que la nomination de Canning à la tête du gouvernement ne provoque sa chute. Et, alors que les critiques sur l’expédition de Walcheren étaient au plus fort, et que Portland s’était résolu, le 6 septembre, au départ de Castlereagh, le Cabinet prit fin avec la démission de Canning le 7, puis celle de Castlereagh le lendemain (et ce, seulement en prenant conscience de l’étendue de la cabale contre lui). Le 19 septembre, les deux hommes s’affrontèrent en duel, au cours duquel Canning fut blessé à la cuisse. La nouvelle administration conduite par Perceval, qui incluait aussi l’arrogant frère aîné de Wellington, le marquis de Wellesley[24], dut faire face à une enquête sur l’échec de l’expédition de Walcheren, après un vote à la Maison des Communes (195 contre 186, Perceval et Canning s’impliquant avec force pour le vote contre, et Castlereagh soutenant la motion).

John Pitt, 2e comte de Chatham, par Charles Turner, d'après John Hoppner © National Portrait Gallery
John Pitt, 2e comte de Chatham, par Charles Turner, d’après John Hoppner © National Portrait Gallery

L’enquête fut conduite en comité à la Maison des Communes, en février et mars 1810. Dans un premier temps, la responsabilité du gouvernement ne fut pas mise en avant. Castlereagh s’expliqua brillamment. Il défendit le fait que l’expédition devait être une opération brève, qui devait offrir une diversion en faveur de l’Autriche et renforcer considérablement la sécurité des îles britanniques. En revanche, il ne fut guère un soutien pour Chatham, déclarant que toute l’organisation militaire était du fait de Chatham lui-même. Il déclina toute responsabilité dans la décision, très critiquée alors, de Chatham d’inclure une cavalerie nombreuse et une ordonnance lourde et encombrante dans ce qui devait être un raid commando. L’opposition trouva que Chatham avait violé l’accord constitutionnel en soumettant son rapport sur l’expédition au roi seul et en privé. Tout ceci faillit provoquer la chute du nouveau gouvernement, et seule la démission de Chatham (consentie après une violente harangue du marquis Wellesley) le sauva. Castlereagh s’échappa à d’avantage de punition. Bien qu’il fut également considéré comme responsable de la débâcle, il était déjà en disgrâce et donc ne pouvait souffrir plus. En ce qui concernait les autres votes sur sa responsabilité, le gouvernement (honteusement) s’échappa belle sans devoir avoir recours à l’aide de l’Opposition, le parlement concluant donc qu’aucun ministre, chef militaire ou chef de la marine ne pouvait être tenu pour responsable. Face à ce blanchissement total, le Times estima avec amertume que « si l’expédition de Walcheren [pouvait] passer sans être marquée par la censure générale, alors toute calamité [pouvait] arriver sans que la nation puisse être entendue. » [25]

Chatham n’était pas Wellington, ni Strachan, Nelson. En dépit de la destruction du port de Flessingue et des 50 millions de francs de dommages causés aux Français, la Grande-Bretagne a finalement échoué là où elle était sur le point de réussir, perdant 1 million de livres (25 millions de francs de l’époque), 4 000 hommes, morts, et 1 200 autres, blessés. L’expédition de Walcheren était une débâcle incontestable !

Peter Hicks, avril 2009

Notes

[1] Clément Metternich, Mémoires : documents et écrits divers / laissés par le prince de Metternich,…; publiés par son fils, le prince Richard de Metternich, classés et réunis par M.A. de Klinkowstroem, Paris : E. Plon, 1881-1884., t. 2, p. 153.
[2] Robert Stewart, Viscount Castlereagh, Correspondence, Despatches and other Papers of Viscount Castlereagh, “Letter prepared for William Pitt”, 25 December, 1797, vol. 6, p. 303. Pour une histoire complète de l’expédition de Walcheren, voir Gordon C. Bond, The grand expedition: the British invasion of Holland in 1809, Athens [Ga.]: University of Georgia Press, 1979.
[3] Robert Stewart, Viscount Castlereagh, op. cit., “Memorandum for the consideration of the Cabinet, respecting an Expedition to Walcheren”, s. d., vol. 6, p. 247-256.
[4] Correspondance publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III. – : Paris, Imprimerie Impériale 1858, No. 12,848.
[5] Pour un exemple des efforts commandés par Napoléon pour augmenter les capacités navales d’Anvers, voir « Correspondance », No. 13532 : 7 février 1808, « mon intention est […] qu’il y ait à Anvers, au lieu de neuf vaisseaux, dix-huit vaisseaux, et quatre frégates sur le chantier… ».
[6] Lettre de Napoléon à Clarke, 26 mars 1808, Archives nationales, AFIV 875, mar08, n°186.
[7] Gordon Bond, op. cit., p. 11.
[8] Lt Col. J.H. Gordon, secrétaire du commandant en chef, Sir John Alexander Hope, officier des Horse Guards, Lt Gen. Robert Brownrigg, intendant général de l’armée (Quartermaster general), Maj. Gen. Harry Calvet et naturellement le chef de l’armée Sir David Dundas.
[9] Thomas Creevey, The Creevey papers: a selection from the correspondence & diaries of Thomas Creevey, publié par  Sir Herbert Maxwell, London: Murray, 1904, vol. 1, p. 95, Lettre du Capitaine Graham Moore (frère de Sir John) à Creevey, en date du 19 septembre 1809.
[10] British National Archives, Chatham Papers, 30/8/206 “Abstract of Ships under the command of Sir Richard Strachan”, publié dans Gordon Bond, op. cit., Appendix B, p. 172.
[11]  Voir C. J. Bartlett, Castlereagh, New York : Scribner, 1966, p. 80-87, Rory Muir, Britain and the defeat of Napoleon, 1807-1815, London and New Haven : Yale University Press, 1996, p.89-90. Mais voir John H. Gill, 1809 Thunder on the Danube: Napoleon’s defeat of the Habsburgs. Volume I, London: Frontline books, 2008, p. 23-28 et Paul W. Schroeder, The transformation of European politics 1763-1848, Oxford: Clarendon Press, 2003, p. 358-361.
[12] Ils proposaient de mobiliser 400 000 hommes s’ils recevaient £7.5 (dont 2.5 d’avance). “Communication from the Austrian Government”, 11 octobre 1808, British National Archives FO 7/89, cited in John M. Sherwig, Guineas and Gunpowder: British and Foreign Aid in the War with France, 1793-1815, Cambridge, Mass.: Harvard UP, 1969, p. 208 n. 74.
[13] British National Archives, FO 7/89, Sherwig, op. cit., p. 208, n. 75.
[14] 443 000 hommes et des subsides pour un montant de £2.5 millions d’avance, et £400 000 quelques mois plus tard.
[15] John M. Sherwig, op. cit., p. 209.
[16] Il retrouva son grade avec la restauration de la maison d’Orange, voir Bond, op. cit., p. 189 n. 38.
[17] En partie à cause de vents défavorables.
[18] Voir dans Bond, op. cit., p. 90.
[19] Le 25 novembre 1809, Monnet fut inculpé, par une cour d’enquête (alors qu’il était prisonnier en Angleterre) de lâcheté et de trahison pour ne pas avoir tenu plus longtemps la place. Il ne revint en France qu’en mai 1814, et a été fait baron par Louis XVIII.
[20] Voir Bond, op.cit., p. 106.
[21] Frederick William Trench “Journal 1809-1813”, National Army Museum, London, Personal Papers, No. 6807-261, pp. 65-66, rapporté dans Bond, op. cit., 112-3.
[22] Napoléon à Clarke, letter du 22 août 1809, Correspondance, No. 15,689.
[23] Voir T. H. McGuffie, “The Walcheren Expedition and the Walcheren Fever”, in The English Historical Review, Vol. 62, No. 243 (Apr., 1947), p. 191-202.
[24] Sollicité pour faire parti du gouvernement, le Marquis Wellesley (d’après The Morning Chronicle (London, England), mardi 19 décembre 1809; Issue 12670) accepta à la condition de ne pas avoir à défendre cette “indigeste, non-politique et fatale décision” [c’est-à-dire l’expédition de Walcheren].
[25] 5 avril 1810, rapporté dans Bond, op. cit., p. 158.

Titre de revue :
Inédit
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Mois de publication :
avril
Année de publication :
2009
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