Winterhalter. Un peintre impérial, royal, académique

Auteur(s) : BURLION Emmanuel
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Introduction

Le récent bicentenaire de sa naissance (1805) est l'occasion de revenir sur l'oeuvre de Winterhalter. Mais qui se cache derrière toutes ces personnalités peintes ? Quel fut cet artiste prolixe dont la plupart des grands hommes politiques (ou des femmes) du XIXe siècle cherchèrent à capter les pinceaux talentueux et complaisants ?

Sous la protection du duc de Bade

À treize ans, Franz-Xaver est envoyé comme apprenti dans l'atelier de gravure de Karl Ludwig von Schüler à Fribourg-en-Brisgau. L'année suivante, il réalise une série de gravures pour la maison d'édition Herder, et commence à montrer un certain talent pour le dessin. Il a dix-huit ans quand il décide de se rendre à Munich, pour poursuivre sa formation à l'Institut lithographique du peintre Piloty. Il semble que ce soit à la même époque qu'il rencontre le peintre et miniaturiste Joseph Stieler qui lui donne des conseils. C'est sans doute aussi grâce à l'appui de Stieler que Winterhalter se fait connaître du duc de Bade. Ainsi, à partir de 1825, ce dernier lui commande des portraits ; celui de sa femme, Sophie Guillemette de Bade, est aujourd'hui conservé au Cleveland Museum of Art.

Comme tous les jeunes peintres qui veulent montrer leurs talents artistiques, le voyage en Italie s'impose en 1832. Il brigue alors le prix de Rome qui récompense un paysage historique souvent inspiré de l'Antiquité. C'est dans cette période qu'il réalise le plus de scènes de genre. Citons la Jeune Italienne au tambourin (1834), ou encore la Bergère dans sa contrée. Ce tableau, que l'on pourrait intituler aussi Jeune villageoise tenant un bouc par les cornes, a été vendu en 2002 dans une vente aux enchères à Hambourg (Ketterer Kunst). D'après ce qu'on en sait, il aurait été donné par Winterhalter à un jeune employé de son atelier à Paris en 1855 ou 1856. Jusqu'à sa vente, cette oeuvre est restée dans la famille de ce jeune Suisse.
En 1834, Winterhalter retourne dans sa patrie et devient officiellement le peintre de la cour du duc de Bade, Léopold Ier. Toutefois, l'attraction que représente de Paris est trop grande.

Paris, capitale des arts

C'est en 1835, qu'il expose des scènes de genre et un portrait de femme au Salon à Paris. Un an plus tard suit Il Dolce Farniente, d'inspiration italienne. C'est en exposant Le Décaméron en 1837 qu'il se signale auprès de la bourgeoisie et des notables parisiens. Sur la recommandation de la cour de Belgique, le roi Louis-Philippe lui commande une série de grands portraits. Toute la famille d'Orléans défile devant le peintre, une fidélité récompensée par la Légion d'honneur en 1839. Vite dépassé par son succès, par les commandes qui s'enchaînent, son frère Hermann le rejoint pour l'aider dans son atelier à partir de 1840.

Le Tout-Paris va à son tour poser devant le peintre. Dans un premier temps, des personnes proches du roi. Le prince de Wagram, fils du maréchal Berthier, qui deviendra sénateur en 1852, est représenté assis avec sa fille Malcy-Louise-Caroline-Frédérique. Le comte de Montalivet, ministre de l'Intérieur en 1830, puis ministre de l'Instruction publique et des Cultes, mais aussi Charles Marie Tanneguy, comte Duchâtel, député de la Charente-Inférieure en 1833, puis ministre, ont droit à leur portrait. Enfin, le maréchal Sebastiani (1772-1851), plusieurs fois ministre, est représenté devant la mosquée Sainte-Sophie de Constantinople. Winterhalter a aussi les faveurs des barons des finances, tel Akermann, régent de la Banque de France sous Napoléon III (aujourd'hui dans une collection privée). Wild signale le portrait de Mme Schickler : sans doute s'agit-il de la femme du baron Fernand de Schickler, banquier prussien, alors l'une des plus grandes figures du protestantisme en France. Ernest André, riche banquier et père d'Édouard André, officier de la garde impériale auront à leur tour leurs beaux portraits par l'artiste. Le monde du spectacle n'est pas non plus oublié, à commencer par Frédéric Chopin, la soprano Adelina Patti, la poétesse Louise Colet, ou Anna Thillion, cantatrice à l'Opéra Comique…

Mais avec la Révolution de 1848, les commandes se raréfient en France : Winterhalter se rend à Bruxelles et Londres.

Londres, l’orgueil de la monarchie

En Grande-Bretagne, la diffusion de l'image du souverain a toujours été essentielle pour asseoir son pouvoir. La reine Victoria commande au peintre pas moins de cent cinquante toiles représentant les différents membres de la famille royale. Copiées ensuite par les élèves du peintre, ces oeuvres garniront les murs des résidences officielles et des ambassades. C'est sans doute en peignant les enfants royaux que Winterhalter réussit à émouvoir le plus son public. Le portrait du Prince de Galles en tenue de marin (1846), encore statique, souligne un regard captivant. Le paysage maritime, en arrière-plan, paraît cependant artificiel (évidemment, le petit prince n'a jamais posé devant le rivage, puisque selon les règles académiques, toute composition est peinte à l'intérieur, puis terminée en atelier). Souvent, Winterhalter fait appel à un deuxième peintre pour créer le décor, tandis qu'un troisième est quelquefois sollicité pour reproduire les vêtements.

Ces portraits officiels, surtout, sont diffusés grâce aux lithographies de Thomas Fairland en Grande-Bretagne ou alors par Léon Noël, Achille Lefêvre et de Grévedon en France.

Le portrait de la duchesse de Sutherland reste l'un des rares portraits qui admet au second plan un décor travaillé (il s'agit sans doute de l'intérieur de sa propriété en Écosse). En charge de la Garde-Robe à la cour, celle-ci se prononça en faveur de l'émancipation des esclaves d'Amérique après avoir lu La Case de l'Oncle Tom d'Harriet Beecher Stowe.

La France de nouveau stable d'un point de vue politique, l'artiste rejoint Paris.

Le peintre de l’Impératrice

C'est sous le Second Empire, que l'artiste va connaître son heure de gloire. C'est sans doute le comte de Nieuwerkerke, surintendant des beaux-arts, qui le fait connaître à la cour des Tuileries. L'Impératrice est immédiatement séduite par cette peinture lisse et lumineuse. Elle fait de Winterhalter son portraitiste officiel. Nous connaissons au moins neuf toiles représentant Eugénie.

Le premier tableau est un portrait officiel, très académique voire emphatique, car présentant les emblèmes de l'Impératrice. Celle-ci est coiffée du fameux diadème aujourd'hui conservé au musée du Louvre, serti de 212 perles et de 2 000 diamants. La couronne repose sur un coussin, à sa droite. En arrière-plan, se détache un décor représentant probablement le jardin des Tuileries.

Un second portrait la présente cette fois en tenue de soirée. Notons le contraste évident entre les couleurs froides de la robe et le rideau de velours rouge : ce procédé, fréquemment utilisé pour que le sujet se détache de la toile, trouve ici une force toute particulière.

Un troisième évoque une soirée déguisée. Pour l'occasion, l'Impératrice porte un costume du XVIIIe siècle, qui n'est pas sans rappeler son admiration pour Marie-Antoinette et son temps.

Un quatrième (Washington, Hillwood Museum) présente l'impératrice avec une pose plus souple, tenant dans sa main une guirlande de fleurs.

Toutefois, le tableau reflétant le mieux le caractère de l'Impératrice est incontestablement celui où elle tient sur ses genoux le prince impérial. Une grande tendresse maternelle émane de cette oeuvre. L'Impératrice Eugénie, inquiète du sort du régime, présente l'unique héritier du trône par sa main droite. L'enfant porte la grand-croix de la Légion d'honneur. Eugénie porte une robe d'hiver, ornée de fourrure, tandis que l'enfant est en tenue d'été. Sur le front du prince, la mèche rebelle rappelle la coiffure du fondateur de la dynastie, l'empereur Napoléon Ier.
Le peintre réalise également deux portraits de Napoléon III, mais c'est celui qui le représente en tenue civile (Musée national du château de Compiègne), qui est le plus achevé. Les tons verts du bosquet apaisent l'atmosphère (voir 4e de couverture). La figure de l'Empereur apparaît plus intéressante que sur le portrait officiel.

La soeur de l'Impératrice, Paca, pose aussi à son tour. Proche de Mérimée, elle s'était mariée en 1844 avec le duc d'Albe. Elle adopte à son tour une pose peu conventionnelle, comme langoureusement allongée sur quelques coussins.

La cour des Tuileries

On le sait, les dames d'honneur de l'Impératrice ont été immortalisées dans la fameuse scène intitulée L'Impératrice Eugénie entourée par ses dames d'honneur (1855) (p. 53). Ce grand tableau, conservé également à Compiègne, réunit : la princesse d'Essling, première dame d'honneur et fille du duc de Rivoli, selon la comtesse Marie des Garets, « ses révérences, ses moindres propos, tout portait la marque de la dignité de sa fonction. [C'était une] femme irréprochable, ne se mêlant à aucune intrigue […] » ; la baronne de Pierres, épouse de l'écuyer de l'Impératrice ; la duchesse de Bassano, qui avait épousé le grand chambellan de l'Empereur ; la comtesse Lezay–Marnésia, dame honoraire du palais ; la marquise de Montebello, dont la grand-mère fut l'une des dames d'honneur de Marie-Antoinette ; la baronne Nathalie de Malaret petite-fille du prince Rostopchine ; Claire-Émilie Mac-Donel, vicomtesse Aguado et seconde marquise de Las Marismas, qui avait épousé le petit-fils d'Alexandre Aguado, financier des guerres du roi Ferdinand VII d'Espagne ; enfin, la marquise de La Tour-Maubourg, petite-fille du maréchal Mortier.

D'autres dames succombent aux talents du peintre, qui avait l'art et la manière de camoufler le moindre défaut quand cela était nécessaire. La duchesse de Mouchy, princesse Anna Murat, qui épousera en 1865 Juste-Léon-Marie de Noailles (à son mariage, elle eut le privilège de porter la robe de mariée de l'Impératrice Eugénie) fait appel à Winterhalter pour la représenter.

Le peintre semble représenter la comtesse de Pourtalès à la manière de Greuze, tant les tons sont clairs et lumineux. Née Mélanie Renouard de Bussierre (1836-1914), mariée à Edmond de Pourtalès, elle compte parmi les intimes de l'Impératrice. Elle fera de son château de la Robertsau, à Strasbourg, le symbole de la lutte contre l'impérialisme prussien et un centre très remarqué de la vie mondaine. La baronne de Stoeckel, dira d'elle : « Elle était grande et mince avec une silhouette parfaite. Ses cheveux étaient blonds comme les blés, ses yeux d'un bleu pareil au manteau de la Vierge […]. Incontestablement, Mélanie de Pourtalès était l'une des plus jolies femmes de cette époque […] ».

Les critiques sont sévères envers le portrait de la princesse de Metternich, née Pauline Sandor (1836-1921), qui avait épousé en 1856, le diplomate autrichien Richard-Clément-Joseph-Lothaire-Hermann prince de Metternich-Winneburg. Il est vrai que ses contemporains, sous les pinceaux favorables de Winterhalter, la reconnaissent à peine.

La clientèle russe

Très vite, un public plus nombreux va montrer un intérêt grandissant pour ces portraits proches des travaux photographiques, pour ces tableaux qui figent le sujet pour l'éternité. Ce sont les Russes de Paris qui contribuent à faire connaître Winterhalter à travers l'Europe. Et en particulier la duchesse Sophie de Morny, belle-soeur de Napoléon III, née Troubetskoï, qui s'était fait peindre trois fois par l'artiste (le duc semble en revanche peu goûter ses compositions). Parmi les plus célèbres portraits figure incontestablement celui de la tante du compositeur Rimsky-Korsakov (Paris, musée d'Orsay) (p. 48). Varvara Rimsky-Korsakov avait quitté Saint-Pétersbourg pour la cour de Napoléon III. Extravagante, elle ne perdait jamais une occasion de se faire remarquer, au grand dam de l'Impératrice Eugénie. Parmi l'entourage de l'impératrice Marie-Alexandrovna, Pierre Chouvalov (1819-1900), alors chambellan à la cour de Nicolas Ier, commande à Winterhalter les portraits de son épouse Sofia Lvovna Naryshkin ainsi que de ses quatre enfants. Son frère, le comte André Chouvalov, grand-maréchal à Saint-Pétersbourg, rencontre également l'artiste. Le musée de l'Ermitage conserve aussi le portrait de la Comtesse Olga Esperovna Chouvalov qui s'était mariée avec Paul Chouvalov, général d'infanterie.
En Pologne, c'est cette fois la famille Potocki qui obtient les faveurs du peintre. Le musée national de Varsovie conserve les portraits de La comtesse Katarzina Potocka (1825-1907), épouse d'Adam Potocki, et de leurs enfants (1856), Zofia, Arthur et Roza, alors âgés de cinq, six et huit ans. À signaler, le beau portrait de La comtesse Jadwiga Branicka Potocki, apparemment en tenue de deuil, le visage dissimulé derrière un chapeau.

À travers toute l’Europe

Plusieurs personnalités des États allemands passent à leur tour commande auprès de leur compatriote : citons le duc de Saxe-Meiningen, le prince Ernest de Hohenlohe-Langenbourg, la grande-duchesse Louise de Bade… Le musée des beaux-arts de Brest possède aujourd'hui un portrait d'un amiral, qui pourrait être le prince Adalbert de Prusse (1811-1873), qui servit dans la marine de guerre à partir de 1849 et devint amiral en 1854.

Les souverains d'Autriche-Hongrie François-Joseph et Elisabeth furent également portraiturés par l'artiste, qui parvint à mettre en valeur la belle chevelure de celle qui devint bientôt pour l'Europe toute entière « Sissi » (trois toiles, dont la plus célèbre coiffée avec des étoiles d'argent).

On le voit, Winterhalter était donc sous le Second Empire passé maître dans l'art de la mise en scène et l'embellissement de ses sujets. Sans doute si la peinture ne l'avait rendu si célèbre eût-il pu faire carrière dans la diplomatie. Son carnet de commande européen en est un évident témoin.

Sources :

– Emmanuel Burlion, Portraits de F.-X. Winterhalter ou Notice historique sur les personnages peints par Franz-Xaver Winterhalter, Brest, édité par l'auteur, 2005, 68 p., ill. noir et blanc.
– Wild Franz, Nekrologe und Verzeichnisse der Gemälde von Franz und Hermann Winterhalter, Zürich, 1894.
Bibliographie :
– Thérèse Burollet, Roselyne Hurel (dir.), Franz Xaver Winterhalter (1805-1873) et les cours d'Europe, exposition du Petit Palais, Paris, 1988, pp. 226-238.
– Armand Dayot, « À propos de Winterhalter », L'Art et les Artistes, n° 87, mai 1928, pp. 253-263 ; préface au Catalogue de l'exposition Winterhalter, portraits de Dames du Second Empire, Paris, Galeries Jacques Seligmann et Fils, 25 mai-15 juin 1928, 15 p.
– Albert Flament, « L'Exposition Winterhalter », L'Illustration, n° 4447, 26 mai 1928, p. 553.
– Laure Meyer, « Les petits princes de Winterhalter », L'oeil, Lausanne, Imprimeries Réunies, n° 393, avril 1988, pp.48-55 ; « Winterhalter », Beaux-Arts, n° 55, mars 1988, pp. 40-43.

Remerciements :

Musée national du château de Compiègne, musée des beaux-arts de Brest, bibliothèque centrale nationale de Florence, Fondation Doucet, musée de Picardie, CRBC Brest, bibliothèque municipale de Brest.
M. Akermann, Mlle S. Renouard de Bussierre (conservateur au Petit-Palais), M. C. de Pourtalès, Mme Maison (conservateur honoraire au château de Compiègne), baron T. Staël von Holstein, Mme F. Daniel (conservateur en chef du musée des beaux-arts de Brest).

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
468
Numéro de page :
49-53
Mois de publication :
Dec.2006 - Janv.-Fev.2007
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