BARBE-MARBOIS, François, comte, (1745-1837), directeur puis ministre du Trésor, premier président de la Cour des Comptes.

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 La très longue vie de Barbé-Marbois comprend soixante-six ans d’activités professionnelles, où les échecs retentissants furent aussi nombreux que les succès.

Il était fils d’un ancien épicier en gros, devenu directeur de la Monnaie de Metz, et aspirant à la noblesse. Par la protection du marquis de Castries, il entra dans la diplomatie, et servit de 1768 à 1779, à Ratisbonne, Dresde et Munich, comme attaché de légation, puis chargé d’affaires. Son chef de poste La Luzerne étant nommé ministre aux Etats-Unis, il eut l’occasion de l’accompagner à Philadelphie, et de joindre la connaissance du Nouveau Monde à celle des intrigues des Cours germaniques. Pendant ces premières années de l’Indépendance, Barbé-Marbois se lia avec Washington et épousa (1784) la fille de son ami Moore, commerçant et banquier, président du Conseil exécutif de Pennsylvanie. Son rôle principal consista à organiser les huit consulats français qui fleurirent alors, de Boston à Charleston, pour accompagner le nouveau mouvement des affaires issu du traité de Versailles.

La protection conjuguée du marquis de Castries (devenu maréchal, puis ministre de la Marine) et des La Luzerne (le frère du ministre aux Etats-Unis devenant gouverneur des Iles-sous-le-Vent) conduisit Barbé-Marbois, en 1785, au poste d’intendant général de Saint-Domingue. L’île était en pleine « révolte blanche », les colons se scandalisaient des mesures sociales que Louis XVI venait de promulguer en faveur de la population noire ; surtout, le maintien partiel de l’exclusif, notamment sur les farines, créait des tensions redoutables, puisque la farine importée de France coûtait deux fois plus cher que les produits américains de contrebande. Les relations de Barbé-Marbois avec les colons furent détestables : malgré les félicitations personnelles du roi, il dut pratiquement s’embarquer sous la pression de l’émeute, le 26 octobre 1789. A son retour en France, à 44 ans, Barbé-Marbois allait perdre successivement son protecteur de Saint-Domingue, le marquis de La Luzerne, qui mourut à Londres en 1791, enfin son premier protecteur, le maréchal de Castries, qui émigra la même année. Il était désormais sans patron. Réintégré aux Affaires étrangères, envoyé à Ratisbonne puis à Vienne pour tenter de neutraliser l’activisme belliqueux des Girondins, il échoua. A la déclaration de guerre, il venait de « quitter le service ». Pendant trois ans il se fit oublier à Metz, rédigeant un mémoire sur les plantes fourragères…

En février 1795, la gloire de son beau-frère Kellermann, qui avait épousé sa soeur Marie, lui valut d’être désigné comme maire de Metz ; en octobre, il fut élu aux Anciens, où il prit une attitude résolument réactionnaire. Faussement accusé par d’anciens conventionnels d’avoir collaboré à la rédaction du traité de Pillnitz, il riposta en critiquant les finances du Directoire, notamment les marchés de fournitures militaires. Les haines ainsi accumulées explosèrent au coup d’Etat du 18 Fructidor, et le firent inclure parmi les déportés en Guyane : son expérience des tropiques lui permit de résister au climat, mieux que plusieurs de ses compagnons. Sa femme cependant, demeurée en France, y devenait folle d’inquiétude : elle mourut en 1834 sans avoir jamais recouvré la raison. Lors de son séjour au Conseil des Anciens, Barbé-Marbois s’était lié d’amitié avec Lebrun, qui le fit rappeler en France après le 18 Brumaire, puis intégrer au Conseil d’Etat. A ce titre, il eut à apurer, avec sévérité, les comptes des opérations militaires dans l’Ouest breton et vendéen. La réputation d’intégrité qu’il s’était acquise, son expérience internationale et la protection de Lebrun, devenu consul, lui firent obtenir la direction du Trésor à la mort de Dufresne (février 1801). Sept mois plus tard, sa direction était transformée en ministère du Trésor public : «Un homme tout entier, écrira Gaudin, devenait nécessaire pour suffire à la multitude de rapports que le Premier Consul exigea journellement sur les plus petits détails.» Barbé-Marbois, scrupuleux et honnête, fit certes vérifier par pointage l’exactitude de ses employés, mais il était totalement dépourvu d’imagination et de pratique financières. A la Banque de France, chez Ouvrard, que protégeait le consul Cambacérès, chez les receveurs généraux, il rencontrait des partenaires beaucoup mieux informés que lui des réalités économiques et du mouvement des fonds. Il ne manqua pas de se couvrir en associant personnellement Bonaparte aux grandes décisions, même si de fréquents voyages (Lille, Mons, Boulogne, Italie) étaient nécessaires à cet effet. Mais il se voyait parfois reprocher une correspondance contenant « plus de phrases que de faits », et recommander l’activité dans des termes particulièrement énergiques. Parmi les succès du ministre, on peut noter en mars 1803 la définition du franc-germinal, et en mai de la même année, l’aboutissement des négociations avec les Etats-Unis sur la vente de la Louisiane. En revanche, jamais Barbé-Marbois ne parvint à combler le déficit du service de trésorerie. De 1801 à 1803 il s’en remit au groupe des  « dix négociants » que le Directoire avait placés au coeur des finances publiques et qui, à la Banque de France, constituaient l’élément dirigeant de la régence : Perrégaux, Mallet, Récamier, Doyen, puis Barillon, Bastide, Desprez. En 1803 le ministre, inquiet de l’avalanche des faillites chez les privilégiés de l’escompte, tenta de nationaliser le service, et le réserva aux receveurs généraux, réunis dans une agence qui prêtait à l’Etat, par anticipation, ses propres recettes. En 1804 il revint aux grands fournisseurs, les négociants réunis Ouvrard, Seguin, Vanlerberghe et les frères Michel, Desprez devenant leur agent auprès du Trésor, et leur intermédaire avec la Banque. Mais toujours les besoins du camp de Boulogne et de la flotte concurrençaient, en temps et en lieu, ceux des dépenses courantes. La direction des opérations passait progressivement à Ouvrard, beaucoup plus qu’au chef nominal du Trésor. L’échec de Trafalgar (21 octobre 1805), dans la mesure où il semblait couper définitivement la France de l’argent d’Amérique espagnole, entraîna la chute du château de cartes, et la révocation brutale de Barbé-Marbois (27 janvier 1806).

Mais des désordres qui avaient abattu le ministre sortit l’institution qui allait paradoxalement permettre son retour aux affaires : la Cour des comptes. Lebrun et Mollien firent accepter par l’Empereur (septembre 1807) le choix de Barbé-Marbois comme premier président de la nouvelle magistrature. Il en remplit scrupuleusement les devoirs, jugeant sans complaisance ses maîtres et référendaires, obtenant surtout pour eux, en 1813, la résurrection de deux caractéristiques des magistratures d’Ancien Régime : le titre de « conseiller » et l’inamovibilité. La destruction des archives de la Cour par la Commune empêche malheureusement d’apercevoir quel rôle personnel tint Barbé-Marbois, aux confins de la politique et de la comptabilité, dans l’apurement douteux des fournitures révolutionnaires et impériales. Au moins fut-il nommé sénateur en avril 1813 (désigné comme candidat par le collège électoral de l’Eure) et crée automatiquement comte de l’Empire le même mois. Un an plus tard, il n’en fut pas moins l’un des quatre commissaires du Sénat qui préparèrent le décret de déchéance de l’Empereur. Désigné par Louis XVIII comme l’un des rédacteurs de la Charte, il fut fait pair de France le 6 juin 1814.

Cet « empressement d’ingratitude que la nécessité ne justifiait point », selon le jugement de Napoléon, valut à Barbé-Marbois d’être chassé de Paris aux Cent-Jours : ce lui fut un titre de plus à la reconnaissance du roi restauré. En septembre 1815, il devint ministre de la Justice du cabinet Richelieu. Sa relative modération déplut aux ultras, et le conduisit à la démission en mai 1816. Il avait eu l’occasion, comme ministre, de défendre avec énergie l’inamovibilité des juges, et d’intervenir dans la réforme du Code de commerce relative aux lettres de change. En août 1817, un titre de marquis récompensa sa loyauté à Louis XVIII, et sa campagne visant à rétablir au Pont-Neuf la statue d’Henri IV.

Après juillet 1830, Barbé-Marbois continua de siéger à la Chambre des pairs ; il ne fut qu’à grand-peine mis à la retraite de la Cour des comptes en 1834 : il avait alors 89 ans, et mourut trois ans plus tard. Sa carrière avait été plus romanesque et variée que son caractère ne l’aurait laissé penser, mais il avait bien assis deux des institutions essentielles de la France contemporaine : le franc-germinal et la Cour des comptes. Sa fille unique avait épousé le fils de Lebrun : la duchesse de Plaisance, à demi folle, mourut à Athènes en 1854, sans postérité.

Auteur : Michel Bruguière
Article du Dictionnaire Napoléon, dirigé par Jean Tulard, Editions Fayard.

Cet article a été reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Fayard

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