BAZAINE, Achille (1811-1888), maréchal

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BAZAINE, Achille (1811-1888), maréchal
François Achille Bazaine en campagne au Mexique, par Jean-Adolphe Beaucé © Wikimedia Commons

Issu d’une famille établie à Scy, aux environs de Metz, le maréchal Bazaine a pour grand-père un vigneron qui, grâce à la Révolution, « monta à Paris » où il devint contrôleur-jaugeur, et écrivit un livre sur le système métrique nouveau qui s’appliquait difficilement en France ; le dictionnaire de Larousse le désigne comme mathématicien français ; son fils Dominique, élève de Polytechnique où il entra en 1803, partit pour la Russie pour y former l’Institut des ingénieurs des voies et communications ; devenu lieutenant général russe, il fut interné en Sibérie durant les campagnes de Napoléon Ier et ne retrouva ses grades et dignités qu’à la chute de l’Empire. Il revint tardivement en France en 1835.

En 1807, il avait rencontré une jeune femme, Marie-Madeleine Vasseur, dénommée Mélanie, lingère-mercière à Versailles, qui devint sa compagne ; il cacha sa liaison à sa famille.

Dominique Bazaine et Mélanie eurent trois enfants. Ces enfants illégitimes furent entretenus grâce à des subsides envoyés par le père puis par le beau-père à qui on venait de révéler cette union illégitime. L’aîné devint ingénieur en chef des chemins de fer, la fille épousa Emile Clapeyron, ingénieur des mines qui crée la ligne Paris-Saint-Germain puis la ligne Paris-Versailles. Achille, leur troisième enfant, naît au 9, boulevard de l’Impératrice (actuel 33, boulevard de la Reine) le 13 février 1811. Le futur maréchal suit des études rue d’Assa puis au collège Saint-Louis, échoue à Polytechnique et s’engage aussitôt en 1831 au 37e de ligne à Auxonne ; caporal, sergent-fourrier en 1832, il parcourt l’Algérie servant dans la Légion ; sergent-major, sous-lieutenant en 1833, il est blessé au combat de la Macta contre Abd el-Kader et fait chevalier de la Légion d’honneur. Capitaine en 1839, il suit le duc d’Orléans dans ses campagnes algériennes il est alors franc-maçon et est promu maître en 1834. La même année, il épouse à Tlemcen, Maria-Juane de la Soledad Gregorio Torno née à Murcie.

En Algérie, il se montre un officier colonial exemplaire. Il parle arabe et travaille avec les bureaux arabes et notamment avec le capitaine Doineau, l’homme de la « diligence de Tlemcen », condamné à mort puis gracié.

Chef de bataillon en 1844, officier de la Légion d’honneur l’année suivante, Bazaine reçoit aux côtés de Lamoricière la soumission d’Abd el-Kader, devient lieutenant-colonel en 1848, colonel commandant le 1er régiment de Légion étrangère en 1851 et général de brigade en 1853 ; le maréchal Pélissier le note comme « étant de beaucoup le plus brillant chef de corps de la division, qui sert de façon remarquable et sera bientôt placé au premier échelon de l’armée et y remplira dignement son office. »

Engagé dans la campagne de Crimée en 1855, il y commande la Légion étrangère. Nommé général de division à 44 ans, commandeur de la Légion d’honneur, il se distingue en Italie au combat de Melegano, l’ancien Marignan ; il y est blessé. Il s’illustre également à Solferino.

Promu grand officier de la Légion d’honneur, il est désigné pour faire partie du corps expéditionnaire au Mexique. Il se couvre encore d’honneur en s’emparant de la ville de Puebla ; il est alors nommé grand croix de la Légion d’honneur, et conquiert Mexico où il fait entrer triomphalement l’empereur Maximilien le 30 août 1864 ; après cette victoire, il nommé maréchal de France à 53 ans. Sa nomination est accueillie avec enthousiasme par l’armée ainsi que par l’empereur et l’impératrice du Mexique ; il est l’enfant chéri de la troupe, car il manifeste un grand courage physique, sait demeurer calme en toute circonstance. Excellent officier de troupe, bonhomme avec les soldats, il parcourt les bivouacs en fumant son éternel cigare, et se mêle sans morgue et avec familiarité à ses hommes ; en outre, organisateur éprouvé, il représente le militaire modèle.

Ses méthodes au Mexique qui lui seront tant reprochées, sont les méthodes algériennes et notamment celles du bureau arabe ; il utilise les règles classiques du combat colonial tel qu’il l’a mené en Algérie. Il est parfois brutal à l’école de Pélissier, célèbre par les « enfumades » algériennes ; Bazaine signe notamment une circulaire prescrivant : « Plus de prisonniers, tout individu pris les armes à la main sera fusillé c’est une lutte à outrance entre la barbarie et la civilisation. »
Il instaure donc au Mexique une « pacification » de type colonial, analogue à celle que connaîtront les armées françaises en Indochine et en Algérie. Il exerce un véritable proconsulat français au nom d’un souverain nominal, Maximilien qui souffre de se voir dépouillé de ses prérogatives essentielles. […]

En 1867, Bazaine revient en France et […] retrouve le commandement du 3e corps d’armée de Nancy où il remplace la maréchal Forey. Il vient de se remarier pendant sa période mexicaine : il a épousé Maria Josepha de la Pena y Paragon qui n’a que 17 ans alors qu’il en a 54. On l’appelle « la petite maréchale » […]
Pourvu d’un commandement en France, il pressent que la guerre est inévitable et estime que le pays n’est pas prêt à l’affronter. Il adresse au ministère des rapports sur l’incohérence des approvisionnements des magasins de son armée, la mauvaise instruction et l’indiscipline des recrues. Il est nommé commandant du camp de Chalons et commandement en chef de la garde impériale, puis commandant du 3e corps d’armée du Rhin. Les revers commencent : Wissembourg, le 4 août, Forbach, le 6 août et l’écrasement de Mac-Mahon. Bazaine n’est pas mêlé à ces opérations ; six jours après Forbach, il est nommé par l’Empereur commandant en chef et généralissime des armées impériales. L’Empereur estime qu’il est le seul capable de sortir l’armée française du bourbier dans lequel elle s’est enfoncée et l’opposition notamment Jules Favre l’acclame : on ne parle plus unanimement que du « glorieux Bazaine ».

L’installation de l’armée du Rhin à Metz fait partie du plan de Napoléon III, suggéré par le maréchal Leboeuf : on substitue à la concentration de troupes le long de la frontière du Rhin, une concentration à l’intérieur de la place forte de Metz. Bazaine déconseille cette manoeuvre car, dit-il, Metz n’est pas prête, il n’y a pas d’approvisionnement suffisant, pas de four de campagne, pas d’ambulances, mais il accepte de l’exécuter et de rassembler son armée sous Metz. Auparavant, il tente de la ramener à Chalons via Verdun pour rejoindre Mac-Mahon ; une crue de Moselle emporte les ponts de bateaux et rend impossible cette manœuvre.

Bazaine demande donc à Mac-Mahon de faire mouvement sur Metz ; celui-ci ne s’y résigne qu’après maintes objections, soutenant notamment que son armée arrivera trop tard pour secourir Bazaine, qu’il n’y a plus de munitions, plus de vivres et qu’il est contraint de capituler. Il écrit cela le 21 août alors que la capitulation n’aura lieu que le 28 octobre, c’est-à-dire deux mois et sept jours plus tard.

Les batailles livrées par Bazaine pour tenter de rompre l’encerclement échouent : Borny le 14 août où Bazaine est légèrement blessé et qui est considérée comme une victoire, Rezonville où Bazaine est à nouveau blessé, Saint Privat, cruelle défaite, vont l’amener à décrocher et à se replier sur Metz.

Noiseville, dernière tentative importante pour briser l’encerclement de Metz, échouera également.

Désormais bloqué dans Metz et sans espoir sérieux de pouvoir se retirer avec son armée, Bazaine va tenir au maximum la place forte. Il refuse d’accepter les conséquences militaires de la révolution politique du 4 septembre et la déchéance de l’empereur proclamé à Paris ; il continue ainsi à conserver les aigles sur les drapeaux et les étendards et à ne pas changer l’intitulé impérial dans ses proclamations. On lui prête alors l’intention de rester à Metz en attente, pour garder une armée qui pourrait marcher sur Paris, y rétablir l’ordre et restaurer l’Empire ; pourtant, des témoins mêmes hostiles rappelleront qu’il a cherché encore à sortir de l’encerclement, notamment à Ladonchamps, le 7 octobre 1870.

De fait, Bazaine est entré en contact pendant le siège avec le prince Frédéric-Charles, a dépêché Boyer à Versailles, a reçu de l’impératrice Reigner, et a envoyé Bourbaki voir l’Impératrice en Angleterre ; mais ces actions sont liées à l’esprit des bureaux arabes dont il est imprégné qui consiste à instaurer et à maintenir les pourparlers même pendant le siège. Bismarck d’ailleurs lui laisse espérer une paix avec libération de son armée et le rétablissement de l’Empire ; l’armée Bazaine serait le fer de lance de ce rétablissement, et balaierait les « avocats » de Paris.
Cependant, Molkte exige du roi de Prusse la capitulation de Metz et le maintien de la République en laquelle il voit un facteur d’affaiblissement considérable pour la France qui débarrassera l’Empire allemand pendant des décennies de tout esprit de revanche française.

L’Empereur Guillaume Ier se prononce en faveur de la thèse de Molkte et les propositions de Bismarck sont abandonnées ; Bazaine a ainsi été berné pendant ces pourparlers. […]

Le 28 octobre, Metz capitule par convention ; il restait encore quelques vivres, peu de munitions, seulement 800 000 cartouches pour 250 000 hommes. On reprochera beaucoup à Bazaine l’incident des drapeaux : celui-ci avait ordonné le 26 de brûler les drapeaux suivant les usages de la guerre ; cet ordre est refusé comme émanant  d’un de ses adjoints ; les colonels exigent un ordre du maréchal en personne qui le donne le 27 au soir pour être exécuté le lendemain ; mais à cette date la capitulation est signée alors que Bazaine pensait que ses ordres avaient été exécutés la veille, ce qui explique  la remise des drapeaux à l’ennemi.

Bazaine, prisonnier, rejoint Napoléon III à Kassel et rentre de captivité en septembre 1871 pour regagner Versailles puis son hôtel de l’avenue d’Iéna. Une campagne de presse d’origine politique le dénonce comme traître ; Gambetta notamment en prend la tête, car il ne lui pardonne pas son refus de ralliement au gouvernement de Défense nationale et sa fidélité à l’Empire. A son retour de captivité, un conseil d’enquête se réunit, procédure automatique en raison de la capitulation d’une place forte, et adopte des conclusions sévères à l’égard du maréchal ; le rapport de conseil d’enquête est destiné à demeurer secret, et aucune suite n’y aurait été donnée si des fuites n’avaient eu lieu dans la presse, à laquelle le maréchal a la maladresse de répondre. Il demande, malgré les conseils de Thiers et du général du Barail ministre de la Guerre, à passer devant un conseil de guerre. Après quelques tergiversations, on accède à sa demande. Il est alors incarcéré dans une maison de Versailles, 32, avenue de Picardie. Le rapporteur est le général Serre de Rivière, le commissaire du gouvernement le général Pourcet. Présidé par l’unique officier général qui n’ait pas servi sous ses ordres, le duc d’Aumale doyen des lieutenants généraux français puisqu’il avait été nommé général par son père Louis-Philippe sous la monarchie de Juillet, le conseil se réunit à Versailles dans le péristyle de Trianon. Le procès va durer du 6 octobre au 10 décembre 1873 ; à la surprise générale, le maréchal n’attaque pas, ne révèle rien, couvre ses subordonnés, et les débats n’apportent que peu de révélations. Il a choisi comme avocat Charles Lachaud, bonapartiste comme lui, assisté par son fils Georges. […]

Le 10 décembre à 20h55, le verdict est prononcé, la morte est votée à l’unanimité mais le conseil de guerre adresse une lettre également unanime au ministre de la guerre, demandant à Mac-mahon que la sentence ne soit pas exécutée. Elle comporte un éloge certain du maréchal Bazaine : « Il a pris et exercé le commandement de l’armée du Rhin au milieu de difficultés inouïes ; il n’est responsable ni du début désastreux de la campagne, ni du choix des lignes d’opération, au feu il s’est toujours retrouvé lui-même, à Borny, à Gravelotte, à Noisseville, nul ne l’a surpassé en vaillance ; le 16 août il a, par la fermeté de son attitude, maintenu le centre de sa ligne de bataille. Vous vous unirez à nous, Monsieur le Président la république, pour ne pas laisser exécuter la sentence que nous venons de prononcer. ».

On pensait que le général serait banni ; or, Mac-Mahon, par esprit politique ou peut-être pour régler de vieilles rancunes qui dataient de Tlemcen lorsque Bazaine servait sous ses ordres, commue la peine en vingt ans de détention dans une enceinte fortifiée. Il est emprisonné à Sainte-Marguerite avec son aide de camp le colonel Willette, père du célèbre caricaturiste, la « petite maréchale » et ses enfants.
Il s’évade dans des conditions rocambolesques pour un homme de son âge, le 9 août 1874, en descendant une muraille à pic avec une corde faite des ficelles des colis qu’il avait reçus, longue de 73 mètres ; la « petite maréchale » l’attendait dans une barque de pêcheur qui l’emmène, avec l’aide du capitaine Donneau, vers l’Italie. […]

L’exil dura quatorze ans. Aussitôt libre, il rend visite à l’impératrice Eugénie qui le reçoit froidement, car elle estime qu’il compromet la cause impériale. Accueilli à Madrid par la reine, il est considéré comme un personnage semi-officiel ; toutefois s’il est accepté par les autorités espagnoles, il est proscrit par la colonie française.
Il écrit des articles justifiant sa campagne de 1870 ; ses soucis financiers s’aggravent, et il sollicite l’aide de l’Impératrice qui refuse ; ses frères qui lui demeurent fidèles lui versent  une pension que complète la reine Isabelle. Bazaine sollicite le Duc d’Aumale qui, bien qu’ancien président du conseil de guerre qui l’a condamné, lui versera un secours par l’intermédiaire du banquier Rothschild.
La petite maréchale, aigre par sa vie d’exilée, ruinée, dépensière et endettée dans tout Madrid, repart pour Mexico au sein de sa famille avec sa fille Eugénie. C’est un départ définitif sous prétexte d’y retrouver ses biens ; elle ne reverra plus le maréchal et mourra en 1900.

Un an après, le 17 avril 1887, un voyageur de commerce de La Rochelle, Louis Hillairaud, porte au maréchal un coup de poignard au-dessus de l’oeil pour « venger la France ». La blessure est sans gravité mais elle aura sur cet homme vieilli de graves conséquences sérieuses. Il ne voit presque plus de l’oeil gauche  et à des maux de tête incessants. […]
Blessé par une chute en 1886 et désormais invalide il meurt brusquement à 77 ans, le 23 septembre 1888. Il était maréchal depuis vingt-quatre ans et vaincu de Metz depuis dix-huit ans. Des funérailles officielles sont célébrées à Madrid en présence du ministre de la Guerre et des maréchaux espagnols, d’un de ses frères et de ses fils dont un, le commandant Alfonso Bazaine, capitaine espagnol servira à titre français en 1914, obtiendra la croix de guerre et la Légion d’honneur, et décédera à Larache en 1949. […]

André Damien

(Cette notice biographique, partiellement reproduite, est tirée du Dictionnaire du Second Empire, 1995, avec l’aimable autorisation des éditions Fayard)

Cette biographie fait partie du dossier thématique sur la Campagne du Mexique (1861-1867)
 

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