En mars 1796, le général Bonaparte épousa Joséphine, veuve d’Alexandre de Beauharnais, et ce mariage lui apporta non seulement une femme, mais aussi une famille déjà formée, Joséphine ayant deux enfants. L’aîné, Eugène, né en 1781, avait deux ans de plus que sa sœur Hortense qui, au moment du mariage, avait treize ans. Au fur et à mesure que le général Bonaparte se transformait en maître de la France, la fortune de sa famille avait augmenté de sorte qu’au moment de trouver un époux pour sa belle-fille, Napoléon avait désigné son propre frère Louis : membre de la famille Bonaparte, il lui paraissait digne de la main d’Hortense.
Le mariage eut lieu en janvier 1802 contre la volonté des deux participants. Hortense trouvait son mari sans aucune allure, et Louis n’avait, pour sa part, accepté l’union que parce que son frère la lui imposait par raison d’Etat. Déjà Napoléon s’inquiétait du fait que lui-même n’avait pas eu d’enfants et espérait que le mariage de son frère produirait des héritiers mâles. Séduisante, intelligente et cultivée, Hortense était pour Louis une femme mal assortie. Celui-ci, d’un caractère difficile et complexe, était incapable d’apprécier les qualités de son épouse, et leur mariage ne fut jamais qu’une affaire chancelante, ponctuée de longues périodes de séparation. De 1802 jusqu’en septembre 1807, date de leur dernière réunion, le couple ne vécut ensemble que pendant une période de quatre mois. Néanmoins, trois enfants naquirent de cette union bizarre : Charles-Napoléon en 1802, le deuxième fils, baptisé Napoléon-Louis, en 1804, et le troisième, Louis-Napoléon, le futur Napoléon III, en 1808. La paternité de tous ces enfants donna lieu à toutes sortes de potins, car on attribua les deux premiers à Napoléon ler et le troisième eut plusieurs candidats, dont un amiral hollandais, Verhuel. Paradoxalement, le père du fils illégitime d’Hortense, futur duc de Morny, fut reconnu sans ambages être le comte de Flahaut. Quoiqu’il fût irrité par le comportement conjugal d’Hortense, son beau-père n’hésita pas à l’utiliser quand besoin était. En 1805, par exemple, au moment où l’Empereur avait rassemblé à Boulogne sa Grande Armée en vue d’envahir l’Angleterre, Hortense fit les honneurs en tant que maîtresse de maison à Boulogne et Montreuil, et ce fut elle qui se tint à ses côtés pendant les grandes manœuvres organisées pour l’entraînement des soldats.
En témoignage de respect pour ses capacités, Napoléon la fit nommer princesse protectrice de sa fondation d’Ecouen destinée à recevoir les enfants des soldats tombés à la bataille d’Austerlitz. En 1806, commença l’organisation du Grand Empire, et Louis fut nommé roi de Hollande par son frère. Au mois de juin, Hortense accompagna son mari à La Haye, mais, en dépit de sa position, la nouvelle reine ne montra pas plus de goût pour la compagnie de Louis. Elle fuit la Hollande, et seule la mort subite de leur fils aîné, en mai 1807, les réconcilia quelque temps. Ce fut pendant cette brève période de vie commune, en été 1807, qu’eut lieu la conception de Louis-Napoléon. En 1810, Napoléon était au comble de l’exaspération contre Louis qui avait pris le parti des Hollandais contre lui. À la suite de scènes dramatiques à Paris, Hortense partit rejoindre son mari à La Haye, mais même la situation critique de ce dernier ne l’incita pas à le supporter davantage et elle le quitta de nouveau pour venir s’installer à Plombières. C’est pendant son séjour que Louis abdiqua le trône de Hollande après avoir désigné son fils comme son successeur et Hortense comme régente. Ce dernier acte démontrait au moins sa tolérance, sinon sa sagacité. Napoléon annula toutes ces décisions, et Louis quitta le territoire français pour se rendre à Taeplitz, dans les domaines de l’empereur d’Autriche. Hortense reçut le titre de « reine Hortense » et le droit d’avoir une Maison à elle, composée de seize officiers. Elle élut comme résidence préférée le château de Saint-Leu, au nord de Paris, et, de 1810 à 1814, mena une vie de voyages d’agrément ponctuée de participations aux cérémonies de la Cour aux Tuileries. Il faut reconnaître que dans le même temps, elle ne négligea pas ses devoirs de mère, et que ses deux enfants furent l’objet de ses attentions constantes, quoique sa vie sentimentale ne fut pas de tout repos, ainsi qu’en témoigne la naissance du futur duc de Morny en 1811. La nouvelle des désastres qui commençaient à accabler Napoléon à partir de 1814 ramena le roi Louis à Paris. Reçu assez froidement par son frère et par sa femme, il resta en marge des événements dramatiques qui préfiguraient la fin de l’Empire. Quant à Hortense, elle craignait les avances de son mari qui, au milieu des difficultés qui accablaient la famille impériale, se montrait on ne peut plus affectueux, marquant son désir de vivre à nouveau avec elle. Redoutant son époux plus que les Prussiens et les Russes, Hortense évita de quitter Paris avec lui, et quand elle le suivit finalement à Rambouillet, ce ne fut qu’une étape sur sa route vers Évreux où elle rejoignit l’impératrice Joséphine au château de Navarre.
De retour à la Malmaison avec sa mère, Hortense fut l’objet de l’admiration du tsar Alexandre, à tel point qu’encore une fois les mauvaises langues jasèrent. À la mort de Joséphine, Alexandre continua de veiller sur Hortense et c’est sur sa pression que Louis XVIII créa Hortense duchesse de Saint-Leu et lui fit verser une pension annuelle de 400000 francs. Le retour de l’ile d’Elbe plaça Hortense dans une position gênante et, pour la première fois, elle dut essuyer le vif courroux de l’Empereur qui lui reprocha ses transactions avec les Bourbons. Elle fut sauvée par ses enfants, Napoléon ayant besoin de ses neveux pour stimuler le sentiment patriotique et dynastique du pays.
Il pardonna ses fautes à Hortense et celle-ci, reconnaissante, ne le renia plus, bien qu’après Waterloo la situation de l’Empereur fût bien plus détestable qu’en 1814. Elle paya sa fidélité : en 1815, a sar, offusqué par sa conduite pendant les Cent-Jours, refusa de faire des démarches auprès de Louis XVIII, résolu à frapper toute la famille Bonaparte d’interdiction de séjour en France. Alors commença une odyssée qui ne se termina qu’en 1817, en Suisse où le canton de Thurgovie offrit généreusement asile à Hortense, Elle voulait acheter la villa d’Arenenberg, près du lac de Constance, mais les tracasseries des puissances alliées l’en empêchèrent jusqu’en 1821, date de la mort de Napoléon Ier. A compter de ce moment, elle y résida jusqu’à sa propre mort, exception faite de plusieurs voyages, notamment en Italie où son mari s’était établi et retenait près de lui leur fils aîné.
Le départ de celui-ci laissait Louis-Napoléon seul en compagnie de sa mère et explique l’intensité des liens qui s’établirent entre eux. Hortense éleva son fils dans une atmosphère « bonapartiste », voire impériale ; la vague de sentiments favorables à Napoléon déclenchée par Le Mémorial de Las Cases fit de lui un disciple assidu. Fut-elle responsable de sa conduite ultérieure ? Elle y eut certainement sa part, mais l’aîné lui-même, élevé par le roi Louis, se montra lui aussi adepte des idées (mal comprises peut-être) de son oncle, et, accompagné de son frère cadet, participa à l’insurrection italienne de 1830. Cette participation allait lui coûter la vie, ne laissant plus qu’un seul prétendant à l’héritage. L’action énergique d’Hortense sauva son dernier fils de la vengeance autrichienne, et, après un passage en France où Louis-Philippe se montra fort peu disposé à lui accorder un permis de séjour, elle alla se réfugier en Angleterre. De retour à Arenenberg, elle fit de sa maison un centre réputé ou elle recevait non seulement les membres de la famille Bonaparte, mais aussi des écrivains, des peintres et des musiciens parmi les plus renommés.
Cette vie assez tranquille fut interrompue par la tentative de Louis-Napoléon à Strasbourg, en 136, qui eut pour conséquence son bannissement aux Etats-Unis. C’est là que son fils reçut une lettre d’elle lui annonçant qu’elle se préparait à subir une opération destinée à enrayer le cours de la maladie fatale qui devait en effet l’emporter. Elle rentra rapidement et arriva à Arenenberg en août 1837. Sa mère lutta jusqu’en octobre, mais le cancer était devenu inopérable, et elle mourut le 3 de ce mois, à l’âge de cinquante-quatre ans. Jusqu’à la fin de ses jours, son fils garda dans son portefeuille la dernière lettre qu’il avait reçue d’elle.
Article de William Smith, issu du Dictionnaire Napoléon, publié sous la direction de Jean Tulard aux éditions Fayard (1995)