La vie et la carrière de Félix-Julien-Jean Bigot de Préameneu, profond juriste et homme de foi, se sont inscrites dans la ligne tracée par son éducation et sa formation.
Les origines
Né à Rennes, le 26 mars 1747, il était le fils d’un avocat au Parlement de la ville. Destiné à la carrière ecclésiastique, le futur ministre des Cultes de Napoléon commença ses études au séminaire de Rennes avant d’entreprendre, à la mort de son père (1762), une carrière juridique. Avocat au Parlement de Rennes (1767), docteur en droit (1768), celui qui allait devenir un des pères du Code civil obtint son doctorat (1768) puis acheta une charge de conseiller (1778).
A la même époque, il » monta » à Paris, avec les fonctions d’agent général des Etats de Bretagne. Il représentait dans la capitale les intérêts des principales communes de sa province et de ses protecteurs Rohan.
Bigot sous la Révolution : itinéraire d’un modéré
Bigot de Préameneu fut favorable aux changements des débuts de la Révolution. Il joua le jeu des nouvelles institutions mises en place par la Constituante et fut élu juge au tribunal du quatrième arrondissement de la Seine (5 décembre 1790), en même temps que Roederer. Il accepta quelques mois plus tard les fonctions de commissaire du roi dans le Gard où des troubles avaient éclaté.
Le 5 septembre 1791, il fut élu député de la Seine à la Législative, où il s’installa sans hésiter sur les bancs des modérés, se montrant très actif au comité de Législation, votant contre la suppression de la sanction royale (7 janvier 1792), contre la poursuite des prêtres insermentés (29 février 1792), contre les mesures proposées au sujet des émigrés (22 mars 1792). Il présida la Législative du 15 au 28 avril 1792. Le 21 juin, il fit adopter une mesure visant à interdire la présentation des pétitions par des hommes armés. Enfin, au 10 août, il prit la défense de la famille royale.
De tels antécédents allaient, on s’en doute, le rendre suspect aux conventionnels les plus avancés. Il se retira en Bretagne pour se faire oublier. Arrêté le 4 juin 1794, il fut ramené à Paris et incarcéré à Sainte-Pélagie. La chute de Robespierre le sauva sans doute de la guillotine : il fut libéré le 26 août et put regagner Rennes.
Il vécut alors hors de la politique active, prêtant toutefois son concours à l’organisation des écoles primaires de sa ville, de réfléchir sur l’utilité du papier-monnaie ou acceptant de devenir membre associé non-résident de la classe des Sciences morales et politiques de l’Institut (1).
Il revint à Paris en germinal an V (mars 1797) et devint président d’une des quatre chambres du tribunal civil de la Seine. Favorable à la conspiration de Brumaire, il prit part aux dernières réunions de préparation du coup d’Etat.
A la création du Consulat, il fut nommé commissaire du gouvernement près le tribunal de cassation (8 février 1800).
Après Brumaire : une remarquable carrière
Commença alors pour Bigot de Préameneu une remarquable carrière au service du régime napoléonien : membre de la commission devant préparer le code civil (1800) (2), membre du comité d’administration des hospices de Paris (1800), conseiller d’Etat au sein de la section de Législation (1802), organisateur de la justice en Ligurie, après l’annexion de cette ancienne république-soeur (1805) et, bien sûr, ministre des Cultes (du 4 janvier 1808 au 6 avril 1814, soit 6 ans et 3 mois) (3).
Le régime ne lui ménagea pas ses bienfaits puisqu’il fut membre résident de l’Institut (1799) puis membre de l’ » Académie française « , soit la classe de Langue et Littérature française (1803), membre de la Légion d’Honneur (chevalier puis grand-officier en juin 1804), président du collège électoral d’Ille-et-Vilaine (1806), comte de l’Empire avec une dotation de 10 000 francs sur les domaines de Lilienthal et Ottersberg (1808), grand-croix de l’ordre de la Réunion, chevalier de la Couronne de Fer.
Fidèle à Napoléon, il accompagna Marie-Louise à Blois, en avril 1814. La Première Restauration le considéra démissionnaire de fait de tous ses emplois. Pendant les Cent-Jours, il fut nommé directeur général des Cultes,-le ministère n’ayant pas été rétabli, ministre d’Etat en mars et pair de France en juin.
Il se retira après Waterloo, ne fut pas exclu de l’Institut et devint même membre du comité de consultation de la Légion d’Honneur (1820), du conseil général des prisons et du Mont de Piété de la ville de Paris (1824). Il mourut à Paris le 31 juillet 1825 (4).
Thierry Lentz (2004)
Notes
1) Sur ce point, un document intéressant, le catalogue de la vente de la bibliothèque de Bigot conservé à la Bibliothèque nationale de France, contient deux pièces inédites :
– Une quittance comptable du 2e semestre 1811 pour 2450 ff pour les causes énoncées ci-dessus en qualité de grand officier de la légion d’honneur ; fait à Paris le 24 janvier 1812.
– Une lettre autographe de Bigot de Préameneu sur sa nomination comme membre associé de l’Institut.
Rennes, le 10 germinal an IV
Le citoyen Bigot-Préameneu, associé non-résident au président de l’Institut national des sciences et arts.
Votre lettre du 2 de ce mois, citoyen, m’apprend que l’Institut national m’a nommé l’un de ses associés non résidant dans la classe des sciences morales et politiques, section de la science sociale et législation. Je vous prie de témoigner aux membres de l’Institut que je sens tout le prix du choix dont ils m’ont honoré et que j’y répondrai par un dévouement sans réserve au progrès des sciences et des arts. Ils peuvent compter sur l’exactitude de ma correspondance et sur mon empressement à leur envoyer tous les renseignements utiles qu’il me sera possible de procurer.
Salut et fraternité
Bigot Préameneu, Homme de loi associé de l’institut national des sciences et arts, maison du Crosu, près la Motte à Rennes.
2) Au sein de la commission du code civil, il travailla tout particulièrement sur la paternité et la filiation, les donations entre vifs, les échanges, la contrainte par corps en matière civile et les contrats.
3) Le ministère des Cultes avait été créé le 10 juillet 1804, par transformation en ministère d’une direction de l’Intérieur. Le premier titulaire du portefeuille avait été Portalis, décédé en fonction. Le ministère des Cultes devait veiller à la bonne application du Concordat et des lois qui l’avaient suivi. Il préparait les décisions de Napoléon concernant les nominations et les autorisations diverses que l’Etat devait accorder (réunion de conciles, ouverture de chapitres, de lieux de culte, création de paroisses, etc). Il surveillait l’exercice du culte et devait s’assurer que les pratiques religieuses ne soient pas contraires à l’ordre et à la tranquillité publics. Enfin, il administrait les ecclésiastiques qui dépendaient de l’Etat, notamment en leur versant leurs traitements. Le ministère était compétent aussi bien pour les affaires catholiques que pour celles touchant aux autres religions.
4) Bigot de Préameneu est enterré au Père-Lachaise. De son mariage avec Eulalie-Marie Barbier, il avait eu deux filles : Eulalie-Jean et Eugénie.
Bibliographie
Kerviller (R.), La Bretagne à l’Académie française : Bigot de Préameneu, Revue de Bretagne, 1904, 1er semestre, pp. 13, 148, 225 ;
Lentz (T.), Dictionnaire des ministres de Napoléon, Paris, Christian-Jas, 1999, 209 pages.
Nougarède du Fayet (A.), Notice sur la vie et les travaux de M. le comte Bigot de Préameneu, Paris, imp. De Crapelet, 1843, 71 pages.
Pépin (J.), Bigot de Préameneu, jurisconsulte (1747-1825), Bulletin de la Société d’Archéologie de Bretagne, 1986, pp. 169-173 ;
Pinaud (F.), L’administration des Cultes, de 1800 à 1815, Revue de l’Institut Napoléon, 1976, pp. 28-36.