BOISSY d’ANGLAS, François, comte de, (1756-1826), homme politique, sénateur

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Il naquit en 1756 à Saint-Jean-de-Chambre d’une famille protestante.

Il fut tout d'abord avocat au Parlement Royal de Paris puis acheta une charge de maître d'hôtel de Monsieur, frère du Roi, le futur Louis XVIII, charge qu'il garda jusqu'en septembre 1791, c'est-à-dire après le départ de Monsieur en exil.
Il ne semble pas que sa profession d'avocat ni ses charges de maître d'hôtel, peu importantes d'ailleurs, lui aient donné des occupations particulières car il s'occupait exclusivement de belles lettres et se fit admettre aux académies de Nîmes, de Lyon et de La Rochelle.
À la convocation des États-Généraux, il fut élu député du Tiers-États de la Sénéchaussée d'Annonay, grâce à la notoriété de sa famille et ne joua qu'un rôle effacé à l'Assemblée Constituante où il n'a guère fait parler de lui. Inéligible à la Législative en raison de sa qualité de membre de l'Assemblée Constituante, il sera réélu à la Convention où il ne fait pas plus parler de lui si ce n'est au procès du Roi où il se range – et il fallait du courage pourtant – dans la minorité c'est-à-dire dans les députés qui ne voteront pas la mort.
Arthur Conte le décrit ainsi dans son livre (Sire ils ont voté la mort) : « il se présente vêtu d'un sévère habit noir qui ne s'éclaire que du col immaculé serrant le cou, mais loin de faire cuistre même s'il affecte trop souvent des attitudes solennelles, il arbore sous son élégante perruque toujours soyeuse, bouclée et parfumée, un visage sensuel de grand viveur, face empâtée, triple menton, bouche goulue, nez épaté et couperosé, et sous des sourcils très relevés de vastes yeux sans profondeur qui n'auront jamais d'éclat que devant les nourritures terrestres. C'est l'animal de luxe bien nourri ; on ne lui connaît qu'une infortune, il bégaie… On a l'impression qu'il se terre et flaire toutes les traces, quel maître choisir, sur quel sillage se lancer, quel atout jouer, c'est à la réalité un velléitaire qui ne s'oriente que selon l'odeur du pouvoir. Aujourd'hui il siège au Marais, le meilleur carrefour pour juger de l'avenir ».
Néanmoins son discours pour expliquer son vote est courageux : « Je regrette l'opinion de ceux qui veulent faire mourir Louis, je vote pour que Louis soit maintenu dans un lieu sûr jusqu'à ce que la paix et la reconnaissance de la République français par toutes les puissances de l'Europe permettent à la représentation nationale d'ordonner son bannissement hors du territoire français ».
Après la chute de Vergniaud et de Danton, Boissy d'Anglas flattera Robespierre et il déclarera même que lorsque l'Incorruptible parle de l'Être Suprême au peuple le plus éclairé du monde, il rappelle « Orphée enseignant aux hommes les premiers principes de la civilisation et de la morale ».
Après Thermidor il montrera dans deux occasions un courage certain. La première c'est lors de l'émeute du 12 germinal (1er avril 1795) alors que Boissy d'Anglas exposait ce que le gouvernement avait fait pour assurer l'alimentation du peuple, au moment où il s'écriait : « Nous avons rétabli la liberté », la foule envahit la salle du manège en criant « du pain, du pain ».
La seconde émeute, plus grave, où Boissy d'Anglas joue un rôle c'est celle du 1er prairial (20 mai) où une foule nombreuse se précipite sur la salle des séances de la Convention. Le service d'ordre est débordé et impuissant. Le député Ferraud qui s'efforce de barrer l'entrée de la Convention est renversé, piétiné, assommé à coup de sabot, traîné hors de l'enceinte et achevé par un marchand de vins qui lui coupe la tête et la jette à la foule. Celle-ci s'en empare, la met au bout d'une pique, rentre dans la salle des séances et la montre à Boissy d'Anglas qui siégeait au fauteuil du président et qui, impassible, se découvrira et saluera la tête sanglante de Ferraud.
Pour le reste il jouera un rôle assez effacé : membre du Comité de Salut Public, chargé des subsistances, on l'appellera Boissy-Famine ou Boissy Dents-Creuses ; mais tous les ministres du ravitaillement n'ont-ils pas mérité ces épithètes dans les périodes difficiles ?
Auteur de la Constitution de l'an III avec La Revellière, Lepaux et Daunou, il lui donnera finalement un nom dans la mesure où on l'appelle la Constitution Ba-Be-Bi-Bo-Bu, autant à cause de son bégaiement que des plaisantins tournaient en dérision, qu'à cause du bégaiement du texte.
Mais malgré ces travers ou cette insignifiance, la foule retient le coup de chapeau du 1er prairial à la tête de Ferraud et c'est la raison pour laquelle il sera élu au corps législatif par 72 départements et dans sa fatuité naïve il s'écriera : « ils me nomment plus qu'un roi ».

Les Consuls le nommeront Commissaire-Liquidateur des créances espagnoles puis, sous l’Empire, il sera nommé Sénateur en 1804.

Le portrait signalétique qui suit son nom aux archives du Sénat porte les mentions suivantes : 1 m 79, cheveux et sourcils noirs, nez droit, barbe noire, visage plein, front couvert, yeux gris, bouche petite, menton rond, teint brun.
Il fut élu également membre de l'Institut et devint Comte de l'Empire, Grand Officier de la Légion d'Honneur et membre du Consistoire Impérial. Louis XVIII le nommera Pair de France par ordonnance du 24 juillet 1814 mais Napoléon, au retour de l'Ile d'Elbe, le maintiendra à la Chambre Impériale des Pairs des Cent-Jours et il sera à nouveau membre de la Chambre Royale des Pairs dans la grande fournée des nominations du 17 août 1815.
Il s'était marié en 1779 à Marie-Françoise Michel, née à Nîmes le 6 janvier 1759. Il mourut à Paris le 20 octobre 1826, tandis que son épouse décédait à Bougival le 21 mars 1850.
Son fils François-Antoine Boissy d'Anglas fut admis comme Pair héréditaire le 5 janvier 1827. Il était né à Nîmes le 23 février 1781 et mourut à Champrosay en Seine et Oise le 12 octobre 1850. Il avait contracté mariage le 2 décembre 1816 avec Jenny Colomb qui décéda à Paris le 5 février 1874.
Ce personnage évoque bien la classe de ceux qui, selon l'expression de Sieyès, « ont vécu » pendant la Révolution et même après par des compromissions incessantes. Il n'a pas de biographe ; celui qui lui a consacré la plus longue étude est Arthur Conte dans son excellent ouvrage sur la condamnation de Louis XVI et le trait particulier marquant de la vie de Boissy d'Anglas, qu'il met en valeur à chaque instant, c'est sa versatilité, sa lâcheté, sa prudence, son aptitude constante et habile à voler toujours au secours de la victoire. « Au retour de l'Ile d'Elbe, dit-il, il se ralliait au vainqueur, siégea à la Chambre des Pairs mais pour mieux renier à nouveau, après Waterloo la cause de l'Empire. Il combat avec âpreté la proposition de proclamer empereur le fils de Napoléon et l'institution d'un gouvernement impérial provisoire, mais il sera encore assez habile pour se maintenir dans sa Pairie après la Seconde Restauration ».
Telle est la leçon du personnage ; il a traversé la plus grande époque de l'Histoire, la plus agitée, la plus troublée et a su y faire honorablement une carrière, à l'abri de toutes les proscriptions, de tous les exils, de toutes les faveurs.
Ajoutons que, n'ayant pas voté la mort de Louis XVI, il en tirera d'importants bénéfices sous la Restauration puisque, non seulement il échappera à l'exil, mais fera partie du petit nombre des fidèles avec lesquels la Restauration sera bien obligée de compter.

Auteur : André Damien
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 265
Mois : 08
Année : 1972
Pages : 31-32

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