Chancelier d’Autriche de 1801 à 1805, Louis Cobenzl ne doit pas être confondu avec son cousin Jean-Philippe
Ils appartenaient à une vieille famille aristocratique de Carinthie, attestée dès le xiiie siècle, qui fournissait déjà des diplomates aux Habsbourg au xvie siècle et fut élevée à la dignité comtale en 1676. Louis naquit le 21 novembre 1753 à Bruxelles, où son père exerçait les fonctions de ministre plénipotentiaire auprès du duc Charles de Lorraine, gouverneur général autrichien. Il fut le protégé du chancelier Kaunitz, qui le considérait comme un véritable fils et le plaça auprès du comte Pergen, premier administrateur autrichien en Galicie. En 1774, Cobenzl est nommé ministre d'Autriche à Copenhague. Diplomate très doué, on lui confie en 1777, à vingt-quatre ans, le poste, très délicat, de Berlin. Bien qu'il soit, comme Marie-Thérèse, hostile à la rupture avec Frédéric II dans l'affaire de la succession de Bavière, il ne pourra empêcher la rupture souhaitée par Joseph II. Nommé plénipotentiaire au congrès de Teschen, il ne peut s'y rendre, pour raison de santé, et sera remplacé par son cousin Jean-Philippe.
En 1779, Kaunitz le fit nommer ambassadeur à Saint-Pétersbourg, à un moment où Joseph II voulait se rapprocher de la Russie. Ce fut le poste diplomatique le plus important de sa carrière, puisqu'il l'occupa pendant vingt ans. Il eut tout de suite de bonnes relations avec Catherine II, ses ministres et Potemkine; il était également très apprécié de son collègue français Ségur. A partir de 1792, Catherine se vengea du changement de politique des Habsbourg en le traitant avec mépris, et il eut à subir de multiples avanies. C'est lui qui négocia le troisième traité de partage de la Pologne et qui, en 1796, obtint de la tsarine la promesse d'un corps expéditionnaire de 60 000 hommes qui viendrait au secours de l'Autriche. Avec l'avènement de Paul Ier, la position de Cobenzl devint encore plus difficile, puisque le tsar ne cachait pas sa sympathie pour la Prusse qui venait de signer la paix avec la République française. Rappelé à Vienne en avril 1797, Cobenzl eut la charge d'affronter les colères de Bonaparte et de négocier le traité de Campo-Formio, qu'il signa le 17 octobre 1797. Il fut ensuite envoyé au congrès de Rastatt et signa la convention d'évacuation de Mayence. Rappelé à Vienne comme successeur désigné du chancelier Thugut, le 13 avril 1798, il croisa à Braunau le général Bernadotte, ambassadeur de la République, qui venait de quitter Vienne à la suite d'une émeute antifrançaise. Le 30 avril, il fut nommé ministre des Affaires étrangères par intérim, mais Thugut demeura le maître de la diplomatie. Cobenzl retourna à Rastatt, où six semaines de négociations avec François de Neufchâteau montrèrent que les points de vue étaient inconciliables sur la rive gauche du Rhin. C'est pourquoi Cobenzl rentra définitivement à Vienne fin juillet 1798 avant de rejoindre son poste à Saint-Pétersbourg, au moment où l'intervention russe allait être déterminante pour la deuxième coalition. Ce dernier séjour aux bords de la Néva fut bref, et l'humeur versatile du tsar rendait la tâche de Cobenzl malaisée; malgré l'avis de Thugut, il se montra souple et fit des concessions de détail pour conserver l'indispensable alliance russe; après les échecs de Souvarov, le tsar entra en fureur et rappela ses troupes; en février 1800, il exigea le rappel de Cobenzl, qui déclara que personne ne l'avait jamais tant fait souffrir que Paul Ier.
Après un bref congé aux eaux de Carlsbad (Karlovy Vary), Cobenzl fut promu chef de la diplomatie autrichienne le 25 septembre 1800, car l'échec de la deuxième coalition rendait nécessaire le remplacement de Thugut, partisan de la guerre à outrance. C'est à ce titre que Cobenzl partit négocier la paix à Lunéville avec Joseph Bonaparte. Il regretta de n'avoir pas accepté les conditions françaises en novembre, car la défaite autrichienne de Hohenlinden le plaça dans une situation d'infériorité, et il fut obligé d'accepter l'<< oukase>> de Bonaparte le 9 février 1801. Il se rendit à Paris, rencontra Mme de Staël, fréquenta les salons, mais le Premier Consul demeura intraitable. A son retour à Vienne, le 18 septembre 1801, Cobenzl devint effectivement ministre avec le titre de vice-chancelier de Cour et d'État; à la différence de Kaunitz, il n'avait pas la haute main sur la conduite des affaires, car le comte Colloredo, ancien précepteur de l'Empereur, avait toute la confiance de François II et traitait directement avec lui. Il devait en outre compter avec l'archiduc Charles, hostile à sa politique d'apaisement.
Le ministère Cobenzl passe pour la période la plus malheureuse de l'histoire de l'ancienne Autriche, et son action a été en particulier critiquée par Frédéric von Gentz qui n'a jamais été mis au courant de tous les secrets d'État. Il est certain que les qualités d'habile diplomate de Louis Cobenzl convenaient mal à une époque aussi troublée. Un excellent diplomate n'est pas forcément un homme d'État, et il n'a pas su tirer parti des transformations du Reich pour maintenir les positions de l'Autriche en Allemagne. Il n'a pas été capable d'opérer à temps un rapprochement avec la Prusse, ni même avec la Russie après l'avènement d'Alexandre Ier, dont il estimait les exigences aussi redoutables que les rebuffades de son père. Stadion, son successeur à Saint-Pétersbourg, poussa à l'alliance et à la rupture avec la France; Cobenzl et Colloredo se rallièrent à cette solution pour empêcher le tsar de s'entendre avec Napoléon, et l'on partagea l'Italie afin d'éviter les brouilles après la victoire. L'empereur François et les archiducs étaient réticents et l'on a rendu Cobenzl responsable des plans et de la défaite d'Austerlitz. Le 24 décembre 1805, il fut congédié et remplacé par Stadion, tandis que la paix de Presbourg consacrait la perte des territoires acquis par l'Autriche à Campo-Formio, en partie grâce à l'habileté de Cobenzl. Celui-ci mourut le 22 février 1809, mais il jugeait avec scepticisme les préparatifs de revanche: « C'est David qui marche contre Alexandre »Cobenzl n'a pas eu une vie heureuse et réussie, bien qu'il ait été l'un des diplomates les plus capables et les plus travailleurs du siècle des Lumières. Il a laissé une masse considérable de papiers de valeur (car, s'il négociait le jour, il rédigeait la nuit) où il s'est affirmé un véritable écrivain et un historien.
Jean Bérenger
Source: Dictionnaire Napoléon/Jean Tulard, dir. Paris: Fayard, 1987.