DELILLE, Jacques, (1738-1813), poète

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Delille Jacques, né le 22 juin 1738 à Aiguerperse, près de Clermont, fut reconnu par Antoine Montanier, avocat au Parlement ; sa mère, qui appartenait à la famille du chancelier de l’Hôpital, dut l’abandonner à sa naissance.

Une maigre pension léguée par son père, lui permit de faire de bonnes études au collège de Lisieux, à Paris. Excellent latiniste, il entra dans l'enseignement pour gagner sa vie. Après d'humbles débuts, il devint professeur d'humanités dans divers collèges et commença à se faire connaître par des odes, des épitres et d'élégantes traductions en vers d'auteurs anciens. Celle des Géorgiques de Virgile, que précédait un remarquable Discours préliminaire, le rendit célèbre dès sa publication à la fin de 1769. Voltaire, qui régnait alors sur le monde des lettres, l'engagea à se présenter à l'Académie, qui l'élit en 1772. Mais sa trop grande jeunesse ayant déplu au Roi, son élection ne fut pas confirmée. Delille se représenta deux ans plus tard au fauteuil laissé vide par la mort de La Condamine. Il fut à nouveau élu et le Roi l'accepta alors avec des témoignages d'estime qui réparèrent ce que son refus avait eu de désobligeant.

Son grand poème Les Jardins (1780), considéré comme un chef-d'oeuvre du genre descriptif, accrut si bien la renommée de Delille que Voltaire étant mort, il apparut comme le plus grand poète français. Il remportait de vifs succès dans les salons en récitant ses ouvrages, d'une voix si harmonieuse et nuancée, qu'elle plongeait les auditeurs dans le ravissement. Le comte d'Artois, frère du roi Louis XVI, lui accorda sa faveur et lui donna l'abbaye de Saint-Séverin, bénéfice simple qui n'exigeait pas l'engagement dans les ordres sacrés : mais Delille fut désormais paré du titre d'abbé.
On ignore les raisons précises qui l'amenèrent à s'embarquer en 1786 pour l'Orient avec le comte de Choiseul-Gouffier. Peut-être était-il animé par le secret espoir de connaître la Grèce ? Il y parvint, en effet, et s'enthousiasma en apercevant les ruines d'Athènes. Mais déjà sa vue faiblissait au point de l'empêcher de pleinement jouir de la beauté des sites antiques. Un long séjour à Constantinople lui inspira son poème de l'Imagination. À son retour à Paris, il occupa la chaire de poésie latine qui attira au Collège de France une foule d'auditeurs charmés par son rare talent de lecteur et de déclamateur. Divers bénéfices et des pensions lui assuraient une existence agréable qu'anéantit la Révolution.
Arrêté, puis relâché, il n'émigra pas tout de suite, ne s'y résignant qu'en 1794, après thermidor. Ayant achevé à Saint-Dié sa traduction de l'Enéide à laquelle il travaillait depuis de longues années, il passa par la Suisse où il acheva l'Homme des champs et Les Trois règnes de la Nature, l'Allemagne, où il composa le poème de La Pitié, éloge de la famille royale martyrisée ; puis se fixa à Londres. C'est là qu'avec l'aide du chevalier de Mervé, un émigré français devenu professeur d'anglais, il traduisit en vers le vaste poème épique de Milton, Le Paradis perdu ; quinze mois de travail acharné qui s'achevèrent par une attaque de paralysie.

En 1801, Delille revient à Paris, reprend ses travaux au Collège de France et ne tardera pas à retrouver sa place à l’Académie réorganisée.

Il va dans le monde où l'on acclame à nouveau son talent de récitant. Malgré sa vue perdue et sa santé devenue très fragile, il est resté doux et spirituel. Aux rééditions de ses anciens ouvrages, il joint la publication des poèmes écrits en exil : La Pitié (1803), L'Enéide (1804), Le Paradis perdu (1805), L'Imagination (1806), Les Trois Règnes de la Nature (1809), La Conversation (1812). Ce dernier ouvrage révèle, hélas ! que le talent du poète s'affaiblissait beaucoup. Une cinquième et ultime attaque de paralysie met fin à ses jours le Ier mai 1813.

 
Son cadavre embaumé et rhabillé fut exposé, le visage découvert, le front couronné de lauriers, dans la grande salle du Collège de France, toutes portes ouvertes. Pendant trois jours, le peuple en foule défila en hommage. Aucun écrivain n'avait jusqu'alors reçu de tels honneurs. Ses élèves portèrent son cercueil à travers la foule jusqu'à l'église Saint-Etienne du Mont. Les quatres coins du drap mortuaire étaient tenus par le comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély, ministre d'État et le comte de Ségur, grand-maître des Cérémonies, tous deux membres de l'Académie française ; l'évêque de Casal, chancelier de l'Université et M. Delambre, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. Après la cérémonie religieuse, le cortège marchant aux flambeaux se rendit au cimetière du Père Lachaise, envahi par de nombreux spectateurs. D'éloquents éloges furent prononcés sur sa tombe ; celui de M. Delambre fit verser des pleurs à toute l'assistance.
Petit et chétif, avec un gros nez retroussé placé entre deux yeux éteints dans un visage en zig-zag, coupé par une grande bouche, il avait épousé en exil, après une longue liaison, une prétendue nièce, Mlle Vauchamp, ardente royaliste qui s'opposa toujours à ce qu'il écrivit quoi que ce fût à la louange de Napoléon. Le poète gardait néanmoins une secrète reconnaissance à celui qui l'avait laissé reprendre sa place dans le monde des lettres, bien que le sachant chantre et apologiste des Bourbons. On disait que Madame Delille restait enfermée dans une chambre avec son mari tant qu'il ne lui avait pas dicté le nombre de vers convenu pour la journée. Quand l'inspiration tardait à se manifester, la mégère devenait violente, brutalisant et gorgeant de café le pauvre aveugle qui, à grand'peine versifiait, versifiait, versifiait.

Poète classique dépourvu de génie, dont les meilleurs ouvrages furent des bucoliques et des traductions. Delille n'avait à sa lyre que deux cordes : la descriptive et la didactique, qui vibraient avec élégance mais sans passion. La place éminente qu'il occupait de son temps, permet de mesurer la médiocrité de ses émules, car personne n'aurait osé se prétendre son rival.

Auteur : Charles-Otto Zieseniss
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 356
Mois : 12
Année : 1987
Pages : 37

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