DEYEUX, Nicolas, (1745-1837), pharmacien

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Nicolas Deyeux naquit à Paris, le 21 mars 1745 dans une famille originaire de l’île d’Yeu.

Il était le fils de Didier Deyeux, paroissien de Saint-Louis-en-l'Ile, qui décéda le 31 mars 1789 et de Marie Anne-Victoire Pia, dont le frère Philippe-Nicolas, apothicaire rue du Four, à proximité du carrefour de la Croix-Rouge, s'était fait une spécialité de la réanimation des noyés.
Après avoir fait ses études au collège Mazarin, Nicolas qui passe pour avoir été un fort bel homme fut l'élève de son oncle ; le charme du neveu ne fut pas étranger à la vogue de son officine où, à la fin du règne de Louis XV, les jolies femmes affluaient pour y acheter ce qu'on appelle aujourd'hui des produits de beauté. Certaines élégantes demandaient même que le jeune préparateur vint leur livrer à domicile leurs commandes, non sans arrière-pensées de galanterie, d'autant plus que le beau garçon aimait – et aima toute sa vie – entendre et raconter des histoires gaillardes, voire érotiques.
 
Reçu maître en pharmacie en 1772, il succéda alors à son oncle et tint son officine pendant quinze ans ; mais, plus attiré par la recherche que par le commerce des médicaments, il vendit son fonds en 1787 à J. P. Boudet et se retira rue de Tournon. Entre temps, il avait épousé Thérèse-Denise-Rosalie Moreau, qui lui donna le 15 juillet 1789, un fils unique prénommé Didier-Théophile.

Depuis 1777, il était démonstrateur au collège de Pharmacie qui venait tout juste d’être créé.

Il y enseigna par la suite la chimie médicale et publia seul ou en collaboration de nombreux articles dans le Journal de Physique, les Annales de Chimie et le Journal de la Pharmacie. Il concourut notamment à la rédaction du rapport de son ami Parmentier sur l'analyse du sang. En 1790, il fit paraître un mémoire comparatif sur les propriétés physiques et chimiques des laits de femme, de vache, de chèvre, de brebis, d'ânesse et de jument, qui lui valut le premier prix de la Société royale de Médecine. Il s'intéressa toujours par la suite à l'amélioration des produits laitiers (beurre et fromages).
On connaît aussi de lui des études sur l'opium, sur la noix de galle et sur l'acide gallique. On lui attribue un mémoire, établi en collaboration avec Herbin, sur la maladie de la pierre et la dissolution du calcul humain dans des substances propres à l'attaquer. Il donna aussi une nouvelle édition annotée du -Théâtre de la Nature-, d'Olivier de Serres (1539-1619).

La Révolution faillit être fatale à Deyeux. Son frère, prénommé Claude-Didier, notaire à Paris, fut poursuivi pour ses activités royalistes et, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire le 19 messidor de l'an II – c'est-à-dire le 7 juillet 1794 – guillotiné deux jours plus tard. Or, ce frère resté célibataire avait testé en faveur de Nicolas, qui, estimant le testament bien compromettant le détruisit juste avant que des sectionnaires ne vinssent perquisitionner chez lui. Il ne dut, d'échapper à leurs recherches qu'au dévouement d'un astucieux domestique, qui le cacha dans une malle.
Il reprit ensuite ses travaux scientifiques et le 25 novembre 1797, fut élu membre de la section de chimie de la Classe de Physique et Mathématiques du nouvel Institut de France. Il continua à professer à l'Ecole de Pharmacie et, le 6 juillet 1802, il fut nommé, par le préfet Dubois, membre du Conseil de salubrité et d'hygiène du département de la Seine, aux côtés de Cadet de Vaux, frère puîné du défunt mari de la mère de Cadet de Gassicourt.

Quand fut organisé en 1804, le service de santé de la Maison impériale, il fut sollicité par Corvisart, Premier médecin de l’Empereur, pour devenir son Premier pharmacien,

et nommé à ce poste par décret signé à Saint-Cloud, le 18 juillet 1804, avec des appointements annuels de six mille francs ; mais ce n'avait pas été sans réticences qu'il avait accepté cet emploi ; il avait mis comme condition formelle de n'avoir jamais à quitter Paris ni à participer à des campagnes militaires. Napoléon avait accédé à ces exigences, après que l'intéressé lui eût expliqué qu'il n'avait aucune bravoure et avait une peur panique de la mort. Deyeux n'était d'ailleurs pas un homme de caractère, il était indécis, irrésolu, susceptible, ne pardonnait pas la moindre offense et n'avait que très peu d'amis.
Il était par contre aussi honnête qu'avare et les missions qu'il eut à remplir, le mirent souvent à rude épreuve au cours des dix ans qu'il passa à la tête de la pharmacie de la Cour, qu'il dut essentiellement organiser et gérer. Ce fut là une tâche aussi ingrate que difficile.
Il était assisté par des pharmaciens ordinaires – deux en principe – et des aides-pharmaciens. Parmi les premiers, on relève les noms de Clarion (1776-1844) botaniste et médecin, qui avait été son préparateur et s'occupa de la pharmacie du château de Saint-Cloud, de Cadet de Gassicourt (1769-1821), de Bouillon-Lagrange, à qui succéda Rouyer (1769-1831). Ceux-ci, qui étaient tous des civils, à ne pas confondre avec les pharmaciens militaires des armées – à qui ils étaient cependant assimilés en campagne – devaient statutairement faire partie, à tour de rôle, de la grande ambulance de campagne, accompagnant Napoléon dans ses déplacements.
Ce fut ainsi que Bouillon-Lagrange aurait participé aux opérations de 1805 à 1807, avant de passer au service de l'impératrice Joséphine, auprès de qui il resta après son divorce. On sait avec certitude que Cadet de Gassicourt alla en Autriche en 1809 et il est probable que Rouyer participa aux campagnes d'Espagne de 1808, de Russie de 1812 et de Saxe de 1813. Il faut cependant reconnaître qu'on est assez mal renseigné sur le fonctionnement du service pharmaceutique de la grande ambulance, pendant les opérations militaires

En tout cas ce qui est sûr, c’est que la pharmacie sédentaire de la Cour donnait lieu à des récriminations,

au point qu'au début de 1812, Napoléon, victime d'une indisposition, entra un jour dans une violente colère et le 21 mars, il ordonna de créer aux Tuileries mêmes une vaste pharmacie d'accès commode et parfaitement approvisionnée, ainsi que des petites annexes dans chacun des palais où il était appelé à résider.
Jusque-là, la fourniture des médicaments était l'affaire de l'officine de Cadet de Gassicourt, installée rue du Coq (aujourd'hui rue Marengo) à proximité des Tuileries. Le pharmacien ordinaire en profitait, dit-on, pour établir des factures salées dont le règlement arrondissait notablement ses trois mille francs annuels d'appointements. Il en résultait chaque fois des différends avec les services du Grand-maréchal et l'Intendance générale de la Cour.
Duroc voulut en effet que la pharmacie fut installée dans une dépendance du palais, avec une salle d'opérations attenant ainsi qu'un dépositoire où seraient éventuellement transportés les corps des personnes venant à décéder aux Tuileries, de façon à soustraire à la vue des souverains le triste spectacle des convois et autres cérémonies funêbres.
Ce n'était pas là un travail bien passionnant pour un savant comme Deyeux, qui fut aussi invité assez sèchement à faire personnellement, une enquête au sujet de caisses de médicaments destinés à l'Espagne, qui avaient été égarées ou détournées. Ce fut à cette époque que, ces travaux administratifs l'ayant aigri, il se brouilla complètement avec son adjoint Cadet de Gassicourt qu'il accusait, non sans raison, de forcer sur les prix de ses fournitures.
Heureusement, il reçut alors de Corvisart la – délicate – mission pseudo-pharmaceutique de confectionner lui-même – car c'était là secret d'Etat – les pilules à base de -mica panis- – mie de pain – dont le célèbre médecin avait ordonné l'absorption à l'impératrice Marie-Louise, pour soigner ses maladies imaginaires. Le pharmacien en aurait profité pour faire porter ses appointements à huit mille francs par an, à moins – et on peut l'espérer – que cette augmentation n'ait alors récompensé la collaboration apportée à Delessert pour la mise au point de la fabrication du sucre de betterave.

Devenu septuagénaire, Deyeux ne reprit pas son service durant les Cent-Jours, pas plus d’ailleurs que Clarion.

Ce fut Cadet de Gassicourt qui assuma alors, sans être jamais nommé officiellement Premier pharmacien, la direction du service. Rouyer alla remplacer Clarion à Saint-Cloud et deux nouveaux pharmaciens ordinaires, préposés aux ambulances de campagne. Fourey et Morin, furent désignés. Un des deux participa vraisemblablement à la campagne de Belgique et aurait accompagné Napoléon à son retour de Waterloo.
Deyeux, qui avait reçu de l'Empereur, la croix de chevalier de la Légion d'honneur, continua son professorat sous la Restauration, fut nommé en 1816 membre de l'Académie de médecine, mais fut destitué de sa chaire le 18 novembre 1822 à la suite d'un chahut d'étudiants. Louis-Philippe le réintégra dans le corps professoral le 5 octobre 1830, mais, vu son grand âge, il n'exerça plus. Il vécut encore sept ans et mourut à Passy, le 25 avril 1837, à l'âge de quatre-vingt douze ans.
Son fils – unique, semble-t-il – Didier-Théophile fut sous l'Empire, auditeur au conseil d'Etat. Il composa en 1811 un poême intitulé -Espérance et souvenir- à l'occasion de la naissance du roi de Rome, puis en 1815, -Atavisme ou opportunisme ?- une cantate pour le retour du Roi. Il avait épousé une cousine maternelle, Victorine-Emilie Moreau, et, réputé homme de lettres, mourut au 7 de la rue Garancière, le 12 mai 1849. Il laissait deux enfants : un fils, Nicolas-Théophile, né en 1813, qui fut avocat, épousa le 14 décembre 1839 Mélite-Agathe Laureau, qui, fille d'un avocat parisien, lui donna au moins trois enfants, Didier-Emile en 1840, Victorine-Claire en 1842 et Alexandre-Albert en 1845 ; et une fille, Thérèse-Louise née le 4 juin 1819, mariée le 25 juillet 1837, à l'avocat Juste-Charles Seillière, demeurant alors 10 rue de la Michodière.

Il existe encore, mais en voie d'extinction, une descendance du Premier pharmacien de Napoléon.

Auteur : Colonel Henri Ramé
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 360
Mois : 08
Année : 1988
Pages : 31-32

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