DIDOT, Famille (1689-1871), imprimeurs

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Pendant tout le dix-huitième siècle et jusqu’à la chute du Second Empire, pas moins d’une douzaine de personnages portant le nom de Didot assurèrent la célébrité d’une vieille famille originaire de Lorraine, qui s’était alliée dès la fin du seizième siècle à tout ce que la capitale comptait d’illustre dans la librairie et l’imprimerie.

Sa notoriété commence réellement avec François Didot (1689-1757) qui, né à Paris, de Denys et de Marie Le Mure, fut reçu libraire en 1713 et maître imprimeur en 1754. Installé d'abord rue Pavée Saint-André des Arts, il ouvrit ensuite son magasin sur le quai des Augustins, à l'enseigne de « la Bible d'or ». Il employa comme correcteur le futur cardinal de Bernis et fut l'ami intime de l'abbé Prévost, qui mourut même chez lui. De son mariage avec Marguerite Ravenel, fille de libraire, il n'eut pas moins de onze enfants ; trois de ses filles épousèrent des libraires, mais ce furent deux de ses fils qui ajoutèrent de l'éclat à son nom : François-Ambroise, dit l'aîné, (1730-1804) lui succèda comme imprimeur, et Pierre-François (1731-1795) hérita de la librairie, avant de s'adonner, lui aussi, à l'impression.

François-Ambroise, dit l'aîné, (1730-1804), lui, se dévoua totalement au métier d'imprimeur, bien qu'il ait été aussi reçu libraire en 1753.
Il monta rue Pavée Saint-André-des-Arts une fonderie et fit graver des caractères d'une remarquable élégance. Ayant inventé la presse à un coup et régularisé mathématiquement la force des caractères en utilisant le système des points typographiques, il travailla à l'amélioration du papier et mit au point avec les Johannot, d'Annonay, ce qu'il appela le Vélin, sur lequel il imprima « le Poème des Jardins » de l'abbé Delille, à l'intention du comte d'Artois. Il commença l'édition d'une collection de trente-deux volumes d'oeuvres classiques, destinée à l'éducation du Dauphin. Il fit aussi paraître « le Jérusalem délivrée » du Tasse, à la demande du frère du Roi, le futur Louis XVIII. Il devint imprimeur du clergé, à la veille de la Révolution et cessa son activité dès 1789. Son épouse Antoinette Voisin, lui donna notamment deux fils: Pierre et Firmin, qui continuèrent brillamment ses travaux, Pierre à la tête de l'imprimerie et Firmin, de la fonderie. Il décéda le 10 juillet 1804.

Son frère cadet, Pierre-François (1731-1795) succéda au père dans le commerce des livres. Adjoint à la chambre syndicale de la Librairie dès 1769, il devint, quatre ans plus tard, le libraire attitré de la Faculté de Médecine. Il fit éditer bon nombre d'ouvrages de métaphysique, de physique, d'histoire naturelle, d'anatomie, de chirurgie, de chimie et même d'alchimie. Reçu à son tour imprimeur en 1777, il reprit alors l'ancienne imprimerie du comte de Provence, que dirigeait Philippe Vincent, rue du Hurepoix. Pendant les huit ans, qui précédèrent la Révolution, il publia « l'Almanach de Monsieur » et, en 1789, il acheta les papeteries d'Essonnes. Il exerça aussi l'art et la profession de graveur et fondeur de caractères d'imprimerie dans un atelier attenant à sa librairie, au 22 du quai des Augustins. Il associa alors à ses affaires son gendre, Bernardin de Saint-Pierre, dont il publia évidemment « Paul et Virginie ». Il collabora étroitement jusqu'à sa mort, survenue le 7 décembre 1795, avec ses fils.

Ce furent ceux-ci, ainsi que leurs cousins de la branche aînée, dont il sera question plus loin, qui oeuvrèrent effectivement sous le Consulat et l’Empire. Trois des quatre fils de Pierre-François se firent une place enviée dans l’industrie du livre, au dix-neuvième siècle.

Pierre-Nicolas-Firmin, dit le Jeune, fut, comme son père, l'imprimeur de l'Ecole de Médecine, utilisa de son mieux les caractères créés par son frère Henri et publia une très belle édition du « Voyage du jeune Anacharsis en Grèce » de l'abbé Barthélemy.
Henri (1765-1852), époux de la fille du libraire Saugrain, fut un habile graveur et fondeur de caractères qu'il commercialisa. On lui doit le premier moule à refouloir, exposé en 1806, qui fut à l'origine de la machine à fondre, dont le moule polyamatique fut la première réalisation. Il céda ensuite son fonds à son neveu Marcellin Legrand.
 
Léger, dit Didot-Saint-Léger (1767-1829) fut essentiellement papetier; il développa l'usine paternelle d'Essonnes, en créa d'autres et, avec son contre-maître Robert, mit au point les premières machines à papier sans fin, d'abord fabriquées en Angleterre, sous le nom de « Didot's mechanics ». Son fils Edouard (1797-1825) s'adonna à l'étude de la littérature anglaise.

Mais ce furent leurs cousins-germains de la branche aînée, les fils de François-Ambroise, qui donnèrent alors le plus grand lustre à la famille Didot.

Pierre, dit Didot l'aîné (1761-1853) fit ses études au collège d'Harcourt et fut reçu libraire en 1785. Il épousa Marie-Victoire Rigaud, qui lui donna un fils, Jules, qui, né en 1794, lui succéda dans son magasin de la rue du Pont de Lodi, perdit la raison en 1838 et mourut en 1871. Pierre, lui, décéda le 31 décembre 1853, à l'âge de soixante-quinze ans, après une longue carrière consacrée aux Arts et aux Lettres. Imprimeur du Sénat dès 1800, il le fut ensuite des cours consulaire, impériale puis royale, avec l'autorisation d'installer ses presses au Louvre même. Dès 1798, l'édition d'ouvrages particulièrement remarquables comportant de magnifiques illustrations le mit au rang des premiers imprimeurs du monde. Déjà couronné en 1801, son « Racine », dédié au Premier Consul fut proclamé « la plus parfaite production typographique de tous les pays et de tous les âges », par le jury de l'Exposition universelle de Londres de 1851.
La liste des oeuvres essentiellement classiques, qui sortirent de ses presses, est des plus longues. Il s'exerça à la poésie pour chanter son art. Décoré de l'Ordre de la Réunion par Napoléon, il reçut de Louis XVIII la croix de Saint-Michel.

Son demi-frère, Firmin, né le 14 avril 1761, moins de trois mois après la venue au monde de Pierre, le 25 janvier précédent était le fils naturel et reconnu de François-Ambroise et fut le plus illustre personnage de la lignée, si bien qu'il obtint, pour ses descendants, le droit de s'appeler désormais Firmin-Didot. Après avoir étudié les langues anciennes, et été un remarquable graveur de caractères, à l'école de Wafflard, il soutint brillamment le renom de sa famille, tout en se livrant à son penchant naturel pour la littérature. Il prit, en 1789, la direction de la fonderie paternelle, à laquelle il apporta de très grandes améliorations. Il fut chargé par l'Assemblée Nationale de la fabrication des assignats, dont il s'ingénia à rendre difficile la contrefaçon; en 1795, il imprima la table de logarithmes de Callet, grâce à un nouveau procédé de stéréotypie, puis il s'attaqua au difficile problème de l'impression des cartes géographiques en plusieurs couleurs. Il avait installé dans l'Eure, à Mesnil-sur-l'Estrée un établissement réunissant toutes les branches de l'art typographique et une fabrique de papier sans fin; il en fit une véritable école d'enseignement professionnel où vinrent se former de très nombreux imprimeurs français et étrangers. Imprimeur de l'Institut en 1811, il reçut la croix de chevalier de la Légion d'honneur en 1819. L'édition de la « Henriade » lui valut une médaille d'or en 1823, mais il avait déjà édité de façon remarquable, dès 1817, les « Lusiades » du poète portugais Camoëns, aux frais de leur traducteur, M. de Souza-Botelho, le beau-père du comte de Flahaut.

Cette intense activité professionnelle se combina avec le goût des voyages – en Italie, en Grèce et en Espagne – et celui de la littérature. Il écrivit en fait deux tragédies et traduisit « Virgile et Théocrite »… Mais son désir de perfectionnement de l'art typographique le conduisit à disperser la magnifique bibliothèque qu'il avait constituée pour financer le développement de ses affaires, dont il quitta la direction en 1827 au profit des trois fils qu'il avait eus de son mariage avec Denise Maginel, fille du syndic des orfèvres: Ambroise-Firmin, qui fut un temps diplomate à Constantinople, Hyacinthe et Frédéric.
Ce fut alors qu'il se consacra à la politique en se faisant élire en 1827 député de Nogent-le-Rotrou, en Eure-et-Loir, et siégea dans l'opposition dans le groupe des Doctrinaires. Adversaire résolu du ministère dirigé par le prince de Polignac, il protesta contre les ordonnances de juillet 1830 et participa à l'organisation du gouvernement de Louis-Philippe, tout en refusant la direction de l'imprimerie royale. Réélu en 1834, il mourut au Mesnil-sur-l'Estrée le 24 avril 1836, à l'âge de soixante-quinze ans.
 

 
Ainsi donc, grâce à l'esprit industrieux et au goût artistique de ses membres, liés par une fidélité exemplaire à la profession de leurs ascendants, la famille Didot a donné un remarquable essor à l'industrie du livre en France, en particulier au début du XIXe siècle. Une très abondante bibliographie permet d'ailleurs de se faire une juste idée des multiples activités des hommes de valeur, qui ont grandement honoré les arts graphiques français.

Auteur : Colonel Henri Ramé
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 361
Mois : 10
Année : 1988
Pages : 21-22

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