DUBOIS, Louis-Nicolas, (1758-1847), préfet de police

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Louis-Nicolas Dubois, qui devait devenir le puissant préfet de police de Paris sous le Consulat et l’Empire, est né à Lille, le 20 janvier 1758, dans une vieille famille du Nord. Son père était bailli de Saint-Amand et siégeait aux États du Hainaut.

En 1776, Louis-Nicolas vient à Paris pour étudier le droit et la procédure chez un procureur du Châtelet et six ans plus tard, prête le serment d'avocat à la Grand-Chambre du Parlement de Paris. L'année suivante, en 1783, il achète une charge de procureur au Châtelet, où il a comme collègues Réal et Fouquier-Tinville, deux futurs jacobins.

La Révolution ayant réformé la justice et supprimé les procureurs, Dubois s'installe comme avoué en 1791, au 5, rue de Tournon (6e). Membre du Club des Cordeliers après le 10 août 1792, il s'abstient sous la Terreur de se mettre en avant et il est nommé juge au tribunal du 3e arrt, le 14 nivôse an III (3 janvier 1795), puis au tribunal civil de la Seine, le 1er frimaire an IV (22 novembre 1795).
En germinal an VII (avril 1799), une note anonyme et confidentielle concernant le personnel des tribunaux de la Seine porte sur Dubois l'appréciation suivante : « Il est incapable de contrarier les vues du gouvernement, mais, l'opinion publique ne se prononce pas en faveur de sa moralité et de son désintéressement ».
Abandonnant la magistrature, il est ensuite nommé commissaire du Directoire près la municipalité du 10e arrt, et, dans cette administration, il retrouve Réal, nommé, par Barras, commissaire du gouvernement près le département de Paris.
Apres le coup d'État de Brumaire, Réal fait entrer Dubois au Bureau central chargé de la police de Paris (Moniteur du 22 brumaire an VIII), avec Piïs et Dubos.
Sous le Consulat, la loi organique du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) sur l'organisation administrative de la France soumet Paris à un régime spécial, sans maire ni conseil municipal, sous la tutelle d'un préfet de police et d'un préfet de la Seine directement aux ordres du gouvernement.

Pour la nomination du préfet de police, Réal, conseiller d’État (1), en accord avec Fouché, ministre de la Police générale, propose Dubois dans des termes soigneusement pesés :

« Dubois, ancien juge et membre actuel du Bureau central, actif et infatigable. Ardent ami d'un ordre stable, ami de la liberté, connaissant parfaitement Paris. Longtemps commissaire, il a prouvé dans cette place ce qu'il pourrait dans une place plus élevée » (Bourrienne, Mémoires, t. 2, p.92).
Effectivement, sa nomination intervint le 17 ventôse an VIII (8 mars 1800).
En réalité, Fouché craignait qu'une personnalité forte (tels Roederer ou Alquier) devienne un concurrent dangereux pour lui et, à cet égard, la personnalité assez terne et l'absence de passé politique de Dubois lui convenaient parfaitement.
Tout d'abord, conscient de la reconnaissance qu'il devait à Fouché, le nouveau préfet de police accepte avec docilité que le ministre restreigne ses fonctions sinon en droit, du moins en fait, « aux filles, aux voleurs et aux réverbères ».
Néanmoins, Dubois, doué d'une grande puissance de travail, sait se faire apprécier par Bonaparte : il lui rend compte tous les soirs, à 11 heures, de la situation de Paris. D'autre part, en soutenant Dubois, le Premier Consul entendait faire contrepoids à l'influence de Fouché, dont il se méfiait.

Lors de la séance du conseil d'État du 20 floréal an X (10 mai 1802), Dubois intervient d'une manière décisive en faveur du Consulat-à-vie. Selon Bourrienne: « Une observation de Dubois exerça beaucoup d'influence sur la décision à intervenir. Dubois préfet de police, déclara que dans tous les rapports qui lui étaient faits journellement il résultait que l'opinion publique était généralement contraire au sénatus-consulte et que partout, on demandait hautement que le général Bonaparte fût nommé consul-à-vie et qu'on lui donnât le droit de choisir son successeur. Cette déclaration était d'un grand poids dans la bouche de l'homme qui devait le mieux connaître l'opinion » (Mémoires, t. 3, p. 70).
Le Premier Consul lui en sera reconnaissant. Dès lors, l'ascension de Dubois est rapide : il devient le tout puissant comte Dubois, conseiller d'État, chargé du 4e arrt de la police générale, préfet de police du département de la Seine et des communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon, commandant de la Légion d'honneur et haut dignitaire de la Franc-Maçonnerie (il en était « grand expert »).
Un portrait d'apparat, peint par Vignaud, le représente dans le costume de conseiller d'État, en habit et manteau bleu, avec chamarrures or et argent, debout contre une table, svelte et sec, la figure allongée et pâle, le regard fuyant: curieusement, il ressemble à Fouché. Prédisposition naturelle ou influence de la fonction?
Dubois, usant de ses pouvoirs, lutte contre le bruit (il interdit les « fanfares et cors de chasse ») et fixe le prix du pain : en 1803, la récolte de blé est bonne, le prix baisse; en 1807, elle est mauvaise, il faut l'augmenter (2).

En juin 1808, pendant que Napoléon est à Bayonne, Dubois découvre la première conspiration du général Malet, et de sa propre autorité, fait procéder à des arrestations (3), mais Fouché minimise l'affaire. On disait en riant au ministère de la police générale que le préfet de police rêvait de découvrir à lui seul une grande conspiration et qu'il le demandait chaque jour à Dieu dans sa prière.
Au point de vue administratif, Dubois empiétant sur les attributions de Frochot, préfet de la Seine, travaille à l'assainissement de Paris (rues, halles, marchés), agrandit le réseau des égouts et fait construire plusieurs kilomètres de quais.
Napoléon vient plusieurs fois inspecter les travaux de l'égout creusé sous la rue Saint-Denis. C'est ainsi que la foule voit soudain l'Empereur sortir de terre, place du Châtelet, avec son habit vert et son légendaire chapeau, accompagné de son préfet de police : devant cette apparition insolite, l'étonnement des Parisiens se transforme en enthousiasme.

Mais, à la suite de l’incendie de l’hôtel Schwarzenberg, le 1er juillet 1810, c’est la disgrâce.

Ce jour-là, le prince Schwarzenberg donnait un bal à l'ambassade d'Autriche, dans son hôtel de la Chaussée d'Antin, en l'honneur du mariage de Napoléon et de Marie-Louise. L'Empereur et l'Impératrice étaient là, avec vingt rois, reines, princes et princesses, une foule d'altesses impériales, royales ou grand-ducales, les maréchaux, les ambassadeurs, les ministres…
Alors que la fête battait son plein, une bougie enflamme un rideau de tulle et le feu se propage rapidement. Une épouvantable bousculade s'ensuivit, la princesse Pauline de Schwarzenberg, belle-soeur de l'ambassadeur, est brûlée vive; plusieurs personnes sont grièvement blessées (dont le prince Kourakine, ambassadeur de Russie, la générale Toussaint…). Des malandrins s'infiltrèrent et en profitèrent pour voler les bijoux des dames; ils arrachèrent même leurs boucles d'oreilles!
Napoléon avait entraîné Marie-Louise au dehors et pris la direction des secours.
Tout près de l'hôtel Schwarzenberg, Regnault de Saint-Jean d'Angély organise une ambulance dans le petit hôtel qu'il habitait, rue de Provence (nos54 et 56), pour recueillir et donner les premiers soins aux victimes (4).
Dubois est absent alors qu'il aurait dû être là, en tant que responsable de la police et des pompiers et comme invité. On raconte que Napoléon, durant la nuit, aurait demandé: « Mais, où est donc Dubois? ». « Dans son château, Sire ». « Eh bien! qu'il y reste » aurait déclaré l'Empereur (5).
Au petit jour, après qu'un formidable orage se soit abattu sur la ville, Napoléon remonte dans sa voiture pour regagner Saint-Cloud. Il paraissait très abattu et répéta plusieurs fois pendant le trajet: « Quelle terrible fête » (6).
La censure interdit toute relation dans les journaux. Le nombre des victimes demeure indéterminé : une soixantaine, une centaine? dont une dizaine de morts.

A la suite des carences qu’il avait constatées, Napoléon met fin aux fonctions du préfet de police Dubois :

le 14 octobre 1810, il est renvoyé au conseil d'État, section de l'Intérieur et remplacé, à la préfecture de police, par le baron Pasquier ; d'autre part, l'Empereur, par décret du 18 septembre 1811, décide la militarisation des sapeurs-pompiers de la ville de Paris.

Par ailleurs, la vie privée de Dubois était critiquée. En avril 1808, Pasquier écrivait: « Le préfet de police est enfin marié. Jusqu'ici il avait vécu avec plusieurs femmes sans en épouser aucune. Il en a eu plusieurs enfants qu'il a reconnus. La jeune et jolie femme (fille d'une domestique) qu'il vient d'épouser était sa maîtresse depuis deux ans » (Mémoires, t. 1, p. 408). De son côté, Réal racontait que la belle Madame Dubois trompait son vieux mari avec un jeune maître des Requêtes au conseil d'État.
A sa table, les invités étaient servis par des domestiques en livrée « or et argent, bleu et rouge ». Ils trouvaient sous leur serviette des morceaux « choisis » du marquis de Sade, alors enfermé à Charenton, d'où le succès de ces dîners. Mais, surtout, sa vénalité était généralement reconnue. Fouché et Pasquier sont d'accord: Dubois est accusé de se réserver une part sur les recettes de la ferme des jeux, voire même sur la taxe de la visite sanitaire des « filles publiques ». Il est vrai, ajoute Pasquier, qu'en gendre modèle, il consacrait cet argent à la toilette de sa belle-mère !.
 

Comme l'écrit Jean Tulard :
« Dubois est, dans ce domaine, indéfendable. L'ancien petit commissaire du gouvernement près la municipalité du 10e arrt quitta la préfecture propriétaire du château de Vitry et possesseur d'une fortune évaluée à plusieurs millions, ce que n'expliquait nullement le traitement de 30 000 francs par an qui lui était attribué en tant que préfet de police.
« Mais, il faut reconnaître que Dubois donna l'exemple de l'ardeur et de l'assiduité au travail. Sa tâche était plus complexe et plus difficile que celle de son collègue de la Seine et il sut la mener à bien en déployant de réels talents d'administrateur » (7).
Aussi bien, Napoléon continua-t-il de lui confier des missions au conseil d'État: en 1811, il est chargé d'une mission d'inspection des prisons avec le comte Corvetto (8); lors de la disette de 1811-1812, il est appelé au conseil des Subsistances.
En 1814, il se ralliait aux Bourbons; en 1815, lors des Cent-Jours, il est élu député de la Seine à la chambre des représentants; sous la Seconde Restauration, il se retire de la vie publique et désormais se contente de gérer son importante fortune.
Il mourut aveugle à Paris, le 25 décembre 1847, âgé de 89 ans.
 
Son fils, Eugène, Joseph, Napoléon, Louis (1812-1868), élève de l'École polytechnique en 1832, fit carrière au conseil d'État. Il fut directeur général des chemins de fer sous le Second Empire, et maire de Vitry, où il mourut le 15 avril 1868.

Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 363
Mois : févr.
Année : 1989
Pages : 17-18
 

Notes

(1) Réal sera préfet de police pendant les Cent-Jours.
(2) Cambacérés, Lettres inédites à Napoléon (1973) présentées par Jean Tulard, t. 1, p. 422, no 526 et p. 429, no 534.
(3) Ibid. t. 2, p. 604, no 754.
(4) J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, t. 2, p. 307.
(5) Napoléon, éd. Rencontre, 1969, t. 3, p. 170.
(6) G. Lenotre, En suivant l'Empereur, 1935, t. 7, p. 163-164.
(7) J. Tulard, Paris et son administration 1800-1830 (1976), p. 120. Dictionnaire Napoléon (1987), p. 620.
(8) Voir Souvenir Napoléonien, no 344 – décembre 1985, p. 32.

 

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