C'est sous la seconde République, le 15 août 1851, que la Légion d'honneur fut décernée officiellement pour la première fois à une femme, Marie-Angélique Duchemin veuve Brulon, sous-lieutenant aux Invalides, en raison de ses services militaires sous la Révolution.
Née à Dinan (Côtes-du-Nord) le 20 janvier 1772, fille et soeur de soldats engagés dans les armées révolutionnaires, Marie-Angélique Duchemin épouse un soldat nommé Brulon, et le suit avec son régiment (le 42e en Corse). Après les morts rapprochés de son mari puis de son père, Marie-Angélique décide, à 20 ans, de rester au sein du 42e régiment, où elle devient caporal, caporal fourrier, puis sergent-major.
Elle s'illustre notamment lors de la défense du fort de Gesco, le 24 mai 1794, comme en témoignent les commentaires de ses compagnons de guerre : « Nous soussignés, caporal et soldats du détachement du 42e régiment, en garnison à Calvi, certifions et attestons que, le 5 prairial an II, la citoyenne Marie Angélique Josèphe Duchemin, veuve Brulon, caporal fourrier, faisant fonction de sergent, nous commandait à l'affaire du fort de Gesco ; qu'elle s'est battue avec nous avec le courage d'une héroïne; que les rebelles corses et les Anglais ayant chargé d'assaut, nous fûmes obligés de nous battre à l'arme blanche ; qu'elle a reçu un coup de sabre au bras droit et, un moment après, un coup de stylet au bras gauche, que nous voyant manquer de munitions, à minuit, elle partit, quoique blessée, pour Calvi, à une demi-lieue, où, par le zèle et le courage d'une vraie républicaine, elle fit lever et charger de munitions environ soixante femmes, qu'elle nous amena elle-même escortée de quatre hommes, ce qui nous mit à même de repousser l'ennemi et de conserver le fort, et qu'enfin nous n'avons qu'à nous louer de son commandement ».
Mais lors du siège de Calvi en 1794, elle est grièvement blessée et est admise à l'hôtel des Invalides, où elle restera jusqu'à sa mort le 13 juillet 1859.
En 1804, le maréchal Sérurier sollicite la Légion d'honneur pour la veuve Brulon, sans réponse favorable. Sous la Restauration, Marie-Angélique reçoit l'épaulette d'officier mais toujours pas la croix de la Légion d'honneur.
Le 15 août 1851, le Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte décide donc de distinguer Marie-Angélique Brulon. Cette femme, âgée alors de 79 ans, représente en effet un symbole fort, celui d'une femme ayant combattu au cours des guerres de la Révolution, un héritage auquel Louis-Napoléon Bonaparte souhaite associer son image, à l'aube du coup d'État du 2 décembre 1851.
Irène Delage, mars 2007