Fils d’apothicaire, lui-même médecin et chimiste, Fourcroy avait enseigné dès les années 1780 dans les écoles de médecine parisiennes, était passé par le Jardin du roi auprès de Buffon, avait été éditeur des œuvres de Lavoisier et lui-même auteur d’ouvrages et articles faisant autorité dans ces matières. Secrétaire puis membre de l’Académie des Sciences, il avait été adjoint de Condorcet au secrétariat perpétuel.
Savant et enseignant, Fourcroy avait aussi une expérience administrative puisqu’il avait dirigé la société de médecine et la société d’agriculture de Paris, avant de devenir régisseur des Poudres et des Salpêtres (création de Lavoisier) et, au début de 1793, administrateur du département de Paris. Député suppléant de Paris à la Convention, il finit par y siéger en remplacement de Marat, assassiné le 13 juillet 1793. Il entra dès ce moment au Comité d’instruction publique, domaine qui deviendra sa spécialité.
Un spécialiste de l’instruction publique dès la Révolution
Ses premiers jours de fonction correspondirent à la discussion devant la Convention du plan d’éducation préparé par Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau, assassiné lui aussi en janvier 1793. Solennellement présenté par Robespierre en personne, il prévoyait la généralisation d’un enseignement public mixte et obligatoire pour tous les enfants de 5 à 12 ans, placés en internat aux frais de la République. Discuté avec ferveur et applaudi avec enthousiasme, ce plan ne fut ni appliqué, ni adopté. Dans les rapports qu’il présenta sur différents aspects de ce texte généreux et neuf, Fourcroy laissa paraître ses doutes sur ses chances de réussir. Sans doute était-il plus proche des idées de Condorcet, plus élitistes, présentées en janvier et avril 1792 à la Législative et dont plusieurs points seront repris dans la loi de 1802, notamment la nomenclature des établissements, du primaire au supérieur.
À la même époque, Fourcroy travailla avec Monge à la création de l’École centrale des travaux publics, projet qu’il présentera d’ailleurs à la Convention. L’école sera fondée le 28 septembre 1794 et renommée « École polytechnique » par la loi du 15 fructidor an III (1er septembre 1795). Il attachera encore son nom à la création des écoles centrales (loi du 3 brumaire an IV, 25 octobre 1795), à la réorganisation des écoles de médecines et à celle de l’Institut national. Il resta un des spécialistes « éducation » du Conseil des Anciens sous le Directoire.
Conseiller d’État puis directeur général avec Napoléon
Après le 18 brumaire, le Premier Consul le nomma au Conseil d’État, section de l’Intérieur, dès le 25 décembre 1799. Il y fut le principal rédacteur de la loi du 1er mai 1802, qui nécessita une vingtaine de moutures. Il était donc logique qu’il fût appelé à remplacer Roederer, le premier directeur général (qui ne faisait pas l’affaire), ce qui fut donc fait, le 20 septembre 1802.
C’est donc lui qui suivit la création des lycées, des écoles de médecine, de pharmacie et de droit, en même temps que l’on perfectionnait le maillage des écoles communales et des collèges départementaux. Ce nouveau système éducatif qui permit d’accueillir sans doute un quart des petits garçons français dans les écoles primaires, les collèges et les lycées. Ajoutons encore à son bilan les textes sur les écoles de service public, les écoles de médecine et de pharmacie, etc..
Il n’abandonna pas pour autant ses cours au Muséum, à Polytechnique et d’autres établissements encore. Il publia plusieurs ouvrages de chimie et de physique, siégea à l’Institut et mena même des inspections en province. Il trouva encore le temps de fonder une usine de produits chimiques à Paris… (située rue Colombier, aujourd’hui 19 à 23 rue Jacob, 75006) y perdant une fortune, ce que Napoléon n’apprécia guère. Ses conseillers d’Etat devaient être irréprochables. Homme respecté dont la prestance était soulignée par ceux qui le croisaient, il perçut cependant quelques dividendes de son activité inlassable : Légion d’Honneur, titre de conseiller d’État à vie et plus tard comte de l’Empire.
À partir de l’automne 1805, il travailla au perfectionnement de l’enseignement commandé par l’empereur, qui allait aboutir à la fondation de l’Université impériale. Napoléon souhaitait en effet englober l’ensemble de l’Instruction publique dans une structure unique, selon la maxime : toute éducation publique appartient à l’État. Il reprenait ainsi un projet ancien, déjà développé sans succès par Turgot devant Louis XVI et repris sans plus de succès par la Constituante puis le Directoire. Sans doute fallait-il pour y parvenir un régime suffisamment fort et stable. C’était désormais le cas.
De conserve, Napoléon et Fourcroy décidèrent de commencer par l’organisation du corps enseignant. Le directeur de l’Instruction publique produisit ses premiers rapports au début de 1806, proposant de créer une Université impériale administrant tous les établissements publics du primaire, du secondaire et du supérieur et contrôlant les écoles secondaires privées. L’idée prospéra et, dès le 10 mai 1806, l’empereur promulgua une « loi relative à la formation d’un corps enseignant, sous le nom d’université impériale ». Ce texte ne comportait que trois articles prévoyant, d’une part, la création d’un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publics dans tout l’Empire et, d’autre part, que les membres de ce corps contracteraient des obligations « civiles, spéciales et temporaires », pour l’heure sans plus de précision. Le regretté Jean-Michel Gaillard a eu raison d’écrire : « Si c’est Charlemagne qui, dit-on, a inventé l’école, c’est bien Napoléon qui a créé un corps enseignant. Et l’Empereur, pour qui l’éducation était affaire d’État, n’a rien laissé au hasard ».
Les suites à donner à cette première loi furent actées par deux décrets des 17 mars et 17 septembre 1808 qui donnèrent véritablement vie à l’Université impériale. L’enseignement public de tout l’Empire en relevait désormais. Elle s’administrait en principe elle-même, par délégation du chef de l’État. Elle disposait pour remplir sa mission d’une administration centrale dirigée par un « grand-maître » (désigné par l’empereur). Ce grand-maître nommait à tous les emplois, délivrait les autorisations d’ouvrir les écoles (y compris les écoles privées), accordait les bourses et gérait le corps enseignant. Il était assisté d’un chancelier pour l’administration, d’un trésorier pour les finances (tous deux nommés par l’empereur), d’inspecteurs généraux (nommés par le grand-maître) et d’un conseil de l’Université de trente membres, dix nommés à vie par l’empereur, vingt nommés pour un an par le grand-maître. Le territoire de l’Empire était divisé en trente-deux circonscriptions universitaires appelées « académies » (une par ressort de cour d’appel) avec à leur tête un recteur assisté d’inspecteurs et d’un conseil académique de dix membres, tous nommés par le grand-maître. En dépit de l’importance et de l’étendue de ses compétences, l’Université impériale n’était pas un ministère, ainsi que Napoléon le rappela dans une lettre du 7 février 1810 : « Mon intention est que le grand-maître de l’Université jouisse de la considération convenable ; mais tout ce qui existe dans l’Empire est sous la surveillance de mes ministres ». La tutelle du ministère de l’Intérieur était donc maintenue.
Tout le monde –et sans doute lui-même- s’attendait à ce que Fourcroy soit nommé aux fonctions de grand-maître de l’Université. Un second décret du 17 mars 1808 nomma pourtant Louis de Fontanes. On a dit qu’à cette occasion, Napoléon avait préféré un fervent catholique (ce qui était utile dans le milieu de l’enseignement) et adulateur de la IVe dynastie (quoique royaliste modéré et ami de Chateaubriand), à un ancien jacobin, athée de surcroît, quand bien même celui-ci était le père de la réforme. Peut-être aussi l’empereur se rendit-il compte qu’à 54 ans seulement, Fourcroy était usé. Les discussions des décrets sur l’Université avaient été extraordinairement complexes, avec d’interminables débats (parfois dix heures de suite) au Conseil d’État, voire dans le cabinet de l’empereur. Fait comte de l’Empire (lettres patentes du 26 avril 1808), reversé au Conseil d’État et bien doté, Fourcroy ne survécut d’ailleurs que peu de temps à son départ de la direction générale : il mourut d’une crise cardiaque, le 16 décembre 1809, deux semaines après avoir été nommé directeur général des Mines, poste qu’il n’occupa donc pas.
Ses obsèques eurent lieu le 20 décembre à Saint-Médard, sa paroisse, en présence des autorités civiles et militaires, des grandes écoles de l’Université, de l’Institut, du Muséum d’histoire naturelle. Ses obsèques eurent lieu à l’église Saint-Médard, puis il fut inhumé au cimetière du Père Lachaise, dans la 11e division.
Fourcroy avait épousé vers 1785, Anne-Claude Bottinger (1764-1838), dont il eut deux enfants : Appoline (1782-1839) épousa le receveur général des finances Alexandre Floucaud (1780-1830), leurs enfants obtenant l’autorisation de porter également le nom de Fourcroy ; Nicolas fut tué à Lutzën le 2 mai 1813, à 26 ans. Divorcé vers 1795, Fourcoy épousa en secondes noces Adélaïde-Flore Belleville (1765-1838), veuve de l’architecte Charles de Wailly.
Thierry Lentz, historien, directeur général de la Fondation Napoléon
octobre 2022