Martin Garat est représentatif d’un monde qui, formé à la fin de l’Ancien Régime, sut arriver, sous le Consulat et l’Empire, aux postes clefs.
Avec lui on voit comment un financier efficace, bon administrateur, ayant le sens de l'opportunité, put traverser différents régimes jusqu'à la Restauration. Mais les distinctions qu'il reçut : un titre de baron sous l'Empire, la Légion d'honneur sous Louis XVIII, il les dut à ses seuls services à la Banque de France dont il fut l'un des fondateurs et le véritable organisateur.
Originaire d'Urcuray, près d'Hasparren (Pyrénées-Atlantiques), Pierre Garat, le père de Martin Garat, avait été reçu maître menuisier à Bayonne en 1736 et, la même année, le 13 novembre, avait épousé, en la paroisse Notre-Dame de Bayonne, Marie Darrigol. Le ménage aura treize enfants (1). En raison de cette nombreuse famille, Pierre Garat obtint, en 1754, de la ville de Bayonne, d'être exempté du guet et de la garde de la ville ainsi que du logement des gens de guerre. Il était locataire à Bayonne, rue de l'Evêché, d'une maison appartenant à la Visitation (2).
Les Garat de Bayonne
Martin, le dixième des treize enfants de Pierre Garat et de Marie Darrigol, naquit à Bayonne le 12 décembre 1748 et fut baptisé en la paroisse Notre-Dame. Au cours de sa vie il allait être étroitement lié avec deux de ses compatriotes, les « frères Garat » : l'aîné, Dominique, député à l'Assemblée constituante, né à Ustaritz (Pyrénées-Atlantiques) en 1735 (3), et le cadet, Joseph, ministre de la Convention puis sénateur et comte de l'empire, né à Bayonne en 1749 ; ceux-ci étaient fils de Pierre Garat, médecin à Ustaritz, et de Marie Hiriart, et c'est à tort que l'Armorial du Premier Empire de Révérend, en fait des frères de Martin Garat. Si la famille des « frères Garat » était fixée, depuis plusieurs générations, à Ustaritz, celle de Martin Garat l'était à Urcuray près d'Hasparren. Ustaritz et Urcuray sont distants d'une dizaine de kilomètres mais y avait-il un lien de parenté entre ces deux familles ? Pendant la Révolution, lorsque Martin Garat fut arrêté, il se réclama de Joseph Garat « son parent ». D'autre part, en 1809, à un bal masqué donné par le prince-archichancelier Cambacérès, quand l'Empereur demanda à Léonie Garat, alors âgée de treize ans, et fille de Martin, si son père était parent de « Garat le sénateur », c'est-à-dire de Joseph Garat, celle-ci répondit : « Oui, du même pays, petit cousin, je crois » (4). Ce même Joseph Garat signa, le 2 février 1812, le contrat de mariage de Léonie et du général Daumesnil. De même Dominique Garat, le député de l'Assemblée constituante, fut, le 23 mars 1792, le parrain de Saubade, fille aînée de Martin Garat. Les deux familles étaient donc très proches mais la parenté, si toutefois elle existait réellement, devait alors être fort éloignée.
Les seuls renseignements que nous ayons sur la première partie de la vie de Martin Garat sont très succincts. C'est lui-même qui les donne, pendant la Révolution, alors qu'il était emprisonné à la Force :
« Né à Bayonne d'une famille roturière mais honnête […], il fut élevé et destiné au commerce, il gagnait sa vie à quatorze ans. Son attitude et ses talents lui méritèrent au bout de huit ans de travaux de faire société (s'associer) avec la plus forte maison de commerce de ladite commune. Il dissout sa société en 1782 pour faire un voyage à l'Amérique avec une cargaison considérable. Il revint en 1783. Il continua son commerce jusqu'en 1785. Il vint à Paris dans le dessein de former un établissement dans l'Inde. Il fut retenu pour la Trésorerie nationale qu'il a quittée à la fin de 1792 » (5).
Une belle carrière de commis
Plus exactement Martin Garat entra, en1785, au Trésor royal, qui était la caisse générale des revenus de l'État. L'un des deux gardes du Trésor royal était François de Laborde de Méréville, qui était le fils de Jean-Joseph de Laborde, fermier général et banquier de la Cour sous Louis XV, et également armateur à Bayonne et propriétaire à Saint-Domingue. Il est probable que Martin Garat avait dû être en rapport avec ce dernier. Trois ans plus tard, en 1788, quand les gardes du Trésor royal furent supprimés et que furent créés cinq départements, confiés chacun à un administrateur, François de Laborde de Méréville se vit attribuer le premier département, celui de la caisse générale pour toutes les recettes et l'acquit de toutes les dépenses. Dans un état des traitements du personnel du Trésor royal, datant de cette époque, Martin Garat figure comme premier commis de la caisse générale de ce même département, avec un traitement annuel de 12 000 livres. Il a l'un des trois plus importants traitements des cinq départements du Trésor royal à Paris, un autre fonctionnaire, M. Desouches, premier commis du bureau de la Dépense, ayant 13 500 livres, et M. de Fontenay, chef du service de la correspondance de l'Extraordinaire des guerres, ayant 12 000 livres. Les traitements des commis se situaient entre 1 500 et 3 000 livres (6).
Les Étrennes financières, parues en 1789, donnent des précisions sur le Trésor royal, et en particulier sur le département de François de Laborde de Méréville: « M.Garat, premier commis du grand comptant, a la signature de tous les bordereaux et reconnaissances du Trésor royal, qui se négocient sur la place, pour les sommes portées dans les emprunts publics. M. Desouches en est le premier commis et M.Doyen le caissier général » (7).
Premier commis du grand comptant du Trésor royal, Martin Garat était déjà, à la fin de l'Ancien Régime, un fonctionnaire d'une certaine importance. Ses anciennes activités de négoce l'avaient enrichi et, en 1791, il procéda à plusieurs acquisitions. Les 1er janvier et 29 mars 1791, il acquit par adjudications successives des biens d'église vendus comme biens nationaux : la ferme du grand et du petit vivier, à Orsay (département actuel de l'Essonne), de cent soixante-huit hectares, pour 300 300 livres, et la ferme de Mondetour, également à Orsay, de cent seize hectares, pour 136 000 livres (8). Il est vraisemblable que le Trésor royal – que l'on appelait alors le Trésor public– lui consentit un prêt garanti par hypothèques sur ces fermes. En effet, en ce qui concerne la ferme du grand et du petit vivier, qu'il conserva jusqu'à sa mort, il se libéra entièrement du prix d'achat le 9 juillet 1812, ainsi qu'il résulte d'une quittance définitive donnée par l'Enregistrement des domaines de Versailles (9).
Le 8 janvier 1791, il acheta au maréchal de camp de La Bourdonnaye une maison de campagne et son mobilier, avec un jardin d'un hectare et des dépendances, à Saint-Antoine-du-Buisson, commune du Chesnay, en bordure du parc de Versailles ; il devait, le 13 juillet 1796, agrandir cette propriété, en achetant deux hectares de terrain contigus. L'ensemble lui avait coûté 29 600 livres (10). Il fit également l'acquisition, en 1792 vraisemblablement, d'une maison à Paris, 1, rue Chauchat, qu'il habita (11).
En juillet 1791, il fut nommé caissier général de la Trésorerie nationale que l'Assemblée constituante venait de créer et qui avait fait appel aux principaux responsables du Trésor public. Les six commissaires administrateurs de la Trésorerie nationale autorisèrent, le 23 avril 1792, « M.Garat, caissier général, à recevoir les sommes que des citoyens pourraient apporter en espèces à la Trésorerie, et à leur remettre la somme équivalente en assignats »(12).
Un fier démissionnaire
Mais c'était la Révolution et Martin Garat eut des difficultés avec le gouvernement des Girondins et le ministre de l'Intérieur Roland en particulier, qui l'accusa d'une mauvaise gestion des fonds de la Trésorerie. Le 25 août 1792, ses comptes furent vérifiés par les commissaires de la Trésorerie nationale, sous la surveillance des députés Cambon et Guyton, commissaires du comité des finances de l'Assemblée nationale ; ils furent reconnus « parfaitement en règle ». Aussitôt après, ne pouvant admettre la moindre suspicion à son égard, Garat donna sa démission. Voici la lettre qu'il écrivit, le 26 août, aux commissaires de la Trésorerie nationale :
« Quelque exact que dût être l'ordre dans lequel j'avais à tenir les documents sans nombre d'un travail immense soumis à votre inspection, j'ai de la peine à concevoir comment, dans le trouble d'une attaque si imprévue, j'ai pu suffire à la vérification soudaine qui m'était imposée. Vos encouragements, ceux de Messieurs les commissaires de l'Assemblée Nationale, leurs lumières, les vôtres, les procédés honnêtes, qui de la part de Messieurs les délégués de la Municipalité ont tempéré la rigueur de leur ministère, enfin le sentiment de l'honneur ont pu seuls me rendre capable de cet effort extraordinaire, mais je sens qu'il a pour longtemps épuisé tous mes moyens. Je vous jure, Messieurs, qu'il me serait impossible de continuer les devoirs de ma place, veuillez donc en accepter la démission. J'ai plus de peine à vous l'offrir dans ce moment que je n'en aurais dans des temps plus tranquilles. J'aimerais à me reconnaître la force de surmonter les dangers actuels ; mais je sens qu'elle me manque absolument ; et l'amour de la patrie ainsi que l'honneur me font dès lors une loi de la retraite. Je reste d'ailleurs à vos ordres, Messieurs, pour tous les services dont je pourrais encore être capable envers vous et envers mon successeur. »
Le 27 août 1792, les commissaires de la Trésorerie nationale lui répondaient :
« Il n'est personne, Monsieur, qui puisse être à l'abri du soupçon mais il rend un service signalé à l'homme probe en le mettant à portée de faire partager à ses concitoyens le témoignage qui lui rendait sa conscience ; c'est ce qui vient de se produire pour vous de la vérification qui a été faite de votre gestion. Nous sommes très fâchés que l'état de votre santé vous détermine à quitter votre place mais nous acceptons avec bien de la reconnaissance l'offre que vous avez faite de nous accorder dans la suite les renseignements que la discussion des affaires relatives à votre manutention nous mettrait dans le cas de désirer. »
Martin Garat quitta donc la Trésorerie nationale et ce ne fut que les 3 et 10 décembre 1812, que la Cour des comptes rendit des arrêts définitifs le déclarant quitte pour ses exercices à la Trésorerie nationale. Ces mêmes arrêts déclaraient également quitte Charles-Michel Doyen, qui avait succédé à Garat comme caissier général de la Trésorerie nationale (13).
N'étant plus fonctionnaire public, Martin Garat fut astreint, à cette époque, au service de la Garde nationale de Paris et affecté à la 11e compagnie de la section armée du Mont-Blanc ; la Garde nationale était une milice supplétive de l'ordre intérieur, tenue d'effectuer des services de garde et de patrouille. Il dut alors vouloir « changer d'air » car, en mars 1793, il fut nommé par le général de La Bourdonnaye, celui-là même auquel il avait acheté deux ans plus tôt sa maison du Chesnay, adjoint aux adjudants-généraux de l'armée des Côtes, pour être employé à la 12e division militaire, à La Rochelle. Le comité révolutionnaire de la section du Mont-Blanc à Paris devait estimer, quelques mois plus tard et avec juste raison, que ce brevet lui avait « peut-être été donné de concert avec le général La Bourdonnaye pour le mettre à même de voyager. »
Sauvé par Thermidor
Martin Garat partit donc de Paris le 24 mars, il se rendit alors à La Rochelle, auprès de l'armée des Côtes, mais l'état-major étant déjà composé, il ne put être employé. Malade, il obtint l'autorisation de se rendre aux eaux de Barèges dans les Pyrénées « pour rétablir sa santé ».Il y passa un certain temps ainsi qu'à Bayonne. En septembre, après une absence de près de six mois, désireux de rentrer à Paris, il obtint alors un passeport du chef de brigade Laroche, commandant militaire de la place de Bayonne. Dès le lendemain de son retour à Paris, Martin Garat se présenta à la section du Mont-Blanc. Son passeport ne parut point authentique. Aussi, le 25 septembre 1793, deux membres du comité de la section du Mont-Blanc se rendirent-ils à son domicile, 1, rue Chauchat pour perquisitionner. Ils trouvèrent une lettre écrite par Marie-Théodore Garat, ex-religieuse du couvent de la Visitation de Bayonne, datée du 14 septembre et destinée au frère de celle-ci, Joseph Garat. Cette lettre était écrite « en termes peu intelligibles », en basque vraisemblablement. Il n'en fallait pas plus. Le comité de la section du Mont-Blanc communiqua aussitôt le passeport et la lettre au comité de sûreté générale de la Convention. Le 26 septembre, Martin Garat subit un long interrogatoire et, le 28, le comité décidait son arrestation, sous le prétexte que son passeport n'était pas en règle ; le 29 septembre, il fut arrêté et incarcéré à la Force. Le lendemain, Joseph Garat, qui venait de remettre sa démission de ministre de l'Intérieur, était lui-même mis en état d'arrestation chez lui.
Martin Garat multiplia les protestations. Il se réclama en vain du député Cambon, du ministre de la Justice Gohier. « Il croit néanmoins pouvoir désigner, écrivait-il, dans le nombre des citoyens qui le connaissent et qui l'estiment : Dalbarrade, ministre de la Marine, Garat, ex-ministre, Chaudron, Rousseau, Projant (tous trois représentants du peuple). Il a connu le ministre de la Justice chez l'ex-ministre Garat, son parent. » « Il a vu, ajoutait-il, avec le plus grand intérêt l'anéantissement du despotisme, et il n'a cessé de faire des voeux pour l'affermissement de la liberté et la prospérité de la République. »
Les mois passaient et ses protestations restaient sans effet. Un document déposé le 4 avril 1794 au bureau du comité révolutionnaire de la section du faubourg du Nord de Paris, signalait l'état de la fortune de Martin Garat, très surévaluée pour les besoins de la cause:
– une maison à Paris, 1, rue Chauchat : 300 000 livres,
– une maison à Versailles, rue du Petit-Chesnay (en fait la maison du Chesnay) : 150 000 livres,
– la ferme du grand et du petit vivier et la ferme de Mondetour, à Orsay : 1 000 000 de livres.
Mais les amis de Martin Garat travaillaient à le sauver. Ses anciens collègues de la Trésorerie nationale obtinrent, le 11 avril 1794, sinon sa mise en liberté, tout au moins un adoucissement à sa détention, ainsi que le relate le comte Beugnot dans ses Mémoires : la prison de la Force « avait entre ses commensaux le citoyen Garat l'un des premiers commis du Trésor ; lui seul connaissait à fond le mécanisme de cette grande machine, et le député Cambon, qui prétendait la diriger, avait demandé aux comités de gouvernement de lui rendre Garat, dont il ne pouvait pas se passer. Les comités le lui avaient refusé ; mais pour concilier les besoins du Trésor avec la détention de Garat, chaque matin deux gendarmes venaient le prendre à la Force et le conduisaient au Trésor, où il travaillait toute la journée, et le ramenaient coucher en prison. De plus, on lui avait imposé la loi de n'introduire dans la prison ni journaux, ni nouvelles, et l'homme, assez peu communicatif de nature, était très fidèle à sa consigne. Mais le jour où se répandit à Paris la nouvelle de la bataille de Fleurus, il n'y tint pas et nous éveilla pour nous la communiquer. Je m'écriai après l'avoir entendu : Nous sommes sauvés. »
Finalement, sur les réclamations répétées de Martin Garat, on s'était décidé à examiner l'authenticité de la signature du commandant militaire de Bayonne apposée sur son passeport ; elle fut déclarée véridique, mais ce ne fut que le 6 août 1794, après la chute de Robespierre, que Garat fut libéré. Il avait passé plus de dix mois en prison.
Bon époux, bon père et propriétaire
Quelques semaines plus tard, le 24 septembre 1794, il épousa à Paris Catherine-Charlotte Gebaüer. Martin Garat régularisait une situation qui durait depuis un certain temps puisque, ainsi qu'il est dit dans leur contrat de mariage passé devant notaire à Versailles dix jours plus tôt, « de leurs fréquentations » étaient déjà nés deux enfants(14). Née à Versailles le 16 janvier 1772, Charlotte Gebaüer était fille de Jean-Christian Gebaüer, originaire de Saxe, ancien musicien du roi au régiment des Gardes suisses, et de Anne-Dorothée Keller, originaire de Schaffhouse, en Suisse (15). Par son mariage, Martin Garat entrait dans une famille de musiciens. Charlotte était la soeur des quatre frères Gebaüer, qui furent, tous les quatre, compositeurs de musique (16) ; elle était également la soeur de Louise Gebaüer, qui avait épousé un « ci-devant », ancien gendarme de la Garde du roi, futur général de brigade et baron de l'Empire, Jean-Baptiste Borrel (17). Quand il se maria, Martin Garat avait quarante-cinq ans, Charlotte vingt-deux, et le couple allait être très uni, ayant neuf enfants dont cinq moururent jeunes ou en bas âge.
Une autre femme avait eu certainement un rôle important aux côtés de Martin Garat, avant son mariage : c'était sa soeur Saubade. Née en 1752, célibataire, elle semble avoir dirigé la maison de son frère, aussi bien à Paris qu'au Chesnay. Elle demeurait chez celui-ci et intervint dans de nombreux actes le concernant, s'occupant notamment de la gestion de ses biens lors de son absence de Paris, en 1793, et pendant son incarcération. Elle fut la marraine de Saubade, fille aînée de son frère. Nous perdons la trace de cette soeur après juin 1795.
Pendant quelque temps Martin Garat n'exerça plus d'emploi. Dans l'acte de naissance de son troisième enfant, Léonie, née au Chesnay, le29juin 1795, il est dit « vivant de son revenu, domicilié à Paris, rue Chauchat, n°1 ». Dans cet acte de naissance l'un des deux témoins, qui donna son prénom à Léonie, est un compatriote et ami intime de Martin Garat : Léon Basterrèche, banquier et armateur à Bayonne, qui sera régent de la Banque de France (18). Dans un autre acte, du 13 juillet 1796, Martin Garat est simplement qualifié de « propriétaire ». A cette époque il résidait au Chesnay : il allait peu après mettre en location sa maison de Paris.
De retour aux affaires
La fin de l'année 1798 le vit faire une rentrée sur la scène publique, à la suite du scandale Monneron. Le 17 novembre 1798, Augustin Monneron, qui dirigeait la Caisse de comptes courants depuis sa création en 1796 par les principaux banquiers, disparut subitement, laissant une note par laquelle il se reconnaissait débiteur de 2 500 000 francs envers la Caisse. Il s'ensuivit une panique aux guichets. Pour juguler celle-ci et rétablir la confiance du public, les administrateurs et commissaires de la Caisse de comptes courants prirent des mesures radicales et, notamment, le 21 novembre 1798, nommèrent Garat directeur provisoire. Celui-ci était « chargé de surveiller toutes les parties de l'établissement ». On avait procédé à cette nomination par voie de scrutin : Garat avait eu neuf voix sur quatorze. Sur les quatorze votants, sept étaient de futurs régents de la Banque de France : Davillier, Desprez, Doyen, Germain, Perregaux, Récamier, Sévène (19). Peu après, Garat fut confirmé directeur général de la Caisse de comptes courants. Sous sa direction et celle des administrateurs et commissaires, la Caisse se tira de ce mauvais pas et résorba la crise dans un délai de moins de deux mois.
Dans l'oeuvre d'assainissement financier entreprise par le Consulat, la restauration du crédit public avait une importance capitale, et la création d'une puissante banque d'escompte, assez forte pour aider la Trésorerie, en même temps que le commerce, apparaissait comme une nécessité. Au début de 1800, un groupe de banquiers, appuyé par le conseiller d'État Emmanuel Crétet, décida la constitution d'une banque, qui serait protégée par le gouvernement : la Banque de France. L'assemblée générale des actionnaires, parmi lesquels figurait le Premier Consul Bonaparte, proposa la fusion de celle-ci avec la Caisse de comptes courants ; les actionnaires de la Caisse acceptèrent. Et, le 27 février 1800, le conseil général de régence de la Banque de France, qui se composait de régents et de censeurs, arrêta que Garat, directeur général de la Caisse de comptes courants, était confirmé dans les fonctions de directeur général de la Banque de France (20). Celui-ci était placé sous l'autorité du président du conseil général de régence, Jean-Frédéric Perregaux.
« Les fafiots garatés »
De même que les billets de la Caisse de comptes courants avaient porté la signature de Garat, les billets de la Banque de France portèrent sa signature, et cela jusqu'à sa mort. Aussi les mauvais garçons de l'époque appelèrent-ils ces billets les « fafiots garatés ». Dans Splendeurs et misères des courtisanes (La dernière incarnation de Vautrin) Balzac écrit en effet : « On invente les billets de banque, le bagne les appelle des fafiots garatés du nom de Garat, le caissier qui les signe. »
La Banque de France, dont Martin Garat fut l'un des fondateurs et le véritable organisateur, allait jouer un rôle de plus en plus considérable dans la vie économique du pays et rendit de grands services à l'État. L'ordre que Garat y établit a toujours été un objet d'admiration pour ceux qui ont observé la marche simple, rapide et sûre des travaux de la Banque. Le Premier Consul en suivait de près l'activité ; chaque semaine, il recevait un état des mouvements présenté par Perregaux et une situation signée par le directeur général Garat (21).
En 1805, la Banque subit une crise grave due à la reprise de la guerre avec l'Angleterre et à la formation de la troisième coalition. Les besoins financiers du gouvernement furent de plus en plus grands. Sur 97 millions de valeurs escomptées que renfermait le portefeuille de la Banque, il y en avait pour 80 millions en obligations des receveurs généraux des Finances ; ces obligations ne furent pas acquittées à l'échéance. Le 23 septembre, la Banque n'avait plus en caisse que 1 200 000 francs en numéraire. Ses dirigeants décidèrent qu'on ne rembourserait plus qu'un billet par personne. Une panique eut lieu, qui bientôt s'aggrava. On fit la queue aux portes de la Banque. En tant que directeur général, Garat fut chargé du service de surveillance intérieure de la Banque. Pour lui, les individus qui font la queue « sont presque tous des salariés de la malveillance ou de la cupidité. On voit tous les jours les mêmes figures ; il y a des gens qui n'ont pas même de billets, qui cèdent leur place ou qui ne reçoivent le billet qu'au moment d'entrer dans les caisses. » (22) Heureusement la victoire d'Austerlitz survint à temps et mit le gouvernement en état de s'acquitter envers la Banque de France.
Cette crise, malgré laquelle les résultats, de 1800 à 1806, avaient été remarquables, fournit à Napoléon l'occasion de réformer la Banque. En 1806, l'Empereur plaça la Banque de France sous le contrôle du Conseil d'État, et mit à sa tête un gouverneur (le conseiller d'État Crétet) et deux sous-gouverneurs, nommés par l'État. Mais c'était entre le gouverneur et le conseil général de régence – dont dépendait jusqu'ici Garat– une véritable dualité de pouvoir. Garat conserva ses fonctions mais, à partir de1808, avec le titre simplifié de directeur de la Banque de France.
Directeur, riche et baron
Sous l'Empire le droit de vote étant réservé, entre autres, aux notables les plus imposés, Martin Garat fut nommé, en 1807, membre du premier collège électoral de l'arrondissement de Paris et, comme tel, prêta serment à l'Empereur. Dans l'esprit de Napoléon les membres des collèges électoraux remplissaient une sorte de fonction publique au service de l'État.
Dans un état du 31 décembre 1808, Garat figure, avec cent quatre actions, dans la liste des deux cents principaux actionnaires de la Banque de France qui détenaient un peu plus de cinquante pour cent du capital (sur un total de deux mille trois cent vingt-sept actionnaires). Parmi ces deux cents actionnaires on trouve l'Empereur, les banquiers Perregaux, Laffitte, Mallet, Seillière, Hottinguer (23). Dans un état précédent, du 17octobre 1807, Martin Garat détenait cent trente-trois actions de la Banque de France.
L'Empereur ayant demandé un rapport sur Garat au comte Jaubert, conseiller d'État et nouveau gouverneur de la Banque de France, voici ce que celui-ci écrivait le 9 août 1810 :
« Monsieur Garat : 62 ans ; marié, 4 enfants : 2 garçons dont un de 16 ans, 2 filles dont l'aînée vient d'épouser le colonel baron Vallin ; avait occupé des places distinguées à la Trésorerie. Directeur de la Banque depuis l'origine ; fondateur de l'ordre admirable qui règne dans les écritures ; était la cheville ouvrière avant l'établissement du gouvernement de la Banque. Continue de se rendre éminemment utile ; fortune, environ 800 000 francs, dont partie en immeubles. »
En récompense de ses services et, en sa qualité de membre du premier collège électoral de Paris, Napoléon Ier le créa baron de l'Empire par décret du 15 août 1810 (24). Garat fut présenté à l'Empereur le 30 août de cette même année. Le fils aîné de Martin Garat, Paul, écrivant peu après à l'un de ses amis, Louis d'Arcangues, lui disait :
« On t'aura peut-être dit que papa avait été nommé baron. Tu le connais assez pour savoir que les titres et les distinctions le touchent peu ; mais néanmoins cette nomination lui a fait grand plaisir parce qu'il n'avait fait aucune démarche pour l'obtenir et qu'il l'a regardée comme une marque de bienveillance et de récompense de la part de S.M. Il était à Sceaux lorsqu'on est venu le lui annoncer et il s'y attendait si peu qu'il voulait à peine y ajouter foi. Il s'occupe en ce moment de me faire un majorat. »(25)
Par décret du 12 janvier 1814, Garat fut nommé capitaine au 4e bataillon de la 4e légion de la Garde nationale de Paris (26). Aussi l'appelait-on en plaisantant, à la Banque de France, le « capitaine Garat ». Lors de l'agonie de l'Empire, après le congrès de Châtillon, il fut, une fois de plus, chargé du service de surveillance intérieure de la Banque. Sous la Restauration, en août 1814, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur (27). Un Bayonnais, le banquier Jacques Laffitte, remplaça, comme gouverneur « provisoire » de la Banque de France, le comte Jaubert.
Après la chute de Napoléon, il y eut un moment de crise redoutable. Au déficit des derniers mois de l'Empire venaient, en effet, s'ajouter les charges de l'occupation étrangère et une indemnité de guerre de 700 millions. La Banque de France avança 55 millions à l'État, de décembre 1815 à septembre 1816. D'autre part la défaite de 1814 avait été suivie d'une invasion de produits étrangers vendus à des prix très inférieurs au coût de revient des produits français, ce qui avait provoqué une véritable catastrophe commerciale. Grâce à une série de mesures financières prises par la Banque, et notamment une baisse du taux de l'escompte, la situation s'améliora peu à peu. Par la rigueur et la sagesse de sa gestion Martin Garat avait grandement contribué à cette réussite. En fait, que ce soit sous l'Empire ou la Restauration, la Banque de France fit de continuelles avances à l'État dont elle fut en quelque sorte la Providence. Malgré celles-ci les bénéfices réalisés par la Banque furent tels qu'il fut possible, en 1820, de prélever sur la réserve un dividende extraordinaire de 200 francs attribué à chacune de ses actions, dont la valeur nominale fut dès lors portée de 1 000 à 1 200 francs. En 1829 le cours des actions variait entre 1 900 et 2 000 francs.
De père en fils signataire des billets
En 1818, il avait été décidé qu'en cas d'absence de Martin Garat, ce serait son fils Paul qui signerait les billets de la Banque. Quelques années plus tard, alors qu'il avait soixante-quinze ans, Martin Garat souhaita que son fils devînt son adjoint ; dans la séance du conseil général de la Banque, du12 février 1824, il fut donné lecture d'une lettre de Martin Garat « dans laquelle il rappelle les longs, pénibles et variés services dont il est chargé depuis la fondation de cet établissement. Il appuie surtout sur l'énorme responsabilité qui a constamment pesé sur lui sans que cependant elle ait été jamais compromise. Il n'ambitionne pour récompense de tant de travaux que la considération et l'estime des personnes en état de les apprécier, et sous ce rapport il se félicite d'avoir obtenu celle du conseil. Il émet le voeu pour que par suite des sentiments qu'on lui porte, on veuille bien lui donner son fils pour adjoint ». Le conseil fut « unanime sur les éloges à donner au zèle, à l'exactitude et aux talents de M. le directeur » mais ne jugea pas à propos de créer la place d'adjoint.
Travailleur infatigable, Martin Garat devait rester à son poste jusqu'à sa mort. Lui-même et sa femme habitaient à Paris le palais de la Banque de France, 2, rue Neuve-des-Bons-Enfants (rue Radziwill actuelle), avec trois de leurs enfants : Saubade, Paul, Léonie et leurs familles ; le quatrième enfant, Charles, s'était fixé à Strasbourg.
Saubade, l'aînée, avait épousé, en 1810, le baron Louis Vallin, colonel du 6e régiment de hussards, qui servait alors en Italie ; celui-ci avait ensuite fait la campagne de Russie. Nommé général de brigade, il avait, après Waterloo, à la tête d'une division légère de cavalerie, contribué à anéantir, dans les plaines de Rocquencourt, du Chesnay et de Villacoublay, une brigade de cavalerie prussienne. Puis il s'était rallié à la Restauration, et Louis XVIII l'avait nommé lieutenant général (général de division) et créé vicomte (28).
Le second enfant des Garat, Paul, travaillait depuis 1810 à la Banque. Il avait été, selon Louis Ameil, écrivant le 27 février 1811 à l'un de ses amis, Louis d'Arcangues, « un jeune homme très répandu ». « Lorsque l'on veut, ajoutait Louis Ameil dans cette lettre, faire l'éloge d'un bal ou d'une réunion, il suffit de dire : Paul Garat y était, on a dansé et c'est lui qui jouait du piano. » (29) Paul Garat s'était marié, en 1820, avec Louise Collard, fille du député de l'Aisne, Jacques Collard. Après la mort de son père, en 1830, il sera nommé secrétaire du gouvernement de la Banque de France puis, en 1842, secrétaire général, fonctions qu'exercera jusqu'en 1848. Les billets de la Banque portèrent sa signature. Alexandre Dumas dira, en parlant de lui dans ses Mémoires : « Garat, l'homme dont la signature est la mieux appréciée de toutes les signatures commerciales. » Et Victor Hugo, dans Les Châtiments (La famille est restaurée –Apothéose), écrira, sans que l'on sache toutefois s'il s'agit de Paul ou de Martin Garat :
« De l'écu de cinq francs on s'élève au billet
Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque
On grimpe au million, rapide saltimbanque. »(30)
Léonie, troisième enfant de Martin Garat, avait épousé, à l'âge de seize ans, en 1812, le général baron Pierre Daumesnil. A Arcole, à Saint-Jean-d'Acre, celui-ci avait sauvé la vie du futur Empereur. Il était colonel-major des chasseurs à cheval de la Garde quand il eut une jambe emportée par un boulet, à Wagram. Nommé par Napoléon général de brigade et gouverneur de Vincennes, Daumesnil avait refusé de rendre cette place lors de l'invasion de 1814, répliquant à un parlementaire russe : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes. » Lors de la seconde invasion, en 1815, il avait refusé à nouveau de rendre cette citadelle, résistant à un blocus de quatre mois. Mis aussitôt après à la retraite par Louis XVIII, il vint donc habiter avec Léonie le palais de la Banque de France. Avec la révolution de 1830, il devait recouvrer le gouvernement de Vincennes. Il refusera alors de livrer aux émeutiers les ministres de Charles X qui y étaient emprisonnés. Nommé lieutenant général (général de division) par Louis-Philippe, il mourut du choléra, à Vincennes, en 1832. Le prince Louis-Napoléon, président de la République, nommera, en1851, Léonie Daumesnil surintendante de la Maison de la Légion d'honneur de Saint-Denis. Elle restera à ce poste jusqu'en 1869 et mourra à Paris, en 1884 (31).
Le "nid à Garat"
Toutes ces familles, du vivant de Martin Garat, habitaient le palais de la Banque, et l'on disait, en parlant de la Banque de France : le Niagara (le nid à Garat). Seul, le quatrième enfant des Garat, Charles, avait quitté le cocon familial. Il avait épousé, en 1827, Joséphine Schulmeister, fille de Charles Schulmeister, ancien commissaire général des armées impériales, « l'espion en chef » de Napoléon, et était devenu manufacturier à Strasbourg ; mais son entreprise périclita et, en 1841, il intégrera la Banque de France dont il dirigea la succursale de Strasbourg (32).
Dans le Journal de mes souvenirs, Léonie Daumesnil décrit ainsi son père, Martin Garat :
» Il s'était formé lui-même, et habitué de bonne heure à se priver pour donner aux autres. Il était d'une très petite dépense personnelle, d'une propreté, d'un ordre extrêmes. La moindre chose le parait, et sur lui le strict nécessaire était du luxe. Il n'avait pourtant pas d'autre que sa femme et ses enfants. Sa taille était élégante et svelte; il se tenait très droit ; son visage était noble, il avait un joli pied et une très jolie jambe dont il était fier, se glorifiant d'être Basque. Fort avancé en âge, il dansait encore quelquefois les jours de grandes réjouissances de famille, et avait toutes les allures et l'activité d'un jeune homme. Cela charmait de le voir ainsi. Il était si laborieux et avait tant de courage, qu'il ne s'est alité qu'une fois dans sa vie à l'âge de quatre-vingt-un ans, et c'était pour mourir ! Je l'ai vu une année de grande crise à la Banque ne pas discontinuer son travail la nuit comme le jour, malgré un mal d'yeux des plus graves qui le menaçait de perdre la vue. Il était trop dur à lui-même. Depuis trente ans directeur général de la Banque de France, établissement qu'il avait formé, il se montrait la Providence de tous ceux dont il était le chef. Il eût plutôt abandonné sa place que de ne pas défendre les intérêts de la veuve et de l'orphelin, car avec lui, il fallait que justice fût faite. »
En 1802, Martin Garat avait vendu sa maison du Chesnay (33). Il posséda, de 1807 à 1818, à Sceaux (département actuel des Hauts-de-Seine), une propriété de campagne, appelée depuis le château des Imbergères, qui était située sur le versant sud de la ville ; la maison d'habitation et les communs faisaient face à un parc de dix hectares. Il fit dessiner par Vautier un jardin à l'anglaise, avec pelouses et deux lacs ; les sources de sa propriété ne fournissant pas assez d'eau, il obtint l'adjonction du ruisseau d'Aulnay. Ce parc était un des plus pittoresques des environs de Paris. Quand il n'eut plus de transformation à y faire, il vendit cette propriété, qui appartint plus tard à l'actrice, Mlle Mars, puis au fils de M. Boucicaut (34), et acheta le château de la Briqueterie, à Grand-Bourg, près de Ris-Orangis (département actuel de l'Essonne), qui se trouvait dans un site riant au bord de la Seine (35).
Garat jouissait d'une assez belle fortune. Son traitement annuel de directeur de la Banque de France était de 24 000 francs, et la ferme du grand et du petit vivier à Orsay, de cent soixante-huit hectares, qu'il avait acquise en 1791, rapportait 10 000 francs. Or on disait, à cette époque, qu'un revenu de 12 000 francs constituait le début de la fortune. L'analyse du testament de Martin Garat, fait le 22 février 1829, donne le détail de ses biens à la fin de sa vie:
– la ferme du grand et du petit vivier, à Orsay 350 000 francs
– la campagne de la Briqueterie, à Ris, évaluée avec le mobilier 150 000 francs
– vingt actions de la Banque de France 40 000 francs
– mobilier et argenterie, à Paris 25 000 francs
565 000 francs
Dans son testament, il rappelait qu'à son fils Paul il avait fourni une inscription de 100 000 francs sur la ferme d'Orsay et donné 10 000 francs comptant. A chacun de ses trois autres enfants, il avait donné en dot, à l'occasion de son mariage, 100 000 francs, plus 10 000 francs de trousseau. Sur la quotité disponible, il léguait à sa fille Léonie 15 000 francs, « considérant la fâcheuse position de ma chère fille Léonie épouse du général Daumesnil dont la dot de 100 000 francs a servi en grande partie à l'établissement de son mari au gouvernement de Vincennes, et dont il est privé par la plus grande des injustices. » A ses domestiques ou cuisiniers, « qui auront quatre ans de service », il léguait 200 francs à chacun. Et il ajoutait : « Je veux que ces conditions testamentaires et de dernière volonté soient exécutées dans toute leur rigueur, car telle est ma volonté de père de famille, et cela étant ainsi, que Dieu et les hommes me soient en aide. « (36)
Martin Garat était à la Briqueterie quand il mourut le 11 mai 1830, âgé de quatre-vingt-un ans ; toutefois afin qu'il pût être inhumé à Paris au cimetière du Père-Lachaise, son décès ne devait pas être constaté ailleurs que dans la capitale. Et ce fut son gendre, le général Daumesnil, qui eut la pénible mission de ramener le corps de son beau-père, assis dans une voiture.
Garat fut unanimement regretté. Une foule considérable assistait à ses obsèques, en l'église paroissiale des Petits-Pères. Tous les membres du conseil général de la Banque de France, ayant à leur tête le gouverneur, le duc de Gaëte, étaient présents. Les garçons de recette de la Banque, qui n'avaient pu accompagner le convoi, arrivaient au Père-Lachaise, de tous les quartiers de Paris, le sac sur le dos, afin de saluer une dernière fois leur directeur.
À l'assemblée du conseil général de la Banque du 13 mai, le baron Rodier, second sous-gouverneur, fit consigner dans le procès-verbal « les justes regrets que lui cause la perte que la Banque vient de faire de M. Garat. Il rappelle que M. Garat a été trente-deux ans directeur de la Banque et qu'il a donné pendant tout cet intervalle des preuves d'un entier dévouement à ce grand établissement surtout dans les premiers temps de son existence. M. Garat fut un directeur exact, intègre, laborieux et sa mémoire doit être conservée honorablement à la Banque de France. »
Martin Garat eut certes mérité un éloge moins parcimonieux.
La baronne Garat mourut à Paris le 12 novembre 1847. Et, en 1905, le conseil municipal de Paris donna le nom de Martin Garat à une rue du XXe arrondissement, pour honorer sa mémoire (37).
Auteur : Henri de Clairval
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 415
Mois : Oct-Nov
Année : 1997
Pages : 48-58
Notes
(1) Pierre Garat, baptisé en l'église Saint-Joseph d'Urcuray, paroisse d'Hasparren, le 27 octobre 1697, mort à Urcuray, paroisse d'Hasparren, le 13 décembre 1787, épousa en la paroisse Notre-Dame de Bayonne le 13 novembre 1736 Marie Darrigol, née à Lahonce le 9 mars 1708, morte à Bayonne le 16 février 1774. Ils eurent treize enfants, tous nés à Bayonne (paroisse Notre-Dame) : Jean, né en 1737 ; Magdelaine, née en1739 ; Arnaud, né en1741, reçu maître menuisier en 1769 ; Pierre, né et mort en 1741 ; Magdelaine, née en 1742 ; Jeanne, née en 1743 ; Marie, née en 1745 ; mariée en 1780 à Louis Mailhes, chirurgien ; Martin, né en 1746 ; Étiennette, née en 1747, morte célibataire à Paris en 1804, instituant pour légataire universel son « frère de Paris » Martin ; Martin, né en 1748, le futur directeur général de la Banque de France ; Estebenie, née en 1750 ; Saubade, née en 1752, célibataire, qui résidait au Chesnay (Yvelines) en 1795 ; Marie, née et morte en 1754.
(2) Bibliothèque municipale de Bayonne. HH 139, réception des maîtres menuisiers ; EE 10, milices bourgeoises ; registres de la capitation.
(3) Dominique Garat est le père du célèbre chanteur Pierre Garat, celui que Mme Récamier appelait « petit frère ».
(4) Baronne Daumesnil, Journal de mes souvenirs. Bibliothèque Nationale, Nouvelles acquisitions françaises 12794.
(5) Archives Nationales. F7/4715, Police générale. Ce dossier, très important, permet de retracer la vie de Martin Garat jusqu'à sa sortie de prison.
(6) Archives Nationales. DX5 n°29.
(7) Bibliothèque Nationale. Lc25/137.
(8) Archives départementales des Yvelines. Etude Ricqbour, notaire à Versailles : Déclarations au profit de Martin Garat des 1er février et 30 mars 1791.
(9) Archives Nationales. Étude XCIII, Corbin, notaire à Paris : 22 et 27 juillet 1830, adjudication de la ferme du grand et du petit vivier.
(10) Archives Nationales, Étude CXVI/587, Gabiou, notaire à Paris : ventes du 8 janvier 1791. Et Archives départementales des Yvelines, étude Ricqbour, notaire à Versailles : vente du 13 juillet 1796.
(11) Auparavant, à Paris, Martin Garat avait habité successivement rue Vivienne, 11, rue du Mail, et 4,rue des Bons-Enfants.
(12) Archives Nationales. DVI/1, délibérations des commissaires de la Trésorerie nationale.
(13) Archives Nationales. AF IV 835.
(14) Archives départementales des Yvelines. Etude Ricqbour, notaire à Versailles : contrat de mariage du 28 fructidor an II.
(15) Jean-Christian Gebaüer, né à Reinsdorf bei Arten (Saxe) en 1734, mort aux Invalides, à Paris, en 1796, musicien du roi au régiment des Gardes suisses, lieutenant d'invalides en 1794, capitaine d'invalides en 1796, médaille de vétérance, marié à Anne-Dorothée Keller, née à Schaffhouse (Suisse) en 1743, morte en 1780.
(16) Michel Gebaüer, l'aîné des frères Gebaüer, est l'auteur d'un nombre considérable de marches militaires dont certaines sont encore jouées aujourd'hui : la Marche d'Austerlitz (avec des paroles imaginées par les grognards : « On va leur percer le flanc, ah ! que nous allons rire… »), la Marche des grenadiers jouée à Waterloo.
(17) Le général et la baronne Borrel furent les grands-parents de Louise Bary, qui épousa Charles Garnier, architecte de l'Opéra.
(18) Martin Garat fut témoin au contrat de mariage de Léon Basterrèche et de Rose Duvidal, nièce de Cambacérès : étude XVIII/972 Gauldier-Boilleau, notaire à Paris, 19 avril 1800. Pierre Basterrèche, négociant armateur à Bayonne, frère du précédent, signa le contrat de mariage de Saubade Garat, fille de Martin, et du baron Louis Vallin, le 26 juin 1810 (note 28).
(19) Archives Nationales. Délibérations du conseil d'administration de la Caisse de comptes courants : 101AQ2.
(20) Archives de la Banque de France. Registres des délibérations du conseil général. Nous nous référerons à plusieurs reprises à ces registres.
(21) Archives Nationales. AFIV 1070-1071, Banque de France.
(22) Gabriel Ramon, Histoire de la Banque de France, Paris, 1929.
(23) Louis Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l'Empire, Paris, 1974.
(24) Les lettres patentes du 19 septembre 1810 fixaient ainsi les armoiries de Martin Garat : coupé, au premier parti, d'azur à la foi d'argent posée en barre, et des barons membres du collège électoral, qui est de gueules à la branche de chêne en bande d'argent ; au deuxième, de sable au lévrier couché, colleté et soutenu, la tête contournée, le tout d'or.
(25) Archives de la famille d'Arcangues.
(26) Archives Nationales. AFIV845.
(27)Le Moniteur universel, 19 août 1814.
(28) Louis vicomte Vallin, né à Dormans (Marne) en 1770, mort à Paris en 1854, marié à Paris en 1810 à Saubade Garat, née à Parisen 1792, morte à Paris en 1859. Leur contrat de mariage fut signé par Napoléon Ier (Étude XCIII/312, Marchoux, notaire à Paris, 26 juin 1810). Le nom du général Vallin est inscrit sur l'Arc de triomphe.
(29) Archives de la famille d'Arcangues.
(30) Paulin dit Paul baron Garat, né à Paris en 1793, mort à Paris en 1866, marié à Villers-Helon (Aisne) en 1820 à Louise Collard, née à Paris en 1804, morte à Vauxbuin (Aisne) en 1880.
(31) Yrieix dit Pierre baron Daumesnil, né à Périgueux en 1776, mort à Vincennes en 1832, marié à Paris en 1812 à Léonie Garat, née au Chesnay en 1795, morte à Paris en 1884. Leur contrat de mariage fut signé par Napoléon Ier (Étude LXXXIV/775, Fournier-Verneuil, notaire à Paris, 2 février 1812). Le nom du général Daumesnil est inscrit sur l'Arc de triomphe.
(32) Baron Charles Garat, né à Paris en1802, mort à Wangen (Bas-Rhin) en 1887, marié à Strasbourg en 1827 à Joséphine Schulmeister, née à Strasbourg en 1808, morte à Wangen en 1888.
(33) Archives départementales des Yvelines. Hypothèques, transcription de Versailles, volume 25, article 1536, 17 vendémiaire an XI.
(34) Victor Advielle, Histoire de la ville de Sceaux, Laffitte reprints, Marseille, 1981.Le baron Garat est mentionné comme propriétaire de cette maison, du 1er avril 1807 au 5 octobre 1818. La maison n'existe plus.
(35) La Briqueterie fut démolie, en 1918,en raison de son état de vétusté.
(36) Archives nationales. Dépôt judiciaire du testament de Martin Garat, étude XCIII/505, Corbin, notaire à Paris, 22mai 1830.
(37) Robert de Grandsaignes, dans le Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne (avril 1955), a émis l'hypothèse que Martin Garat pouvait être identifié avec un certain Vannelet qui fut, sous le Directoire, un correspondant d'un émigré, l'agent royaliste d'Antraigues. L'historien de la Révolution et de l'Empire Jacques Godechot a démenti formellement cette hypothèse (Annales Historiques de la Révolution Française, 1958 ; et Le comte d'Antraigues, un espion dans l'Europe des émigrés, Paris, 1986). Voir également : André Doyon, Notice biographique sur le vrai Vannelet (AHRF, 1967).