Né à Vého, près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), le 4 décembre 1750 (1), il était le fils d’un tailleur d’habits.
Élevé pieusement par sa mère, peut-être janséniste, et par l'abbé Cherrier, curé d'Emberménil, il fait de bonnes études au collège des jésuites de Nancy (1763-1768), puis à l'université de ladite ville.
Hostile à l'esprit des philosophes du temps (aussi bien à Rousseau qu'à Voltaire), il professe au collège de Pont-à-Mousson et termine ses études au séminaire de Metz. Ordonné prêtre le 6 janvier 1776, il est nommé vicaire à Marimont-la-Basse (Moselle) et en 1782, curé d'Emberménil (Moselle), où il succède à l'abbé Cherrier.
Dans sa paroisse, le curé Grégoire (il a 32 ans), exerce son sacerdoce dans la simplicité : son église est nue et ses prédications sont faites sur un ton familier. Il créé une bibliothèque paroissiale, s'informe et effectue des voyages d'études dans les Vosges (1784), en Alsace (1786) et en Suisse (1787). Notamment, il rencontre les problèmes que soulèvent la condition des juifs en Alsace-Lorraine et les mesures discriminatoires dont ils faisaient l'objet.
Sur le concours lancé par l'Académie de Metz en 1787, à l'initiative de P.L. Roederer, futur conseiller d'État et sénateur de l'Empire (Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ?), le mémoire de Grégoire (Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs) est couronné (25 août 1788). Cet essai, savant et généreux, prônait la tolérance. Selon l'auteur, « Les gens de lettres furent touchés de voir un curé catholique se constituer en défenseur d'une nation proscrite et l'ouvrage obtint le succès le plus flatteur en Angleterre » (2).
Son portrait à l'approche de la quarantaine : il a une haute stature, des traits réguliers, une nature chaleureuse (R. Badinter) ; prêtre jusqu'au bout des ongles et au fond de l'âme, il a le sourire de la bonté et de la bienveillance (Thibaudeau, Mémoires).
En janvier 1789, à l'assemblée générale du clergé à Nancy, il fait preuve de hardiesse (« comme curé, nous avons des droits », déclare-t-il) et il est élu aux États généraux. En mai, il est à Versailles, pour la réunion des États généraux ; il demeure alors 55 bis, boulevard de la Reine (à l'époque n° 20 : Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 333). Au café Amaury, il fréquente le club des Bretons, qui deviendra, par la suite, le club des Jacobins.
Lors des débats de l'ordre du clergé, Grégoire se prononce pour le vote par tête et la réunion du bas-clergé au tiers-état. A cet effet, il publie une Lettre aux curés députés aux États généraux. Le 20 juin 1789, il est à la salle du Jeu de paume, où les députés font le serment « de ne jamais se séparer jusqu'à ce que la Constitution fût établie et affermie sur des fondements solides » (3).
Dans le grand tableau de David, Le Serment du Jeu de paume (30 pieds sur 20 : environ 10 m sur 7 ; dessin préparatoire et fragment du tableau inachevé conservés au Musée national du Château de Versailles ; réduction peinte au Musée Carnavalet à Paris ; copie en camaïeu par Olivier Merson au Musée du Jeu de Paume), l'abbé Grégoire est représenté au premier plan, dans son habit ecclésiastique, entre le chartreux Dom Gerle, en robe blanche et le pasteur protestant Rabaut Saint-Étienne, devant la table sur laquelle Bailly (1736-1793) s'est dressé.
Au moment de la prise de la Bastille, l’abbé Grégoire préside l’Assemblée nationale constituante.
Le matin du 4 août, l'Assemblée décide que la future Constitution sera précédée d'une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Lors de la discussion, les députés Camus et Grégoire proposent d'ajouter le mot devoirs à la Déclaration, mais leur proposition est rejetée par 570 voix contre 433. Le 12 août, Grégoire appuie, sans succès, la proposition visant à ce que Dieu soit nommé dans la Déclaration « car si l'homme a des droits, il faut parler de Celui dont il les tient et qui lui imprime des devoirs ». Son ambition était de christianiser la Révolution.
D'autre part, il est le défenseur des minorités et intervient en faveur des droits politiques des Juifs (août 1789) (2 bis), des « gens de couleur ou sang-mêlés des îles françaises d'Amérique » (déc. 1789), des « gens de Saint-Domingue » (oct. 1790) et, bien entendu, il condamne l'esclavage. Il était membre, puis président (janv. 1790) de la Société des Amis des Noirs. Il se prononce aussi pour « le droit de pétition à tous les citoyens, riches ou pauvres » (mai 1791).
Du 29 mai au 12 juillet 1790, l'Assemblée nationale constituante vote la Constitution civile du clergé, d'inspiration gallicane, présentée par Grégoire, Camus (1740-1804) et Treilhard (1742-1810). Les archevêques, les évêques et les curés doivent être élus par les citoyens, l'investiture canonique était donnée aux prêtres par l'évêque, aux évêques par l'archevêque, le pape étant avisé de l'élection. Avant d'entrer en fonction, tous devaient prêter serment de fidélité à la Nation, au Roi et à la Constitution. L'abbé Grégoire est l'un des premiers prêtres-députés à prêter serment, le 27 décembre 1790 (4). En février 1791, il est élu évêque constitutionnel de Blois (Loir-et-Cher). Le 13 mars, il est sacré par trois évêques : Gobel (Paris), Massieu (Oise) et Aubry (Meuse). Reçu triomphalement à Blois, le 26 mars 1791, il exerce son ministère avec passion et sillonne son diocèse en tout sens (5).
Inéligible à l'Assemblée législative (1er oct. 1791-20 sept. 1792), Grégoire est élu à la Convention par le département du Loir-et-Cher. Le 21 septembre 1792, lors de sa première réunion, la Convention, sur la proposition de Collot d'Herbois et de Grégoire, décrète que la royauté est abolie en France.
Le 15 novembre, Grégoire est élu président de la Convention et réitère sa demande de mise en jugement du Roi. Nommé le 28 novembre commissaire chargé d'organiser les départements du Mont Blanc et des Alpes maritimes (avec trois autres conventionnels : Hérault de Séchelles, Simond et Jagot), il est à Chambéry lors du procès du Roi. Il opine par écrit : « Nous déclarons que notre voeu est pour la condamnation de Louis Capet par la Convention nationale sans appel au peuple » et, dans le texte, il avait rayé les mots « à mort ». A cette lettre officielle était jointe une lettre personnelle de Grégoire, qui sera certifiée authentique en 1801, par l'archiviste Camus, indiquant que s'il reconnaissait à la Convention le droit de juger Louis XVI, sa religion lui défendait de répandre le sang des hommes.
A la Convention, Grégoire, qui siège en calotte épiscopale, croix pectorale et bas violets, fait face à la tempête de déchristianisation. Le 7 novembre 1793, Gobel, archevêque conventionnel de Paris, vient solennellement se démettre de la prêtrise : il dépose sa mitre, sa croix et son anneau entre les mains du président et se coiffe du bonnet rouge. Indigné, Grégoire lui lance de son banc : « Infâme, tu renies ton Dieu ! » Ensuite, invité à imiter Gobel, Grégoire refuse superbement : « Catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été délégué par le peuple pour être évêque, mais ce n'est ni de lui, ni de vous que je tiens ma mission. J'ai consenti à porter le fardeau de l'épiscopat dans le temps où il était entouré d'épines ; on m'a tourmenté pour l'accepter ; on me tourmente aujourd'hui pour me forcer à une abdication qu'on ne m'arrachera jamais…; j'invoque la liberté des cultes. »
En juin 1793, il avait proposé, le premier, de codifier les lois relatives aux droits et devoirs réciproques des nations, le droit des gens (cf. ses Mémoires, tome 1, p. 428).
A la suite d'une vaste enquête auprès de ses correspondants provinciaux, il présente, en juin 1794, un rapport resté célèbre : Sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. Ainsi, selon Grégoire, « vingt millions de catholiques décident de ne plus parler à Dieu sans savoir ce qu'ils disent et célèbreront l'office divin en langue vulgaire ».
D'autre part, se consacrant plus spécialement à l'Instruction publique, il est à l'origine de la création du Conservatoire des Arts et Métiers (10 oct. 1794), du Bureau des longitudes (25 juin 1795) ; il coopère à la fondation de l'Institut de France (25 oct. 1795), auquel il appartiendra jusqu'en 1816 ; il présente trois rapports sur les destructions imputables au « vandalisme » révolutionnaire (le mot est de lui) et fait adopter des mesures propres à la conservation des objets d'art et des livres.
Après le 9 thermidor an 2 (27 juillet 1794), un discours très ferme et très courageux de Grégoire (21 déc. 1794) aboutit au vote par la Convention de la loi du 3 ventôse an 3 (21 février 1795) accordant le libre exercice du culte à toutes les religions. Dès lors, Grégoire consacre son activité à restaurer l'Église constitutionnelle avec des évêques anciens conventionnels sortis des cachots de la Terreur, les évêques réunis : Saurine (Dax), Roger (Belley) et Desbois de Rochefort (Amiens). Membre du Conseil des Cinq-Cents (Constitution dite de l'an 3), il fonde un hebdomadaire, Les Annales de la Religion, dont il sera le principal rédacteur, de 1795 à 1803.
En août 1797, il réunit à Paris le premier concile national de l'Église constitutionnelle (101 membres), qui ratifie les mesures qu'il avait préparées pour la restructuration de ladite Église (15 août-12 novembre 1797).
Sa situation financière étant alors voisine de la gêne, Grégoire accepte le poste de conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal (4000 francs par an) créé pour lui, par son compatriote lorrain François de Neufchâteau.
Au début du Consulat (Constitution dite de l’an 8), Grégoire, membre (et président) du Corps Législatif, combat la politique concordataire du Premier Consul.
En août 1800, il est consulté et remet à Bonaparte un mémoire dans lequel il reprenait ses thèses (gallicanisme, constitution civile du clergé, épiscopat constitutionnel). Cette politique n'était pas celle du Premier Consul mais il utilisa certains arguments de Grégoire dans ses négociations avec le Saint-Siège (6). Après la signature du Concordat, le 15 juillet 1801, à l'Hôtel Marbeuf, résidence de Joseph Bonaparte, Fouché, le lendemain, introduit aux Tuileries, Grégoire, Primat et Périer, évêques constitutionnels de Lyon et de Clermont-Ferrand. Le Premier Consul les informe confidentiellement de la convention conclue avec Rome. Cet entretien, qui confirme le désaccord des évêques liés à Grégoire, incite Bonaparte à fondre les deux clergés (constitutionnel ou non) lors de la formation du nouvel épiscopat concordataire, ce qui sera fait en 1802 (7).
Dans ces conditions, le 2ème concile du clergé constitutionnel, qui s'était réuni à Notre-Dame de Paris, le 29 juin 1801, doit se séparer le 16 août, sur injonction de Fouché.
Le 8 octobre, Grégoire présente sa démission d'évêque de Blois, mais il sera écarté du nouvel épiscopat concordataire (il était trop marqué pour cela). Jusqu'à sa mort, il signera de son large paraphe : « Ancien évêque de Blois » (8).
Le 26 décembre 1801, il est élu membre du Sénat et son élection apparaît comme une protestation contre le Concordat. Désormais, il siège dans le costume officiel de sénateur, avec l'épée au côté. Dans cette haute assemblée, il fut l'un des adversaires les plus acharnés du régime napoléonien : il se prononce en 1802 contre le Consulat à vie, en 1804 contre l'établissement de l'Empire, en 1808 contre la création de la noblesse impériale (il accepte néanmoins, en juillet 1808, le titre de comte de l'Empire), en 1809-1810 contre le divorce de l'Empereur. Il était commandant de la Légion d'honneur depuis le 14 juin 1804. Napoléon, qui l'appelait « Tête de fer », respectait sa forte personnalité. Il disait de lui : c'est un homme qui restera toujours un homme.
A Paris, il était alors hébergé par le ménage Dubois, des catholiques chez qui des amis lorrains l'avaient recommandé. Bien qu'en marge du clergé officiel, Grégoire avait obtenu du cardinal-archevêque de Paris l'autorisation de continuer à célébrer la messe (27 juillet 1804), ce qui fut un grand réconfort pour lui. D'autre part, il voyage beaucoup (Angleterre, Belgique, Hollande, Allemagne), rédige ses Mémoires achevés en 1808 et publiés en 1837 (voir J. Tulard, Bibliographie critique, 1971, p. 77, n°335) et diffuse une seconde édition des Ruines de Port-Royal. En 1814, il vote la déchéance de Napoléon.
Exclu de l’institut en 1816, il est privé de sa pension de sénateur et doit se résoudre à vendre ses livres.
Il publie un Essai historique sur les libertés de l'Église gallicane (1817). En 1819, il est présenté à la députation dans l'Isère par le Comité jacobin de Paris, soutenu par Stendhal et Béranger. Il est élu mais, malgré la défense de Manuel, exclu de la chambre pour indignité, comme « régicide », au cri de « Vive le Roi » (9). Entre 1820 et 1830, il publie : De la liberté de conscience et de culte à Haïti (1824), Histoire du mariage des prêtres en France, particulièrement depuis 1789 (1826), Histoire des sectes religieuses, 3ème éd. (1828).
En 1830, Grégoire applaudit aux Trois glorieuses. Mais il est malade et jusqu'à la fin refuse de se réconcilier avec Rome et de rétracter son serment de 1790. Il meurt le 28 mai 1831 au 44, rue du Cherche-Midi, à Paris 6ème (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 265), dans sa 81ème année, après avoir reçu les sacrements de l'abbé A. Guillon, confesseur de la reine Marie-Amélie, malgré l'interdiction de Mgr de Quélen, archevêque de Paris. L'abbé Guillon y perdra l'évêché de Beauvais, où il venait d'être nommé…
Ses obsèques sont célébrées le 31 mai 1831, dans la petite église de l'Abbaye-aux-Bois, 16, rue de Sèvres, à Paris 7ème (aujourd'hui disparue). Après les honneurs militaires rendus à la sortie de l'église au libérateur des Juifs et des Noirs, elles donnèrent lieu à une imposante manifestation politique, comme celles du général Foy en 1825. Le cercueil est porté par des ouvriers et des étudiants jusqu'au cimetière Montparnasse, où Thibaudeau fait un discours (2ème div., voir Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 279). Ses cendres ont été transférées au Panthéon, le 12 décembre 1989.
Depuis 1880, une rue de Paris dans le 6ème porte son nom et à Lunéville sa statue domine la place des Carmes (Répertoire mondial…, p. 181).
Grégoire, en raison de son indépendance et de son manque total de souplesse, agaçait Napoléon. Pourtant, à Sainte-Hélène, l'Empereur lui a rendu cet hommage :
« Grégoire, quand les révolutionnaires reniaient Dieu et abolissaient la prêtrise, faillit se faire massacrer en montant à la tribune pour y proclamer hautement ses sentiments religieux et professer qu'il mourrait prêtre. Quand on détruisait les autels dans toutes les églises, Grégoire en élevait un dans sa chambre et y disait la messe chaque jour » (Mémorial, 1816).
Chrétien engagé, moraliste rigide, Michelet dira de lui : « Grégoire s'était fait deux divinités : le Christ et la démocratie, qui, dans son esprit, se confondaient en une seule, puisqu'elles étaient censées incarner, à ses yeux, l'une et l'autre, le même idéal d'égalité et de fraternité ».
Enfin, et c'est un aspect essentiel, l'oeuvre de l'abbé Grégoire « continue de nourrir l'actualité de l'Histoire en ce qu'elle a de plus prophétique pour les droits de l'Homme » (B. Plongeron) (10).
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 415
Mois : Oct-Nov
Année : 1997
Pages : 59-60
Notes
(1) A Vého, la maison natale de l'abbé Grégoire se trouvait face à l'église et à la mairie. Une plaque commémorative le rappelle (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 183).
(2) et (2 bis) Sur l'action de Grégoire, voir les commentaires de Robert Badinter, in Libres et égaux (Fayard, 1989).
(3) La salle du Jeu de paume (rue du Jeu de paume, à Versailles) est devenue musée en 1883, restaurée en 1987. Les bustes de 22 députés sont exposés, notamment celui de l'abbé Grégoire (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 332).
(4) La Constitution civile du clergé, condamnée par le pape Pie VI, en mars et avril 1791, entraîna la cassure entre les prêtres constitutionnels ou jureurs et les prêtres réfractaires ou insermentés.
(5) A Blois, 17, quai de l'abbé Grégoire, dans les jardins de l'Hôtel-Dieu, on remarque un buste de l'abbé Grégoire (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 140).
(6) Voir Abbé G. Constant, L'Église de France sous la Révolution et l'Empire (J. Gabalda, Paris, 1928).
(7) Voir Napoléon et l'Église, par M.Allégret : Bulletin de l'Association Conrad Eubel, n° 9-10 janvier 1996.
(8) Lors du séjour de Pie VII à Paris, pour le sacre de Napoléon, le cardinal Fesch et l'abbé Emery proposèrent à Grégoire un entretien avec le Pape, mais Grégoire ayant exigé d'être reçu comme évêque, la proposition n'eut pas de suite.
(9) Cf. Emmanuel de Waresquiel, Benoît Yvert, Histoire de la Restauration, Perrin 1996, p. 284.
(10) Autres sources : Michaud, Biographie universelle, t. 17 (1857), p. 458 ; Roman d'Amat, Dictionnaire de biographie française, t. 16, p. 1139 ; Dictionnaire de la Révolution, p. 859; Dictionnaire Napoléon, p. 838, rubrique Grégoire, par B. Plongeron ; L'Abbé Grégoire ou l'Arche de la Fraternité, par B. Plongeron (Letouzey et Ané, 1989) ; L'Abbé Grégoire, Evêque et démocrate, par G. Hourdin (Desclée de Brouwer, 1989).