HITTORFF, Jacques-Ignace, (1792-1867), architecte

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Cologne était encore la vieille ville traditionnelle et commerciale de l’Ancien régime lorsque y naquit en 1792 Jacques-Ignace Hittorff, d’une famille d’artisans modestes.

Mais deux ans plus tard, l’annexion des provinces rhénanes le faisait Français, et bientôt l’adolescent se voyait attiré par Paris. Entré en 1811 à l’École des Beaux-Arts fondée par Napoléon quatre ans plus tôt, il devint élève de Percier et débuta tout de suite sur un chantier prestigieux : l’architecte Bélanger le prit pour adjoint afin d’élever la coupole de la Halle au blé, un des premiers édifices métalliques de Paris, qui subsiste.
Ce fut un des ultimes chantiers de l’Empire. Après les Cent-Jours, le Congrès de Vienne attribua les provinces rhénanes à la Prusse et, du coup, Hittorff perdit la nationalité française et se vit refuser l’accès au concours de Rome. Mais Bélanger le fit nommer sous-inspecteur des fêtes et cérémonies royales. Et comme le vieil architecte s’était construit au faubourg Poissonnière, quartier en mutation, une demeure qui subsiste au n°19, Hittorff fut autorisé à construire derrière, pour lui, une petite maison venue jusqu’à nous, sa première œuvre.

A la mort de Bélanger, Hittorff devint architecte des fêtes et cérémonies, chargé de concevoir des décors provisoires pour les solennités du règne. Et il était suffisamment bien vu de l’administration royale pour recevoir un congé de dix-huit mois en vue de visiter l’Italie. Rome, Naples, la Sicile, le virent passer, carnet de croquis en main, et lui apportèrent une découverte qui va marquer toute son œuvre : les temples antiques étaient polychromes. Il rapporta une moisson de documentation et sut, à Paris, la faire connaître.
Les obsèques de Louis XVIII, le sacre de Charles X le virent à nouveau ordonnateur de décors parisiens. À trente-deux ans, Hittorff était estimé, presque célèbre, pourvu de nombreuses commandes : il pouvait se marier, confortant en même temps sa carrière grâce à son beau-père, l’architecte J.-B. Lepère.
Avec la chute des Bourbons et l’avènement de Louis-Philippe se dessinait une évolution de l’architecture, qui jusque-là avait privilégié l’apparence extérieure de l’édifice. Pour la nouvelle génération, Duban, Labrouste, Hittorff, l’intérieur commandait, et devait, comme dans une église gothique, traduire ses dispositions à l’extérieur. Au service de ces bâtiments loyaux, où le fonctionnalisme est en germe, Hittorff va mettre une réputation déjà bien établie.

La place de la Concorde, qui lui fut confiée en 1836, fut son premier grand chantier.

Louis-Philippe avait compris qu’il fallait démythifier cet espace marqué par l’Histoire et saisit l’occasion d’ériger un monument central « neutre », l’obélisque de Louqsor. Hittorff l’installa sur un haut socle, le flanqua de fontaines et plaça sur les guérites de Gabriel des statues de villes, thème nouveau que l’on retrouvera dans les gares de l’époque. Tandis que de spectaculaires réverbères rappelaient le goût de l’architecte pour la polychromie.
Polychromie qu’Hittorff va largement utiliser à l’église Saint-Vincent de Paul, élevée de 1833 à 1844, dont l’architecture éclectique se para, à l’intérieur, d’un décor jouant sur la couleur et la somptuosité. Au stuc des colonnes, à l’or des chapiteaux se joignirent les majestueuses peintures de Flandrin et les vitraux peints de Maréchal de Metz. Quelques années plus tard, Haussmann voulut ajouter à l’ensemble en ornant le porche de panneaux de lave émaillée représentant des scènes bibliques, mais les paroissiens s’indignèrent de voir Ève représentée nue et obtinrent leur suppression.
Le chantier de la Concorde s’était prolongé par celui des Champs-Élysées, confiés à Hittorff en 1838 avec mission de faire une promenade de ce qui n’était encore qu’un bois parfois mal famé. Il y planta des fontaines de fonte et surtout y construisit cinq restaurants où il s’abandonna à son goût pour la polychromie et un certain pittoresque archéologique, créant une architecture festive que l’on peut encore goûter à l’Alcazar d’été (devenu Pavillon Gabriel) chez Laurent et chez Ledoyen.
Cette architecture de fête, Hittorff, redevenu citoyen français en 1842, va lui donner son chef-d’œuvre avec le Cirque d’hiver, élevé boulevard des Filles du Calvaire en un temps record, d’avril à décembre 1852. Un plan d’une géniale simplicité : un polygone à vingt pans, de quarante et un mètres de diamètre, y entoure une piste circulaire unique entourée d’un amphithéâtre. Hittorff avait cherché à libérer l’espace au mieux en renonçant à tout appui intermédiaire : la couverture sur charpente de bois repose directement sur le mur d’enceinte.
Très soigné, le décor extérieur et intérieur, bien restauré ces dernières années, cherchait à donner un aspect de richesse, et Hittorff avait fait un festival de dorures et de polychromie de cet édifice qui manifestait l’inventivité de son auteur. À partir d’une transformation et d’une ré-interprétation du théâtre antique, il avait créé un type d’architecture original, parfaitement adapté à son usage. Cette véritable architecture de fête fera école en France et à l’étranger, et les Amis de Napoléon III ont bien fait, en 1999, de poser à l’intérieur, une plaque à la mémoire de son créateur.

L’année 1853 vit à la fois l’élection d’Hittorff à l’Institut et l’arrivée d’Haussmann.

Entre le Rhénan et l’Alsacien, l’hostilité régna aussitôt. Plus vieux de dix-sept ans, à la tête d’une oeuvre importante, Hittorff, d’ailleurs souvent soutenu par Napoléon III, manifestera parfois son opposition au tout-puissant préfet.
On le revit, à l’époque, à la Concorde où, sur ordre du pouvoir, il remblaya les fossés, et à l’Étoile, dont il fallait unifier l’aspect architectural. Hittorff avait compris qu’à l’opposé d’une place royale close, on avait ici une place-carrefour, où l’espace devait être « monumentalisé ». Aussi conçut-il des hôtels d’aspect semblable, installés sur chacun des douze lots et limités à une hauteur de vingt et un mètres. Haussmann aurait voulu des constructions plus monumentales, mais Hittorff en appela à l’Empereur, qui lui donna raison. Haussmann, de son propre aveu, se vengea en faisant planter devant les hôtels des massifs d’arbres pour les dissimuler.
Mais l’Exposition de 1855 s’annonçait, pour laquelle on avait besoin de nouveaux hôtels de voyageurs. Les frères Pereire firent construire par un groupe d’architectes, dont Hittorff, l’hôtel du Louvre (aujourd’hui Louvre des Antiquaires), qui comportait pour la première fois une « mécanique destinée à porter les locataires à tous les étages ».
Plus originale est la Fondation Eugène Napoléon (254, faubourg Saint-Antoine). Lors des fiançailles de l’Empereur, la ville avait voté un budget de 600 000 francs pour offrir un collier à Eugénie. Celle-ci, admiratrice de Marie-Antoinette et connaissant le rôle fâcheux joué par un collier dans son destin, refusa, demandant que le crédit fût affecté à la création d’une œuvre d’éducation de jeunes filles pauvres. Hittorff fut désigné, un terrain trouvé dans un quartier populaire, et l’architecte conçut un édifice dont le plan suggérait le dessin d’un collier, le pavillon d’entrée évoquant le pendentif et la chapelle le fermoir (1853-1857). Par-là, Hittorff manifestait une invention expressionniste et presque surréaliste.

Par ailleurs, l’extension de Paris nécessitait la construction de nouvelles mairies, et Haussmann décida de placer celle du Ier arrondissement en face de la colonnade du Louvre, en pendant à Saint-Germain l’Auxerrois. Hittorff présenta d’abord un projet où seul le gabarit du nouvel édifice équilibrait la vieille église, mais Napoléon III et Haussmann lui imposèrent un pignon et une rose. Il en résulta un édifice de style gothico-Renaissance, la symétrie étant encore soulignée, entre église et mairie, par un campanile construit par Ballu. La réprobation du public fut quasi générale, et les Parisiens parlèrent d’un huilier avec son manche central et ses deux burettes. Ce fut la dernière œuvre d’Hittorff pour la Ville de Paris.

Le grand constructeur termina sa carrière par un chef-d’œuvre, la gare du Nord (1858-1864).

Chargé par la Compagnie du dessin de la façade et de l’étude des structures métalliques, il réussit à allier la monumentalité à la technique.
Une façade de 180 mètres de long, où des pilastres ioniques et un décor sculpté encadrent de grandes baies, précède un grand hall métallique de soixante-douze mètres sur deux cents, composé de trois nefs parallèles séparées par de minces colonnes de fonte. Avec ces deux parties totalement solidaires, Hittorff avait montré sa parfaite compréhension de l’architecture, qui n’a pas à se soumettre à la technique, mais doit l’incorporer. Il avait vu grand et loin, car cent quarante ans plus tard, la gare continue à faire face aux besoins.
La gare du Nord symbolisait bien cette époque de progrès technique triomphant, cette croyance un peu naïve en des temps nouveaux, et il est heureux que l’on ait donné en 1990 à la place qui la précède le nom de Napoléon III.
Depuis longtemps, Hittorff était installé avec sa famille dans le quartier Notre-Dame de Lorette, dans une petite maison emplie des souvenirs de sa carrière. Sorte de village guetté par Haussmann, qui fit en 1866 promulguer une loi ordonnant le bouleversement du quartier. Mais le vieil architecte ne connut pas la douleur d’être expulsé : il mourut dans sa maison le 25 mars 1867, âgé de soixante-quinze ans, regrettant peut-être que le régime ne l’ait pas fait construire davantage.

Auteur : Georges Poisson
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 428
Mois : avril-mai
Année : 2000
Pages : 46-49

Bibliographie complémentaire :
– Catalogue de l’exposition Hittorff, Carnavalet, 1986 ;
– Georges Poisson, Histoire de l’architecture à Paris, Paris, 1997.

En ligne
– La gare du Nord
– La fondation Eugène-Napoléon, dans Napoleonica. La Revue

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