INGRES, Jean Auguste Dominique (1780-1867), peintre

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En 1775, le toulousain Jean Marie Joseph Ingres (1755-1814), peintre, miniaturiste, sculpteur et ornemaniste, s’installe à Montauban, où il épouse, le 12 août 1777, Anne Moulet, d’origine quercinoise. C’est donc à Montauban que naît, le 29 août 1780, Jean Auguste Dominique Ingres, qui sera l’aîné de leurs cinq enfants et deviendra le célèbre peintre (1) . Jean Dominique Ingres le dira : « J’ai été élevé dans le crayon rouge. Mon père me destinait à la peinture, tout en m’enseignant la musique comme passe-temps ».
Après une instruction limitée chez les Frères de la doctrine chrétienne, Jean Dominique entre, en 1791, à l’Académie de Toulouse où il a, comme professeur, le peintre Roques (qui sera à l’origine de son admiration pour Raphaël). Parallèlement à la peinture, il excelle aussi dans la musique, avec comme professeur le violoniste Lejeune. Il sera même second violon à l’Orchestre du Capitole de Toulouse, d’où l’expression « avoir son violon d’Ingres » passée dans le langage courant. En 1799, à l’issue de ses études, ses maîtres lui délivrent un certificat élogieux : « Ce jeune émule des arts honorera un jour sa patrie par la supériorité des talents qu’il est très près d’acquérir ».
Il vient alors à Paris, où son certificat lui permet d’entrer dans l’atelier de David.
C’est un élève grave et studieux. David lui demande de l’aider pour terminer son portait de Mme Récamier (Louvre). En 1800, il échoue une première fois au Concours de Rome : en effet, son Antiochus et Scipion (détruit) n’obtient que le deuxième prix. Mais l’année suivante, son Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon (1801, École des Beaux-Arts) lui vaut le premier Grand Prix.

Toutefois, la situation politique et financière l’oblige à différer son départ pour Rome

En attendant, une pension lui est accordée ainsi qu’un atelier dans l’ancien couvent des Capucines, où il a d’éminents voisins : Gros, Girodet, Granet (qui deviendra son ami de coeur) et le sculpteur italien Bertolini.
Son activité est alors axée sur le portrait (Autoportrait à 24 ans : Musée Condé à Chantilly ; son ami Gilibert, 1804-1805, Montauban ; Desmarets, 1805, Toulouse, Musée des Augustins).
En 1803, malgré son jeune âge, Denon l’inscrit pour un portrait du Premier Consul destiné à la ville de Liège. Le portrait (1804, 227 x 147, aujourd’hui au Musée de l’Art Moderne à Liège ; voir Histoire de Napoléon par la peinture, Belfond 1991, p. 41) commémore la visite de Bonaparte en août 1803 et le décret consulaire, accordant une aide à la ville pour la reconstruction d’un faubourg détruit par les Autrichiens. Le Premier Consul a son habit d’apparat rouge et or, la main gauche dans le gilet, la main droite désigne le décret, le visage est impassible, le regard tendu vers un horizon lointain.
Ce portrait a plu puisque l’année suivante, Ingres reçoit la commande du portrait de S.M. Napoléon sur le trône impérial (Salon de 1806, huile sur toile, 163 x 260, acquis par le Corps législatif ; aujourd’hui au Musée de l’Armée ; voir Histoire de Napoléon précitée, p. 11 et 60). « Admirable composition, d’un symbolisme puissant, très sévèrement accueillie par la critique, qualifiée de “bizarre” et de “gothique”. Rigoureusement de face, la silhouette amenuisée sous les plis de son immense manteau, dominé par le haut dossier qui auréole son visage au teint d’ivoire, c’est bien le symbole du souverain héritier de Charlemagne et de l’Empire byzantin : l’homme disparaît derrière la fonction » (Nicole Hubert) (2).
Encore en 1806, Ingres exécute des portraits : Mme Aymon, dite la Belle Zélie (Rouen, Musée des Beaux-Arts), la famille Rivière (Salon de 1806, Louvre ; Monsieur, Madame et la délicieuse Caroline, la jeune fille), le portrait dessiné de la Famille Forestier (Louvre, Cabinet des dessins), où figure Julie, sa première fiancée.
Ces portraits sont les premiers d’une soixantaine d’autres réalisés par Ingres durant sa longue carrière. Il en était mécontent et écrivait à ses amis : « Maudits portraits ! Ils m’empêchent toujours de marcher aux grandes choses, je ne peux les souffrir ».
Et, pourtant, ses portraits sont remarquables : « Modelé rond et lisse sur lequel glisse doucement la lumière, raffinement extrême des coloris, goût de l’artiste pour l’arabesque toute en courbes et contre-courbes », effet prodigieux des étoffes et des bijoux. Ingres aimait faire des portraits de femmes, potelées de préférence.

Enfin, en septembre 1806, il part pour Rome

et, après des arrêts à Turin, Milan, Bologne et Florence, il arrive à la Villa Médicis, le 11 octobre. Au Vatican et à la Chapelle Sixtine, il est enthousiasmé par Raphaël. Il peint la première de ses baigneuses de dos, la Baigneuse de Valpinçon, dite la Grande baigneuse (Salon de 1808, Louvre), Œdipe et le Sphinx (Salon de 1808, Louvre), la Dormeuse dite de Naples (que Murat achètera). Il fait la connaissance de Charles Marcotte d’Argenteuil, chargé des Eaux-et-Forêts à Rome, et cette amitié le suivra jusqu’à la fin de sa vie.
En 1810, son temps de pensionnat achevé à la Villa Médicis, il décide de rester à Rome et s’installe au n° 40 de la via Gregoriana. Il peint Jupiter et Thétis (1811, Aix-en-Provence, Musée Granet, Histoire de Napoléon par la peinture, p. 114) et deux compositions décoratives lui sont demandées pour les appartements impériaux au palais du Quirinal : Romulus vainqueur d’Acron (1812, Paris, École des Beaux-Arts) et le Songe d’Ossian (1812-1813, 348 x 275, Montauban, Musée Ingres), pour la chambre de l’Empereur, où il ne vint jamais (3). Marqué par le souvenir du tableau romantique de Gérard (Malmaison, voir notice n° 100, RSN n° 406), Ingres en a fait une vision presque surréaliste, fixée dans le sommeil et le rêve (N. Hubert).
Pour la Villa Aldobrandini, où réside le général Miollis, gouverneur de Rome sous le Premier Empire, Ingres peint Virgile lisant l’Enéide (1812, Toulouse, Musée des Augustins).
C’est à cette époque que se situe le mariage assez insolite du peintre. Ingres était épris d’une femme mariée, Adèle de Lauréal ; celle-ci lui propose de le mettre en rapport avec sa cousine, Madeleine Chapelle (1782-1849), une modiste de Guéret, qui lui ressemblait comme une jumelle. Ingres écrit, la jeune femme vient à Rome et le mariage est célébré le 4 décembre 1813. Et ce sera une union heureuse (4) .
Pour Lucien Bonaparte, prince de Canino, Ingres dessine le portrait de sa femme Alexandrine (Bayonne, Musée Bonnat), Lucien lui-même, dans la campagne romaine (New York, coll. privée) et sa Nombreuse famille autour du buste du prince (Cambridge, Fogg Art Mus.).
Pour les Murat, il fait des portraits. L’un d’eux, celui de la reine Caroline (1814) a été retrouvé en 1987 (voir Histoire de Napoléon par la peinture, p. 188). Quelques dessins subsistent : le visage de la reine Caroline (Montauban, Musée Ingres) : la reine Caroline assise, le prince Achille, le prince Lucien (coll. des princes Murat). Pour la reine Caroline, il peint la célèbre toile La grande Odalisque (1814, Louvre ; compte tenu des événements, elle ne sera jamais livrée à Naples) (5).
D’autres portraits sont réalisés : le peintre Granet (1807, Aix-en-Provence, Musée Granet), Mme Devaucay (1807, Musée Condé, Chantilly), Charles Marcotte d’Argenteuil (1810, Washington, Nat. Gall.), Hippolyte Devillers, directeur de l’Enregistrement à Rome (1811, Zurich, Fondation Bürhle), le baron de Norvins, directeur général de la police à Rome (Londres, Nat. Gall.), la comtesse de Tournon, mère du préfet de Rome (1812, Philadelphie), Mme de Sénonnes (1814, Nantes, Musée des Beaux-Arts : une belle femme sertie dans une robe décolletée de velours rouge).

Mais 1815 voit la chute de l’Empire et du royaume de Naples

Ingres perd la clientèle des Napoléonides et des fonctionnaires français en poste à Rome et doit se concentrer, pour vivre, sur les portraits dessinés des étrangers de passage, notamment des Anglais. Un ami romain raconte : « Ingres faisait les portraits en quatre heures. Le matin, une heure et demie, puis deux heures et demie l’après-midi. Il profitait souvent de l’heure du déjeuner parce que le modèle, ne pensant pas à la pose, était plus naturel. Il y retouchait rarement le lendemain ».
Ensuite, Ingres s’installe à Florence, où il demeure pendant quatre ans (1820-1824). C’est à Florence qu’il accepte la première commande officielle du nouveau régime français : Le voeu de Louis XIII, destinée à la cathédrale Notre-Dame de Montauban. L’oeuvre est présentée au Salon de 1824, elle est accueillie avec enthousiasme.
Ingres, qui a regagné Paris, reçoit la croix de la Légion d’honneur (janvier 1825), il est élu à l’Institut par 18 voix contre 17 à Horace Vernet, et ouvre un atelier rue des Marais aujourd’hui rue Visconti (Paris, 6e).
Au Salon de 1827, il présente L’apothéose d’Homère, pour le plafond du Musée Charles X au Louvre (386 x 515, Louvre). Il est nommé professeur à l’École des Beaux-Arts (1829) et officier de la Légion d’honneur (1833). On peut alors noter les portraits de Louis François Bertin, le fondateur du Journal des Débats (1832, Louvre) et du comte Mathieu Molé (1834, coll. part.).
Toutefois, au Salon de 1834, son oeuvre Le Martyre de Saint Symphorien (407 x 339, destinée à la cathédrale Saint-Lazare à Autun) n’obtient guère de succès.
Cet échec incite le peintre à poser sa candidature à la succession d’Horace Vernet à la direction de l’Académie de France à Rome. Il l’obtient. De 1835 à 1841, Ingres dirige très activement la Villa Médicis, transforme bâtiments et jardins, crée un cours d’archéologie, une bibliothèque, reçoit d’illustres visiteurs : Thiers, Viollet-le-Duc, Gounod, Liszt, Lacordaire, Sainte-Beuve…
À Rome, il peint la célèbre Odalisque à l’esclave (1840 ; 72 x 100, Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge, Mass.) (6) ; Antiochus et Stratonice (1840, Musée Condé, Chantilly) et laisse à son successeur une Villa Médicis prospère.
Son retour à Paris est triomphal (1841). Ses admirateurs lui offrent un banquet de 426 couverts, présidé par le marquis de Pastoret (7) . Berlioz compose le programme d’un concert. Louis-Philippe l’invite à visiter Versailles et le retient à dîner au château de Neuilly et, pour lui, on joue de la musique de Gluck. En 1845, il est nommé commandeur de la Légion d’honneur.
Il exécute encore quelques portraits éblouissants : la comtesse d’Haussonville (1845, New York, coll. Frick, peut-être le plus beau) ; la baronne James de Rothschild (1848, coll. privée) ; la princesse de Broglie (1853, The Metropolitan Museum of Art, New York) ; Mme Moitessier assise (1856, National Gallery, Londres). Selon Baudelaire : « M. Ingres, le seul homme en France qui fasse vraiment des portraits » (1845).
En juillet 1849, c’est la mort de Madeleine, son épouse. Ingres en est désespéré, il voyage et fait une première donation à la ville de Montauban. En 1852, il se remarie avec Delphine Ramel, une parente de son ami Marcotte (elle a 43 ans, lui 72 ans). Ils s’installent 49, rue de Lille, à Paris (7e) et, chaque été, à Meung-sur-Loire (Loiret) (8).
En février 1854, Napoléon III et Eugénie viennent voir, dans son atelier, L’apothéose de Napoléon Ier, qui lui avait été commandée pour le salon de l’Empereur à l’Hôtel-de-Ville de Paris (détruite en 1871 ; esquisse Paris, Musée Carnavalet ; voir Histoire de Napoléon par la peinture, p. 304).
Lors de l’exposition universelle de 1855, à Paris, une première rétrospective de l’oeuvre de Jean Dominique Ingres est présentée. Napoléon III le fait nommer grand officier de la Légion d’honneur, puis sénateur (1862).

Il continue de travailler ; il a son atelier dans la cour du 17, quai Voltaire

Il peint La Vierge et l’hostie (1854, Louvre), Jeanne d’Arc au sacre du roi Charles VII, à Reims (1851-1854, 240 x 178, Louvre), La Source (1820-1856, 164 x 82, Orsay) et il achève le Bain turc (1859-1862, Louvre). Le 8 janvier 1867, il fait un dessin du « Christ au tombeau » de Giotto, réunit à dîner quelques amis et donne une soirée musicale. Mais il prend froid en reconduisant ses invités et meurt le 14 janvier 1867, à 86 ans, à son domicile, 11, quai Voltaire, Paris 7e (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 273). Il est inhumé au Cimetière du Père Lachaise (23e division, Rép. mondial…, p. 299). Le 16 janvier, Napoléon III avait adressé une lettre de condoléances à Mme Ingres (Moniteur, 19 janvier) et Théophile Gautier a rendu hommage à sa mémoire (Moniteur, 23 janvier 1867).

Ingres avait légué à la ville de Montauban la plus grande partie de ses collections, notamment 4 000 dessins (9) , qui constituent le fonds du Musée Ingres de Montauban, installé dans l’ancien palais épiscopal et inauguré en 1869 (Rép. mondial…, p. 342). À l’entrée de la ville, rue du Tescou, dans un square, un monument lui a été élevé (Rép. mondial…, ibid) et, depuis 1864, une avenue de Paris (16e) porte son nom.
Dans l’histoire de la peinture, Ingres a une place à part. C’est un néoclassique et un romantique à la fois (H. Focillon, La peinture au XIXe siècle, Flammarion, 1991, tome 1, p. 194).
Comme l’observe Nicole Hubert, Ingres a eu de nombreux élèves mais il n’aura de réelle descendance que plus tard, avec Degas (1834-1917 ; celui-ci, encore jeune, avait rencontré le maître et reçu ses encouragements lors de l’exposition universelle de 1855) (10) (11)

Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 430
Mois : août-septembre
Année : 2000
Pages : 53-55

► Mise à jour juin 2023 : pour aller plus loin, retrouvez la biochronologie du peintre par Éric Bertin, spécialiste du peintre, assisté de Joanna Walkowska-Boiteux (2006, Bibliothèque numérique du Metropolitan Museum of Art de New York). Éric Bertin est coauteur des catalogues Ingres (Gallimard, 2006) et Juliette Récamier (Hazan, 2009).

Notes :

(1) À Montauban (Tarn-et-Garonne), 48, faubourg du Moustier, une plaque indique l’emplacement de la maison natale de Jean Dominique Ingres (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 342).
(2) On ne sait pas ce que l’Empereur pensa de cette représentation en forme d’icône, volontairement archaïsante. Seul François Gérard semble l’avoir comprise (F. Lacaille et G. Chaduc, Revue de la SAMA n° 114, 1997, II, p. 89).
(3) À la fin du XVIIIe siècle, dans l’Europe préromantique, la légende d’Ossian, héros et barde écossais, chants de guerre et d’amour d’un pays de brume et de rochers, eut un énorme succès. Notamment, elle enthousiasma Goethe, Chateaubriand, Lamartine, Mme de Staël et Napoléon.
(4) Ingres a fait le portrait dessiné de son épouse, née Madeleine Chapelle (Musée Ingres à Montauban).
(5) L’anatomie de la grande Odalisque a été critiquée : dos et bras trop longs (trois vertèbres en trop, paraît-il), bras trop maigres. Ingres répliqua que seule compte l’élégance des lignes.
(6) Pour l’Odalisque à l’esclave, il existe une autre version (1842, 76 x 105,4, The Walters Art Gallery, Baltimore).
(7) Un absent : Delacroix. Ingres et Delacroix ne s’aimaient pas.
(8) Ingres a fait le portrait de sa seconde épouse, née Delphine Ramel (1859, collection Oskar Reinhart am Römerholz, Winterthour, Suisse).
(9) Ingres fut un très grand dessinateur. Il a dit : « Le dessin est la probité de l’art ; il comprend tout excepté la teinte… Dessiner ne veut pas dire simplement reproduire des contours : le dessin ne consiste pas seulement dans le trait ; le dessin c’est encore l’expression, la forme intérieure, le plan, le modelé. Voyez ce qui reste après cela ! Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture » (A. Lhote, De la palette à l’écritoire, Corréa, Paris, 1946, p. 176-177).
(10) On peut rappeler qu’Ingres a vécu 24 ans en Italie (1806-1820 à Rome ; 1820-1824 à Florence ; 1835 à 1841, Villa Médicis, à Rome).
(11) Sources : Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, tome 18, p. 176 ; Dictionnaire Napoléon, notice Ingres, par Nicole Hubert, p. 926 ; Jean Auguste Dominique Ingres, par Gaëtan Picon (Skira, 1980) ; Ingres, par Véronique Prat, Le Figaro Magazine, 23 janvier 1999 ; À la National Gallery de Londres : Ingres à visages découverts, par Jean-Marie Tasset, Le Figaro, 23 février 1999.

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