Jean-Baptiste Isabey, qui deviendra le célèbre peintre, miniaturiste, dessinateur et aquarelliste, est né à Nancy, le 11 avril 1767 (1). Il était le deuxième fils de Jacques Isabey, épicier et de Marie-Françoise Morel, son épouse.
À Nancy, il étudie la peinture avec deux artistes lorrains : Girardet (architecture et décoration) et Claudot (art du paysage). À dix-neuf ans, en 1786, il se rend à Paris, avec une lettre de recommandation pour J. Dumont, artiste lorrain et premier peintre en miniature de la reine. Il gagne sa vie en peignant des couvercles de tabatières ou des ornements sur les boutons d’habit, selon la mode de l’époque. Par un camarade d’atelier, il est introduit auprès de la Cour, à Versailles ; il fait les portraits en médaillon des deux fils du comte d’Artois et celui de la reine, Marie-Antoinette. En 1788, David revient d’Italie, il admet Isabey dans son atelier et lui enseigne les principes du néo-classicisme. Très vite, il devient membre de la loge « Les Amis Réunis », à l’Orient de Paris (1789) (2).
Le 13 août 1791, à 24 ans, il épouse Laurence de Salienne, d’une vieille famille, qu’il avait rencontrée dans une promenade publique, conduisant son père aveugle.
En 1792, Isabey, nommé capitaine, commande la troupe composée des élèves des arts, chargée de la garde du Louvre.
Grâce à la protection de David, il exécute, pour vivre, les portraits de certaines personnalités (Mme de Staël, Mirabeau, Barère, Saint-Just, Collot d’Herbois…). Deux dessins se faisant pendants : le Départ pour l’armée et le Retour (Salon de 1794) le font connaître. Ensuite, un grand dessin, le représentant dans une barque, avec sa femme et leurs trois enfants, dit la Nacelle ou la Barque d’Isabey (Salon de 1797) le rend célèbre. Sous le Directoire, il est le peintre favori de la société mondaine. Une grande facilité et une énorme puissance de travail lui permettent d’honorer ses nombreuses commandes. Il excelle dans ses portraits en miniature, « de femmes surtout, dont il sait à merveille embellir et rajeunir le visage ».
Pour aider son ami Gérard, Isabey lui achète, pour 3 000 francs, son Bélisaire portant son guide (Salon de 1795) ; il réussit à le revendre 6 000 francs et apporte le bénéfice de la revente à Gérard. En remerciement, Gérard fait le beau portrait d’Isabey, sa fille et son chien (Salon de 1796 ; Paris, Musée du Louvre ; voir Dictionnaire Napoléon, p. 941) (3).
Par ailleurs, depuis 1795, Isabey était devenu professeur de dessin au pensionnat fondé à Saint-Germain-en-Laye par Mme Campan (Hôtel de Rohan, 18, rue de l’Unité, aujourd’hui 42, rue des Ursulines : Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p.329). Notamment, il avait comme élève Hortense de Beauharnais (elle était la première en dessin) et, par celle-ci, il fait la connaissance de Joséphine et du général Bonaparte. Il devient l’un des familiers de Malmaison. Enjoué, aimable, patineur et danseur remarquables, il était « étourdissant de gaieté ». À Malmaison, il joue la comédie (tient le rôle de Figaro dans Le Barbier de Séville), avec Hortense (elle joue Rosine et c’est la vedette de la troupe), Eugène de Beauharnais, Bourrienne, Junot et son épouse, née Laure Permon, Caroline Murat, Lauriston, Savary et Talma lui-même, pour diriger les répétitions. En outre, dans le parc du château, Isabey n’hésite pas à jouer à saute-mouton, avec les jeunes aides de camp de Bonaparte.
C’est l’époque où il fait du Premier Consul l’un des plus beaux portraits (dessiné) de l’iconographie napoléonienne, le représentant debout dans le parc du château, en uniforme de colonel des chasseurs à cheval de la garde (Salon de 1802, Musée de Malmaison) (4).
De la même époque date la Revue dans la cour du Carrousel, un grand dessin dont son ami Carle Vernet avait exécuté les chevaux (voir J. Massin, Almanach du Ier Empire, le Club Français du Livre, 1965, p.127). D’autre part, toujours en 1802, Isabey dessine l’étoile à cinq rayons de l’ordre de la Légion d’honneur.
En 1803, naissance de son fils Eugène (1803-1886), au Louvre, dans l’appartement mis à sa disposition par le Premier Consul.
Au Salon de 1804, Isabey expose un grand dessin à la sépia : La visite du Premier Consul à la manufacture des frères Sévène, à Rouen, en novembre 1802,
(124 x 176 cm ; Musée national du château de Versailles ; voir L’Histoire de Napoléon par la peinture, p.12, extrait ; Napoléon, éd. Rencontre 1969, t. 4, p. 48-49, avec un repère des personnages) (5) (6).
Deux ans plus tard, il exécute La visite de l’Empereur à la manufacture d’Oberkampf, à Jouy-en-Josas (Musée de Versailles, Napoléon remet la Légion d’honneur à l’industriel : voir Napoléon, éd. Rencontre, t. 4, p. 45).
Après la proclamation de l’Empire, Isabey est nommé peintre dessinateur du Cabinet de l’Empereur, des cérémonies et relations extérieures. À ce titre, il prend une part importante aux préparatifs du couronnement. Il dessine tous les habits de cérémonie des participants ; en outre, Napoléon lui ayant demandé des dessins explicatifs des cérémonies prévues à Notre-Dame de Paris, pour le 2 décembre 1804, il fait mieux que cela : en deux jours, avec son épouse, il habille de papier une centaine de petites poupées en bois, trace à leur échelle un plan de la cathédrale et représente, sur une table, la cérémonie telle qu’elle allait se dérouler.
L’Empereur complimente Isabey pour son ingéniosité et lui dit : « Je désire que chacune de ces poupées porte, écrit sur son dos, le nom du personnage qu’elle représente. Tous ceux qui y figurent au cortège devront apprendre de ces poupées, leur place et leur attribution… ».
Dans ces conditions, une seule répétition, dans la galerie de Diane, sera suffisante.
À la demande de Napoléon, Isabey regroupe ses dessins dans le Livre du Sacre (Musée de Fontainebleau). Cet ouvrage ne sera achevé qu’en 1815 et Louis XVIII n’en permettra qu’un tirage limité.
Également, il dessine les broderies des costumes de la Cour impériale et les décors de nombreuses fêtes ; il est aussi chargé de la décoration du théâtre des Tuileries et de celui de Saint-Cloud.
En 1805, il est nommé premier peintre de la chambre de l’Impératrice.
Cette même année, il achète un petit hôtel particulier, 7, rue des Trois Frères (aujourd’hui sur une portion de la rue Taitbout, à Paris 9e), dans ce quartier surnommé alors la Nouvelle Athènes. Il l’aménage complètement selon ses plans et son épouse y ouvre un salon, où ils reçoivent leurs amis, notamment les artistes.
Isabey réalise en 1808 un magnifique portrait de Joséphine dans lequel il place une psyché pour montrer certains détails du dos de sa robe (Louvre ; Napoléon, éd. Rencontre, t. 3, p. 65 ; Napoléon, récits par son secrétaire et son valet, éd. Proctor Patterson Jones, Abbeville, 1993, p. 131).
D’autre part, il est chargé de dessiner un meuble prestigieux : un guéridon dont le plateau est orné en son centre d’un portrait de Napoléon sur un trône d’airain et, sur le pourtour, des médaillons de treize de ses lieutenants les plus glorieux. Ce guéridon, appelé Table d’Austerlitz ou Table des maréchaux figure au Salon de 1810 (Musée de Malmaison, salle dite de Marengo; voir L’ABCdaire des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, p. 107-108).
Un logement lui est attribué, à partir de 1809, à la Manufacture de Sèvres, où il avait commencé les dessins de la Table des maréchaux.
Ensuite, le mariage de Napoléon et de l’archiduchesse Marie-Louise lui donne l’occasion de faire les portraits des deux souverains (1810).
Il livrait, par dizaines, des miniatures représentant Napoléon (chacune coûtait 500 francs) au service des Présents, qui les faisait monter sur des boîtes que l’Empereur offrait aux personnes qu’il souhaitait honorer. En outre, Isabey est désigné pour enseigner l’aquarelle à la nouvelle Impératrice (7). Il fournit aussi des dessins de châles en cachemire, pour concurrencer les importations étrangères.
En 1811, il représente le Docteur Dubois présidant à l’accouchement de Marie-Louise (Parme, Musée Glauco Lombardi ; Napoléon, récits par son secrétaire et son valet, p. 313) et réalise deux portraits du petit Roi de Rome : l’un, couché dans le casque de Mars (Kunsthistorisches Museum Vienne ; un autre exemplaire à Bois-Préau), l’autre, quelques années après, sur un petit trône (Musée des Beaux-Arts, Nancy).
L’Impératrice lui ayant commandé les portraits de membres de sa famille, Isabey se rend à Vienne, en septembre 1812, et rapporte seize miniatures qu’il expose en novembre, au Salon de cette même année.
En ce qui concerne sa vie mondaine, Isabey est l’un des familiers du salon de son ami François Gérard, où il rencontre Percier, Fontaine, Guérin, Carle et Horace Vernet, David d’Angers, Ary Scheffer, Delacroix, Géricault, Cuvier, Humboldt, Stendhal et, plus tard, Adolphe Thiers et Honoré de Balzac.
En 1814, Isabey reste fidèle à Napoléon. Bien que douloureusement frappé par la mort, à dix-sept ans, de son fils aîné, lors de la récente campagne de France, il vient à Fontainebleau, pour assurer l’Empereur de sa fidélité. Napoléon l’engage à servir le roi Louis XVIII avec le même zèle.
Sous la première Restauration, Isabey accompagne Talleyrand en Autriche, pour la réunion du congrès diplomatique dit de Vienne.
Il dessine une Conférence du Congrès de Vienne où, notamment, Metternich, Wellington, et Talleyrand sont représentés (Salon de 1817). Il décore la cathédrale de Vienne pour une messe solennelle dite le 21 janvier 1815, à la mémoire de Louis XVI. Le 31 janvier 1815, il reçoit la croix de la Légion d’honneur.
Lors des Cent-Jours, il revient en France, vient saluer Napoléon aux Tuileries, le lendemain de son arrivée, et lui offre un portrait de son fils réalisé à Vienne.
Sous la seconde Restauration, il visite plusieurs fois le maréchal Ney dans sa prison, ce qui lui vaudra l’inimitié des royalistes.
En 1816, il s’exile en Angleterre. Il revient en France en 1817, rentre en grâce auprès de la Cour et fait le portrait de la duchesse d’Angoulême.
En 1818, il voyage en France : trois lavis en rendent compte (La vallée de Royat, Vue du Mont-Blanc et Vue de Lorraine) ; en 1820, en Angleterre, pour une exposition de ses oeuvres; en 1822, en Italie. En 1823, Louis XVIII le nomme dessinateur et ordonnateur des fêtes et spectacles de la Cour.
En 1824, il est admis dans l’entourage de la duchesse d’Angoulême et produit onze grisailles (Scènes de la vie au château de Rosny). À cette époque, il renonce aux miniatures sur ivoire et peint désormais sur papier carton ou vélin. Il pratique aussi la lithographie.
À la mort de Louis XVIII, il s’occupe du décor de la chapelle ardente aux Tuileries (1824), puis du sacre de Charles X. Promu officier de la Légion d’honneur en 1825, il est nommé, le 8 août 1828, dessinateur du Cabinet.
En 1829, c’est la mort de son épouse. Il vend son hôtel de la rue des Trois Frères et s’installe à l’Institut, dans un appartement mis à sa disposition par le gouvernement de Louis-Philippe. Il se remarie avec Eugénie Maystre, l’une de ses élèves, dont il aura deux enfants (Henri 1830-1834 et Henriette 1837-1881). Isabey brigue en vain l’Institut (en 1836, 1838 et 1843). Néanmoins, il est nommé, en 1837, conservateur adjoint des Musées royaux.
Il voit, avec joie, l’élection de Louis-Napoléon, fils d’Hortense, comme Prince-Président. L’artiste, dont l’âge a affaibli la vue et la main, reçoit une pension de 6 000 francs. En 1853, Napoléon III le nomme commandeur de la Légion d’honneur. Il est convié aux fêtes de la Cour et fréquente le salon de la princesse Mathilde. Isabey meurt le 18 avril 1855, à 88 ans, suite à une fluxion de poitrine, dans l’appartement de l’Institut qu’il occupait, 25, quai Conti, à Paris (6e).
Ses obsèques sont célébrées à l’église Saint-Germain-des-Prés (Journal des Débats, 19 avril 1855) et il est inhumé au cimetière du Père Lachaise (20e division ; voir Répertoire mondial… précité, p. 299).
Etienne-Jean Delécluze, peintre et critique d’art (1781-1863) a rappelé sa vie et son oeuvre (Journal des Débats, 27 avril 1855). Une rue de Paris (16e), ouverte en 1867, porte son nom.
En conclusion, comme l’écrivait Charles-Otto Zieseniss : « Une merveilleuse habileté, une grande puissance de travail, une urbanité enjouée, beaucoup d’intelligence, d’imagination, de goût et un talent exceptionnel, telles furent les qualités de cet homme de bien à qui il n’a manqué qu’un peu de génie pour être un grand-maître ».
Son fils, Louis Gabriel Eugène Isabey (Paris, 22 juillet 1803, Lagny, 27 avril 1886) fut également peintre, aquarelliste, lithographe et dessinateur.
Ses paysages, surtout des marines, révèlent une conception romantique de la nature. C’est en Normandie qu’il alla travailler. Vers la fin de sa vie, ses marines annoncent l’impressionnisme.
Pour les napoléoniens, une de ses oeuvres est particulièrement à retenir : Transbordement des restes de Napoléon Ier, en rade de Sainte-Hélène, à bord de la « Belle Poule », le 15 octobre 1840 (L’Histoire de Napoléon par la peinture, p.302-303; Dictionnaire Napoléon, in photos centrales en couleurs) (8).
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 431
Mois : Oct-Nov
Année : 2000
Pages : 57-58
Notes
(1) À Nancy, au coin de la place du Marché et de la rue de Saint-Dizier, une plaque commémorative est apposée sur la maison natale de Jean-Baptiste Isabey.
(2) Sous l’Empire, Isabey sera membre de la loge écossaise « Saint-Napoléon », à laquelle il offrira un portrait de l’Empereur (Daniel Ligou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, PUF, 1998, p. 641).
(3) L’oeuvre de Louis-Léopold Boilly (1761-1845), Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey (71,5 x 111 cm., 1798, Musée du Louvre, esquisse à Lille ; voir L’Histoire de Napoléon par la peinture, p. 157 ; Napoléon, récits par son secrétaire et son valet, p.249) réunit les plus grands artistes du temps : peintres (y compris Isabey), graveurs, Méhul, Percier et Fontaine, Talma, les sculpteurs Chaudet et Lemot.
(4) Le tableau de Gérard, Napoléon à Malmaison (1804, Musée de Malmaison ; voir Napoléon, éd. Rencontre, 1969, t. 3, p. 58 ; ABCdaire des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, p. 86) est inspiré du portrait dessiné d’Isabey. Dans ce portrait de Gérard, Napoléon porte la Légion d’honneur alors que dans celui d’Isabey, il est représenté sans aucune décoration.
(5) De nombreux personnages figurent dans ce grand dessin : le Premier Consul, Chaptal, Beugnot, Decrès, Bessières, Eugène de Beauharnais, Saint-Hilaire, Joséphine avec un magnifique châle, le cardinal Cambacérès, Moncey, Soult, Ordener…
(6) La couverture de la Revue du Souvenir Napoléonien, n° 428, avril-mai 2000, comporte une reproduction partielle du dessin d’Isabey.
(7) Voir le tableau de Menjaud (Versailles ; Napoléon, récits par son secrétaire et son valet, p. 331) : Marie-Louise, assise devant un chevalet, met en application les leçons d’Isabey, en prenant l’Empereur comme modèle.
(8) Sources : Michaud, Biographie universelle, tome 20, p. 382, notice Jean-Baptiste Isabey ; Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, tome 18, p. 202, notice J.B. Isabey ; p. 199, notice Eugène Isabey ; Dictionnaire Napoléon, p. 940, notice J.B. Isabey, par Charles-Otto Zieseniss ; Henri Focillon, La peinture au XIXe siècle, Flammarion, 1991, t. 1, p. 258 : Eugène Isabey et les marinistes ; Bernard Chevallier, L’ABCdaire des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, Flammarion, 1997.