JACOTIN, Pierre, (1765-1827), colonel, ingénieur-géographe

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Fils d’Etienne Jacotin, un modeste cultivateur et de Jeanne Testevuide, son épouse, Pierre Jacotin naît à Champigny-les-Langres (Haute-Marne), le 11 avril 1765. Son oncle, Dominique Testevuide, qui était l’un des responsables de l’établissement du plan terrier (cadastre) de la Corse, une oeuvre considérable exécutée en application d’un édit royal d’avril 1770, le destine tout naturellement à une carrière de géomètre et, pour cela, oriente ses études vers les mathématiques.
En 1781, Pierre Jacotin arrive en Corse et travaille au cadastre, sous la direction de son oncle, successivement comme élève-géomètre, ingénieur-géographe (1) et chef vérificateur. En 1794, le cadastre corse était à peu près terminé. Le jeune Jacotin y avait largement contribué puisqu’il avait relevé 84 000 arpents de terre sur un total général un peu supérieur à deux millions. C’est l’époque où les Anglais s’emparent de Bastia (3 prairial an II : 22 mai 1794). Les Français sont contraints de leur remettre les documents du plan terrier, mais avec la faculté d’en prendre copie. Pour l’accomplissement de celle-ci, l’amiral anglais Hood fait preuve d’une mauvaise volonté évidente. Jacotin, à force de ténacité, remplit sa tâche de copiste et lorsqu’il quitte la Corse emporte, avec lui, un dossier complet (mars 1796).

En 1798, Dominique Testevuide, en qualité de chef de tous les géographes, et Pierre Jacotin sont affectés au corps expéditionnaire d’Égypte, en vue de lever la carte de ce pays. Ils débarquent à Alexandrie le 5 juillet 1798. Immédiatement, Testevuide fait effectuer des relevés à Alexandrie, puis au Caire, mais il est assassiné lors de la révolte du Caire (21 octobre 1798). En février-juin 1799, Jacotin participe à l’expédition de Syrie, au cours de laquelle il exécute personnellement de nombreux relevés ; il a le mérite d’arpenter à pied la distance entre le Caire et Saint-Jean-d’Acre, « relevant au pas et à la boussole les marches et les camps de l’armée, préparant la carte du pays envahi ». À son retour au Caire, le général en chef Bonaparte le nomme, le 28 juin 1799, chef des ingénieurs-géographes de l’armée d’Orient, assimilé à chef de brigade (colonel).
Pour ses missions, il est assisté par un autre ingénieur-géographe, Coraboeuf (1771-1859) et par les polytechniciens Jomard et Lecesne. À juste titre, Jacotin est considéré comme le principal artisan de la carte topographique et géographique de l’Égypte. Membre, dès l’origine, de la commission des sciences et des arts, il est admis au sein de l’Institut d’Égypte (20 janvier 1800) et du Conseil privé de l’Égypte (14 septembre 1800).

En juillet 1800, une chute de cheval lui provoque une double fracture de la jambe droite. Pendant quatre mois, il doit marcher avec des béquilles, mais il n’en continue pas moins de travailler aux opérations de la carte.
Le 7 juillet 1801, il épouse au Caire Marie Naydorff, fille d’un négociant en grains qui avait perdu sa fortune du fait des événements.
Après son retour en France (décembre 1801), Jacotin est affecté au Dépôt de la guerre comme chef de la section topographique, avec rang de chef de brigade (16 janvier 1802), et il occupera ce poste jusqu’à sa mort, pendant plus de vingt-cinq ans; professeur à l’École spéciale militaire de Fontainebleau (10 mars 1803) ; confirmé dans le grade de colonel ingénieur-géographe (23 novembre 1808), chef de la section topographique, sous les ordres du général-comte Sanson, général du génie (Paris, 1756, Passy, 1824 ; G. Six, Dictionnaire des généraux de la Révolution et de l’Empire, tome 2, p.422).

Dans son service, Jacotin crée une école de gravure et de dessin. Compte tenu de ses travaux antérieurs, il dirige la confection des cartes topographique et géographique de l’Égypte et de la Syrie. La première, à l’échelle du 1/100000e comportait 47 feuilles qui, réunies, formaient un ensemble de 11 m de hauteur et 6,40 m de largeur. La seconde, à l’échelle du 1/1000000e se réduisait à 3 feuilles, représentant un rectangle de 1,20 m x 0,80 m. Elles seront gravées en juin 1804. Pour des motifs de secret militaire, Napoléon, en 1808, en interdit la publication. C’est seulement après la Restauration que l’on pourra utiliser les planches gravées sous l’Empire.

En outre, Jacotin rédige un Mémoire sur la construction de la carte d’Égypte qui sera inséré dans la monumentale Description de l’Égypte publiée de 1809 à 1822, en 20 volumes.
D’autre part, les ingénieurs de son service effectuent un énorme travail pour l’élaboration des cartes concernant l’Empire français ainsi que celles des autres États européens, au fur et à mesure des campagnes.
Napoléon connaissait la valeur d’un bon document cartographique (dans toutes ses campagnes, il avait d’ailleurs avec lui le géographe Bacler d’Albe, chef de son service topographique particulier) (2), « bien qu’il n’appréciait ni le nouveau système métrique appliqué à l’échelle (il continuait de raisonner comme au temps de sa jeunesse), ni l’odeur des papiers huilés, futurs calques, sur lesquels sont jetées les premières lignes des indispensables levés de terrain ».
Les ingénieurs du Dépôt de la Guerre, à Paris, sont constamment reliés aux ingénieurs-géographes dispersés sur les théâtres des opérations, tous d’un dévouement exemplaire ; ils rassemblent les renseignements les plus récents et les jettent dans l’urgence sur des cartes dont les délais de confection sont considérablement réduits. Grâce à leur labeur de jour et de nuit, les délais qui, entre un levé et la gravure finale des planches, pouvaient représenter 5 à 7 années, passeront à 1 ou 2 ans, parfois moins. Ce n’est cependant jamais assez rapide pour l’Empereur… (cf. Mme Cécile Souchon, La cartographie impériale : Revue de l’Institut Napoléon, n° 180-2000-1, p.83) (3).

En 1821, Jacotin est l’un des fondateurs de la Société de Géographie. Ensuite, il dresse une carte d’Espagne (en 20 feuilles), en moins d’un an, qui sert lors de l’intervention militaire française, en 1823 ; puis une carte de la Corse (en 8 feuillets) en 1824. Et, sous sa direction, la carte d’État-major, au 1/80000e est commencée.

Ses décorations : chevalier de la Légion d’honneur, le 17 juin 1809, officier le 25 avril 1821 ; chevalier de Saint-Louis, le 13 août 1814, confirmé par ordonnance du 10 décembre 1814.
Pierre Jacotin meurt à Paris (6e), 44, rue du Four-Saint-Germain, le 4 avril 1827 (et non pas 1829, comme il est indiqué quelquefois), à 61 ans, à la suite d’une gangrène de la jambe provoquée par une ancienne blessure, malgré les soins des docteurs Larrey et A. Dubois, ses anciens collègues de l’Institut d’Égypte. Il est inhumé le lendemain au cimetière de l’Est, dit du Père Lachaise (39e division). Sur sa tombe, Jomard, son collègue géographe, a rappelé ses qualités : son urbanité, sa modestie, son zèle passionné pour ses travaux et sa haute compétence (Moniteur, 8 avril 1827). Un obélisque, à proximité du monument Decrès, témoigne de l’importance de son œuvre concernant l’Égypte (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 308) (4).

Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien, n° 432, Déc-Janvier 2001, p. 67-68

Notes

(1) Sur l’histoire des ingénieurs-géographes de la monarchie française, voir l’étude de B. Sevestre et la planche en couleurs : (Carnet de la Sabretache, n° 96-E, 1er trim. 1989, p.15).
(2) Sur Bacler d’Albe, voir notice J.-C. Quennevat (Revue du Souvenir Napoléonien, n° 252, avril 1970) ; notice J. Jourquin (Dictionnaire Napoléon, p.151).
(3) Lors de la campagne de France, l’Empereur ne disposera plus, comble d’ironie, que de la vieille carte de Cassini, obsolète à bien des égards (Mme C. Souchon).
(4) Sources : François Charles-Roux, Bonaparte gouverneur d’Égypte, Plon, 1936 ; Henry Laurens, L’expédition d’Égypte, 1798-1801, Armand Colin, 1989 ; Michaud, Biographie universelle, tome 20, notice « Jacotin », p.466 ; Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, notice « Jacotin », p.283 ; notices « Jomard », p.759 et 762 ; Dictionnaire Napoléon : Jean-Edouard Goby, notice » Jacotin, p.961 et notice « Jomard », p.973 ; rubrique « cartographie », par Nicole Felkay, p.377 ; rubrique « géographie et cartographie », par Alfred Fierro-Domenech, p.794 ; rubrique « poids et mesures », par Françoise Martin, p.1340 ; Danielle et Bernard Quintin, Dictionnaire des colonels de Napoléon, SPM 1996, notice « Jacotin », p.447 ; Pierre-Gérard Jacquot, La Haute-Marne napoléonienne : RSN n°384, août 1992, notice « Jacotin », p.19.

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