Et d’abord la trajectoire, en partie inexpliquée par les biographes, qui mena cet alsacien des cours d’architecture qu’il suivit chez le maître Chalgrin à la profession d’architecte à Besançon, puis à Strasbourg, en 1775, jusqu’à la carrière des armes qu’il embrassa une première fois à Munich et dans laquelle il fut sous-lieutenant. Démissionnaire en 1785, le voici de retour au pays natal où il devint inspecteur des bâtiments publics, construisant le château de Grandvillars, l’hôpital de Thann et la maison des chanoinesses de Masevaux. A nouveau le virus militaire le prit et il fut élu en 1792 lieutenant-colonel du 4e bataillon de volontaires du Haut-Rhin. Par patriotisme ? Des historiens en doute, qui disent qu’il ne poursuivit jamais dans la révolution que son aventure personnelle, obéissant au gouvernement s’il se montrait assez fort pour lui en imposer, prêt à l’abattre comme au 18 Fructidor, ou proposant à Bonaparte, à la veille de son départ en Egypte, de former avec lui et Moreau un Triumvirat pour chasser la canaille » des hommes politiques…
Entre-temps, il s’était montré soldat habile lors du siège de Mayence jusqu’à sa capitulation, le 13 juillet 1792. Echappant aux geôles du gouvernement révolutionnaire, il fut nommé sous Rossignol général de brigade à l’armée des Côtes de La Rochelle. En Véndée, il se fit battre à Torfou sans que son prestige en subît de conséquences auprès des représentants en mission avec lesquels il entretint toujours d’excellentes relations. Evitant le commandement suprême, laissant faire les autres et exploitant leurs échecs, il sut apparaître comme le véritable organisateur de la victoire de Cholet, ce qui lui valut la grade de général de division le 17 octobre 1793. Au demeurant bon tacticien, sachant s’exposer à la tête de ses hommes aux moments difficiles, il participa à la victoire du Mans (12 décembre 1793) et à celle de Savenay (22 décembre). Général à l’armée des Ardennes, il fut un des vainqueurs de Fleurus (26 juin 1794) à l’aile gauche de l’armée de Jourdan. Jusqu’en décembre 1796, il servit le plus souvent à l’armée de Sambre-et-Meuse, qui passait à juste titre comme un des meilleurs instruments de guerre de la république. S’opposant à Jourdan, il offrit sa démission et ne reprit du service qu’en 1798, d’abord à l’armée d’Angleterre, puis à celle d’Orient. Bonaparte accueillit avec beaucoup d’égards ce général prestigieux de seize ans son aîné.
Si à Sainte-Hélène, il loua « les réveils d’un lion » qui savait réanimer toute une armée, il eut aussi pour lui des paroles sévères : «Kléber n’aimait la gloire que comme un chemin des jouissances… » Bonaparte se méfiait sans doute d’un homme qui pouvait se mettre en travers de ses ambitions. Il lui abandonna le commandement de l’armée d’Egypte, ce qui fut pour Kléber, comme pour beaucoup d’autres, une surprise totale. Kléber écrivit au directoire pour dénoncer son ancien chef, coupable à ses yeux d’avoir dilapidé les fonds de l’armée et de lui avoir laissé un pays épuisé par les réquisitions.
« Proconsul » en Orient, il chercha à frapper l’imagination de ses administrés par une entrée grandiose au Caire. Entouré de janissaires, il marcha à travers la ville au bruit des salves d’artillerie tirées du haut des forts de la ville. Il ne consentit à recevoir les cheiks qu’après plusieurs sollicitations de leur part. « Ils ne trouvèrent pas, rapporte l’un d’eux, un visage souriant comme celui de Bonaparte, et le général ne causait pas non plus comme lui. » Pressurant les Egyptiens, et notamment les coptes, comme « un limonadier le citron », il se persuada de la vanité de maintenir la conquête. Il voulut traiter avec les Anglais pour le rapatriement de ses troupes. La convention d’El-Arich dénoncée, il livra bataille aux turcs qu’il battit à Héliopolis. Le Caire s’étant soulevé, il dut reprendre la ville de vive force. Il y trouva la mort sous les coups de Soleyman, un étudiant de la mosquée d’Azhari.
Disparu, Kléber gênait encore la gloire du consul. Son corps enseveli au château d’if, y demeura dans une quasi-clandestinité jusqu’en 1818. Il fut alors transporté dans la cathédrale de Strasbourg avant d’être inhumé, en 1840, sous un monument de bronze, au milieu d’une place qui porte son nom. Durant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale, il fut exhumé et connut maintes tribulations avant d’être placé sous un nouveau monument. Plus grand encore mort que vivant, Kléber, ne cessa ainsi d’embarrasser plus d’un régime.
Jean-Paul Bertaud
(Cette notice biographique est tirée du Dictionnaire Napoléon, avec l’aimable autorisation des éditions Fayard)