Celui qui inventera le stéthoscope, que tous les médecins utilisent aujourd’hui pour ausculter leurs patients, est né le 17 février 1781,
à Quimper (Finistère) (1), où son père, Théophile Marie Laennec (1747-1836) exerçait les fonctions, plus honorifiques que rémunératrices, de conseiller du Roi et de lieutenant de l'Amirauté. Sa mère, née Michelle Guesdon, meurt prématurément en 1786 et, peu après, Théophile René, qui avait été élevé jusque-là par une nourrice, est confié à son oncle, le docteur Guillaume François Laennec (1748-1822), un remarquable omnipraticien, médecin-chef de l'Hôtel Dieu, à Nantes, qui se charge de son éducation (elle est facile car il est surdoué), puis de son initiation médicale. Théophile René dira : » J'ai appris de lui les vertus secrètes des métaux et des plantes, étudié sous ses yeux les structures de l'homme et acquis quelques-unes des connaissances qui mènent à l'art de guérir « .
En pleine guerre de Vendée, René Laennec est nommé, le 29 septembre 1795, à Nantes, aide-chirurgien de 3e classe, c'est-à-dire étudiant en médecine militaire. En 1797, il est envoyé à l'Hôpital militaire de Brest, pour y soigner les blessés avec le grade de chirurgien de 3e classe. Par concours, il accède, en 1798, au grade d'officier de santé de 2e classe, ce qui lui permet de poursuivre ses études à Paris.
Le 20 avril 1801, à vingt ans, il quitte sa famille nantaise et vient à Paris, où il prend pension chez son frère, au quartier latin. De petite taille, sec, blond aux yeux bleus, un regard pénétrant d'intelligence, immense front qui semble vouloir envahir le visage, l'air concentré où se marque sa ferveur à faire le bien, corps ascétique (A. Conte, Le 1er janvier 1800, p. 213). Dès lors, son activité intellectuelle est double : d'une part, il retourne aux études classiques, latin et grec, à l'École du Collège des Quatre Nations (ex-Collège Mazarin), avec son frère ; d'autre part, il s'inscrit à l'École de santé, où il suit les cours de Corvisart, Pinel, Bichat et Dupuytren (2).
Avec ses maîtres, il va fonder la Société d'Instruction médicale. Et, quelques mois après, il écrit dans le Journal de la Médecine, dont Corvisart assurait la direction, un long article sur les inflammations du péritoine et, presque chaque mois, il fera paraître, sous sa signature, des mémoires toujours intéressants et qui le font connaître.
À cette époque, il revient à l'Église, dont il s'était éloigné. Sous l'influence d'un jésuite, le père Delpuits, il est admis, en mars 1803, dans la Congrégation, association de prière et de travail, au sein de laquelle étaient réunis des catholiques, notamment des étudiants en médecine, qui voulaient se faire respecter de ceux qui pensaient autrement. Désormais, chez Laennec, les agissements du chrétien et les devoirs du médecin seront intimement liés (Paul Ganière) (3).
Le 16 mai 1803, Laennec est deux fois lauréat au plan national (premiers prix de médecine et de chirurgie)
et cette double distinction lui vaut d'être invité à dîner chez Chaptal, ministre de l'Intérieur. Un an plus tard, le 11 juin 1804, il soutient sa thèse de doctorat intitulée Proposition sur la doctrine d'Hippocrate relativement à la médecine pratique, dans laquelle il souligne l'importance de la sémiologie et de la nosologie pour le traitement des maladies.
Ensuite, pendant dix ans (1804-1814), Laennec ouvre un cours privé et se consacre à sa clientèle. Il reçoit chez lui, au n° 5, rue du Jardinet, Paris VIe (en 1807, il s'installe au n° 3, dans un logement plus spacieux : voir Almanach impérial 1810, p. 841). En 1808, il est nommé médecin du cardinal Fesch et il s'entend fort bien avec le Grand Aumônier de l'Empire, malmené par l'histoire et le caractère de son impérial neveu. Il soigne aussi Chateaubriand et son épouse (1809-1826), Félicité de Lamennais, l'abbé Emery mourant (1811), les cardinaux Ruffo, Visconti et Eskin, Mme de Staël (1817) ainsi que les pauvres gens (consultations et vaccinations gratuites au dispensaire de la Société philantropique, 35, rue Lacépède).
En 1805, il avait demandé 4 francs d'honoraires à son premier malade (un asthmatique). La progression de ses revenus professionnels : 2 400 francs en 1807, 3 400 en 1808, 8 000 en 1811, 11 000 en 1813, auxquels s'ajoutait, depuis 1808, un traitement de 3 000 F comme médecin attitré du cardinal Fesch (J.-F. Lemaire), 12 000 en 1817 et 1819, 43 000 en 1822.
Ses amis : les docteurs Gaspard Laurent Bayle (1774-1816), Anthelme Joseph Claude Récamier (1774-1852), l'inventeur du spéculum et le créateur de la gynécologie médicale et chirurgicale moderne, Antoine Athanase Royer-Collard (1768-1825), le frère de l'homme politique, enfin ses cousins Ambroise et Mériadec Laennec, deux fils de l'oncle Guillaume, devenus ses élèves.
Ses goûts : il était passionné par la musique (musicien lui-même, il jouait fort bien de la flûte traversière), les chevaux et la chasse (comme Corvisart).
En 1814, lors de la chute de l’Empire, Laennec soigne, avec un dévouement admirable, les blessés dans les hôpitaux.
À la Salpêtrière, il assiste les jeunes soldats bretons malades du typhus et dont personne ne comprenait le langage.
Cependant, en août 1814, il peut se rendre en Bretagne pour procéder à la restauration du manoir de Kerlouarnec, à Ploaré (Finistère), qui lui venait de sa mère. De retour à Paris, la mort de son ami Bayle (1816), qu'il n'a pu sauver d'une phtisie pulmonaire, l'affecte profondément. Il souhaite repartir en Bretagne.
Or, le sort va en décider autrement : en effet, le 5 juin 1816, Laennec rencontre fortuitement, en pleine rue, une de ses relations mondaines, le député Becquey, sous-secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur et, à ce titre, chargé de l'Assistance publique, qui lui propose, tout de go, une place de médecin à l'Hôpital Necker. En dépit de sa mauvaise santé (crises d'asthme depuis une piqûre anatomique en 1805), Laennec accepte.
L’invention du stéthoscope
En novembre, pour aller visiter une jeune fille cardiaque, il traverse la cour du Louvre encombrée de matériaux et voit des enfants qui se transmettent des messages acoustiques aux deux extrémités d'une longue poutre (l'un grattant la poutre, l'autre écoutant, l'oreille sur le bois). Pour lui, c'est une révélation : immédiatement, il a l'idée d'écouter le coeur de sa patiente avec un cahier de papier roulé en cornet acoustique, ce qu'il fait, avec succès. Eureka ! Revenu à l'Hôtel Necker, il mobilise ses étudiants, en particulier ses cousins Laennec, qui se mettent à fabriquer des cylindres de papier (4). Peu après, Laennec améliore sa technique : chez lui, un tour lui permet de créer différents modèles, en bois, auxquels il donne le nom de stéthoscope (de deux mots grecs, stethos, poitrine, et skopein, examiner).
Ensuite, il écrit, en 20 mois, son Traité de l'auscultation médiate (en 2 volumes, près de 1 000 pages, qui paraissent le 14 août 1818), consacré à sa découverte et à ses applications.
Mais Laennec a des adversaires, parmi lesquels Broussais (1772-1838), pour qui les symptômes des maladies ne sont que le " cri des organes souffrants "
et pour qui la thérapeutique n'a d'autre but que de faire disparaître leur » irritation « . Que vient donc faire ce rival ? De quel droit prétend-il identifier les maladies à l'aide d'une méthode qu'il dit révolutionnaire ? D'où ses critiques, voire ses injures. Laennec répond sur un ton mesuré, mais Broussais continue d'exhaler sa colère envers celui qu'il n'hésite pas à traiter de » cadavérique instigateur entouré de sa secte médico-jésuistique » (P. Ganière).
L'avenir va donner raison à Laennec, non seulement en France, mais à l'étranger (en Grande-Bretagne, notamment par les médecins de la Marine anglaise, en Allemagne, en Suisse, en Russie, en Suède) (5).
Dans l’immédiat, Laennec obtient enfin la consécration de ses mérites : la charge de médecin de la duchesse de Berry (1821),
la chaire de Médecine au Collège de France (1822), un siège à l'Académie royale de Médecine (1823), la chaire de médecine interne à l'Hôpital de La Charité, là où il avait commencé ses études (1823), la croix de la Légion d'honneur (22 août 1824).
Depuis plusieurs années, il avait pris, pour gouverner sa maison, une parente veuve et ruinée, Jacquette Guichard, veuve Argou. Désirant lier leurs destinées, ils se marient, dans l'intimité, à la mairie du VIe arrondissement, puis à l'église Saint Sulpice, le 16 septembre 1824. Demeurant d'abord 23, rue du Cherche-Midi, ils vont bientôt habiter 17, rue Saint-Maur, devenue depuis 1880, rue de l'abbé Grégoire, VIe (Répertoire mondial…, p. 264).
Mais sa santé s'était considérablement dégradée. En 1826, sur l'insistance de ses familiers, il revient se reposer dans sa chère Bretagne. Après des rémissions ou des aggravations, il porte lui-même le diagnostic de tuberculose pulmonaire et suit avec sérénité l'évolution de sa maladie. Le 13 août 1826, à 45 ans, il s'éteint dans son manoir de Kerlouarnec et il est inhumé au cimetière de Ploaré. Dans le jardin municipal, une statue, érigée en 1981, rappelle son souvenir (Répertoire mondial…, p. 107).
À Quimper, sur la place Saint-Corentin, une autre statue, en bronze, a été installée en 1868 (Répertoire mondial…, p. 107). À Paris, un hôpital, 42, rue de Sèvres (VIIe) porte, depuis 1879, le nom de » Laennec » et dans le square Taras-Chevtchenko (6e), une stèle avec bas-relief est consacrée à ce puissant esprit créateur de la médecine moderne (6) (7)
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 438
Mois : décembre-janvier
Année : 2000-2001
Pages : 67-68
Notes
(1) À Quimper, à l'angle de la rue Amiral Ronarc'h et du n° 2, quai de l'Odet, une plaque commémorative rappelle le souvenir de la maison natale de Laennec (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 107).
(2) La Faculté de Médecine de Paris conserve toutes les inscriptions de l'élève Laennec, de la première (2 mai 1801) à la dernière (11 juin 1804), qui portaient sur quatre cycles.
(3) Un jour, Laennec étant venu saluer le pape Pie VII, celui-ci murmure : » Medicus pius, res miranda » (un médecin pieux, chose admirable, cité par le Dr J.-F. Lemaire).
(4) À l'Hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, à Paris VIIe, une plaque commémorative rappelle que Laennec, dans cet hôpital, découvrit l'auscultation (Répertoire mondial…, p. 271).
(5) La diffusion européenne des idées de Laennec a été favorisée par le fait qu'il avait avec lui, à l'hôpital Necker et à La Charité, de nombreux étudiants étrangers (les noms de 130 d'entre eux sont connus).
(6) Le 17 février 1981, l'Académie de Médecine a célébré le bi-centenaire de la naissance de Laennec (colloque au Collège de France, expositions à Paris, Quimper et Nantes, deux films).
(7) Sources : Roman d'Amat, Dictionnaire de biographie française, fasc. CIX-XIX 109, 1995, p. 95-96, notice T. de Morembert ; Dictionnaire Napoléon : notice Laennec et rubrique Médecine, par Paul Ganière, p. 1015 et 1151 ; rubrique Médecins, par J.-F. Lemaire, p. 1156 ; Napoléon et la médecine, par Jean-François Lemaire, F. Bourin, 1992 ; Catalogue de l'exposition Laennec à Paris, Quimper et Nantes, 1981.