LAFFITTE, Jacques (1767-1844), banquier, homme politique

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Les débuts à Paris

Celui qui sera surnommé le  » roi des banquiers  » et le  » banquier des rois  » est né à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le 24 octobre 1767, dans une famille nombreuse, sans grandes ressources. Son père, Pierre Laffitte (mort en 1789) était maître charpentier et dut élever ses dix enfants (4 fils dont Jacques, et 6 filles).
Jacques fait peu d'études. À 12 ans, il est apprenti charpentier chez son père ; pendant deux ans, troisième clerc chez un notaire à Bayonne ; puis, à 14 ans, il entre comme commis chez M. Formalaguès, négociant à Bayonne.
En 1788 (il a 21 ans), il monte à Paris avec une lettre de recommandation de son patron négociant pour le banquier Jean Frédéric Perrégaux (1744-1808). Selon la légende, en le voyant ramasser une épingle dans la cour de son hôtel, le banquier, qui l'avait tout d'abord éconduit, se ravise et engage ce jeune homme comme teneur de livres dans sa banque.
La confiance de Perrégaux était bien placée : très vite, Laffitte montre, pour les affaires, une aptitude remarquable. En 1790, ses appointements sont portés à 3 000 francs.  » Ce jour-là, dira-t-il, je crus posséder le Pérou. Mes petites dépenses bien ordonnées et toutes payées, il me restait 125 francs d'économies, 23 ans d'âge et le roi n'était pas mon cousin « . En l'an II, il est intéressé aux bénéfices.
Sous la Révolution, la banque Perrégaux, en raison de ses relations avec l'étranger, est la banque du Comité de Salut public. En l'an VIII, Perrégaux est dans la mouvance favorable au coup d'État et il sera l'un des conseillers financiers de Napoléon.

Sous le Consulat et l’Empire

En floréal an IX (mai 1801) Jacques Laffitte épouse Marine Françoise Laeut, née vers 1783 (décédée en 1849), fille de Jean-Baptiste Laeut, alors dit  » ancien négociant et auparavant capitaine de navire  » et de Madeleine Angélique Chambrelan, demeurant au Havre.
Le 23 février 1806, Perrégaux associe Laffitte à ses affaires, sous la raison sociale  » Perrégaux et Cie  » (3/4 du capital social à Perrégaux, 1/4 à Laffitte). Mais, la mauvaise santé de Perrégaux entraîne sa dissolution anticipée. Une nouvelle société est constituée le 29 décembre 1807, pour une durée de 10 ans, sous la raison sociale  » Perrégaux, Laffitte et Cie  » (50 % du capital social à Laffitte, chef et gérant, 25 % à Perrégaux fils, commanditaire (1) et 25 % à la fille de Perrégaux, commanditaire) (2). Rapidement, elle devient la première banque de Paris et l'une des plus puissantes banques européennes.

Le 19 janvier 1809, Laffitte est nommé régent de la Banque de France, au fauteuil n° 1, en remplacement de Perrégaux décédé (il assurera cette fonction jusqu'en 1831). D'autre part, il est juge au Tribunal de commerce de la Seine dès 1809 et président de la Chambre de commerce (2 mai 1810 au 14 mai 1811).
Le 6 avril 1814, il est nommé gouverneur  » provisoire  » de la Banque de France (il occupera cette fonction jusqu'en 1820 et sera alors remplacé par Gaudin, duc de Gaëte).

En 1810, il demeure 27, rue de Gramont, à Paris (2e) (Almanach impérial, 1810, p. 616) ; dès 1815, au n° 9, puis 11, rue du Montblanc (redevenue depuis 1816, rue de la Chaussée d'Antin) à Paris IXe ; en 1822, rue d'Artois n° 19, devenue en 1830, de son vivant, la rue Laffitte IXe, aujourd'hui n° 27).
Après Waterloo et l'abdication (22 juin 1815), l'Empereur, avant de partir pour Rochefort, le reçoit à Malmaison, le 26 juin, lui fait remettre par Peyrusse une somme de 6 millions de francs et refuse toute reconnaissance de dette. Cependant, Laffitte lui envoie une lettre de crédit sur ses correspondants en Amérique. À Sainte-Hélène, Napoléon, par testament, léguera la moitié de cette somme à Montholon.
La fortune de Laffitte est très importante. En 1818, il achète à la maréchale Lannes, duchesse de Montebello, le château de Maisons-sur-Seine, aujourd'hui, Maisons-Laffitte, Yvelines (Répertoire mondial des Souvenirs et Monuments napoléoniens, 1994, Ed. SPM, p. 327). Il possède aussi deux autres châteaux : à Meudon (Hauts-de-Seine), 23, route des Gardes (Répertoire mondial…, p. 373) et à Breteuil-sur-Yton (Eure), au coin de la place et de la rue Laffitte (Répertoire mondial…, p. 101).
 

Après l’Empire

Sous la Restauration, Laffitte modifie, à trois reprises, les bases de la société bancaire, en 1817, 1823 et 1827-1828, sous la même raison sociale  » Jacques Laffitte et Cie  » (le fils Perrégaux reste dans la société).

D'autre part, il entre en politique : en 1816, il est élu député de la Seine et sera réélu jusqu'en 1830. Il siège dans l'opposition libérale.
En 1821, il inaugure la souscription pour les enfants du général Foy par un don de 50 000 francs. En 1830, il finance le journal Le National, et il est l'un des instigateurs de la chute de Charles X et de l'accession au trône de Louis-Philippe (son hôtel de la rue d'Artois est le centre de l'agitation) (3). Il est président du conseil, avec le portefeuille des Finances, du 2 novembre 1830 au 13 mars 1831. Mais la crise de 1830-1831, ses fonctions politiques et ses munificences font qu'il est presque ruiné lorsqu'il quitte le ministère. Il doit liquider sa banque et n'évite la faillite que grâce à une avance de la Banque de France garantie par les biens de la liquidation et sa fortune personnelle. Une souscription nationale rachète son hôtel de la rue d'Artois (rue Laffitte) pour le lui offrir ; sa femme vend ses diamants et lui en remet le prix.
En 1836, il remonte une banque d'affaires : la  » Caisse générale du commerce et de l'industrie J. Laffitte et Cie « , pour le petit commerce et sa fortune, qui pouvait être évaluée, au temps de sa splendeur, à 20-25 millions, est ramenée à 4 millions (plus le château de Maisons et son hôtel parisien). Réélu à la chambre, il siège encore dans l'opposition et déclare amèrement :  » Je demande pardon à Dieu et aux hommes d'avoir concouru à la révolution de Juillet « .
Au lendemain des journées de juillet 1830, il avait fondé la loge  » Les trois jours  » à l'Orient de Paris, dont il fut le vénérable.

Jacques Laffitte meurt à Paris, dans son hôtel de la rue Laffitte, le 26 mai 1844, à 77 ans. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, 30e division (chapelle avenue des Acacias, 1re ligne : Répertoire mondial…, p. 305).
Ses Mémoires, publiés par Paul Duchon, à Paris, en 1932, sont très anecdotiques (J. Tulard, Bibliographie critique…, 1971, p. 95).

Sa fille unique, Albine Étiennette Marguerite Laffitte (décédée en 1881) s'était mariée, le 26 janvier 1828, avec Joseph Napoléon Ney (1803-1857), prince de La Moskowa, alors officier au service de la Suède, fils aîné du maréchal de l'Empire (sous le Second Empire, il sera nommé général de brigade et sénateur).

À Sainte-Hélène, Napoléon a jugé Laffitte :  » Je vous connais Monsieur Laffitte, je sais que vous n'aimez pas mon gouvernement, mais je vous tiens pour un honnête homme  » (André Palluel, Dictionnaire de l'Empereur, Plon, 1969, p. 685) (4)
 
 
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 438
Mois : déc.-janv.
Année : 2002
Pages : 68


Notes

(1) Le fils de Perrégaux, Alphonse Claude Charles Bernardin (1785-1836) était auditeur au Conseil d'État et chambellan de Napoléon. En 1813, il épousera Anne Élisabeth Macdonald de Tarente (1794-1822), fille du maréchal.
(2) La fille de Perrégaux, Anne Marie Hortense (1779-1857) avait épousé, en 1798, Marmont, aide de camp de Bonaparte. Elle deviendra la maréchale Marmont et la duchesse de Raguse.
(3) Voir André Castelot, Louis-Philippe, Perrin, 1994, p. 200 et suiv.
(4) Sources : Roman d'Amat, Dictionnaire de biographie française, fascicule CIX-XIX 109, 1995, p. 163, notice T. de Moremberg ; Dictionnaire Napoléon : notice « Laffitte », par R. Szramkiewicz, p. 1019 ; Les régents et censeurs de la Banque de France nommés sous le Consulat et l'Empire, par Romuald Szramkiewicz, Genève, Librairie Droz, 1974, p. 206 ; Revue du Souvenir Napoléonien, n° 276, juillet 1974, « Les banquiers sous Napoléon ».

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