LEGENDRE DE LUÇAY, Jean Baptiste Charles (1754-1836), comte de Luçay, préfet du Palais des Tuileries

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Jean Baptiste Charles Legendre de Luçay est né à Paris, le 4 janvier 1754, dans une famille noble établie dans la capitale depuis la fin du XVIIe siècle. Son père, Philippe Charles Legendre de Villemorin, comte de Luçay, d’abord conseiller au Parlement de Paris, était un administrateur des postes et fermier général ; sa mère, Marie Antoinette Bouret de Croix Fontaine, était la fille du célèbre et fastueux Étienne Michel Bouret, seigneur de Croix Fontaine, honoré de la faveur du roi Louis XV.

Le 24 avril 1786, Jean Baptiste Charles épouse, à 32 ans, Jeanne Charlotte Papillon d’Auteroche, une jolie femme, dans la chapelle de l’Hôtel des Menus-Plaisirs du Roi, où la bénédiction nuptiale leur est donnée par Mgr de Beauvais, ancien évêque de Sens.

La mort de son père, en avril 1789, met Charles de Luçay en possession d’une très importante fortune immobilière. Alors que les États généraux allaient se réunir, Charles a le pressentiment qu’il fallait désormais s’orienter vers l’industrie et créer des usines, ce qu’il fait sur ses terres du Berry (création d’une fonderie de canons et de filatures de laine). Assez vite, il emploie près de 500 ouvriers et ses produits industriels obtiendront d’honorables récompenses aux expositions de l’an V et de l’an IX.

Mais, avant ces récompenses, il fallait échapper à la Terreur. Incarcéré une première fois, Charles de Luçay est libéré grâce à l’action de son épouse et aux pétitions des communes de Valençay et de Luçay, qui se déclaraient prêtes à défendre leur ancien seigneur jusque devant les Comités de la Convention.

Arrêté de nouveau, il est détenu à la prison de Châtillon. L’ordre allait arriver de le transférer à Paris. Sa femme le fait évader, mais la trahison d’un domestique compromet sa fuite. Très rapidement, il remonte vers sa geôle et s’y réinstalle avant que sa fuite ait été constatée. Sa présence d’esprit lui permet de renouveler sa tentative et de réussir. Il traverse l’Indre à la nage, laisse flotter sur l’eau une partie de ses vêtements, ce qui fait croire qu’il s’est noyé et trouve refuge chez l’un de ses gardes. Cependant, il apprend que sa femme, accusée de complicité, vient d’être emprisonnée. Il revient à Châtillon et déclare vouloir partager le sort de son épouse : il est de nouveau arrêté. Mais, les autorités locales interviennent. « Nous réclamons, demandent-elles, ce génie inventeur dont l’intelligente industrie et la bienfaisance éclairée ont soulagé l’indigence, ont fait disparaître la mendicité et qui, par l’utile et généreux emploi de sa fortune, est devenu cher à tout le département ». Devant l’opinion, le Comité de salut public doit céder : les prisonniers sont libérés.

Sous le Directoire, Charles de Luçay est nommé président de son canton et administrateur du département de l’Indre.

Après le 18 Brumaire, il est recommandé par Lebrun, qui soutenait les gens de finances de l’Ancien Régime, et le Premier consul le nomme préfet du Cher, le 11 ventôse an VIII (2 mars 1800).

Puis, le 11 brumaire an X (2 novembre 1801), Bonaparte l’appelle à Paris, auprès de lui, comme préfet du « Palais du Gouvernement » (Palais des Tuileries). Son costume de fonction est superbe : drap écarlate argenté sur les coutures, veste de casimir blanc brodée d’argent, ceinture de taffetas bleu brodée d’argent.
Un jour, le Premier consul dit à Talleyrand, ministre des Relations extérieures : « Je veux que vous achetiez une belle terre, que vous y receviez brillamment le corps diplomatique et les étrangers marquants, qu’on ait envie d’aller chez vous, et que d’y être prié soit une récompense pour les ambassadeurs des souverains dont je serai content ».

M. de Luçay, présent à cette conversation, propose au ministre son château et sa terre de Valençay, qui étaient devenus des charges trop lourdes pour lui. La somme qu’il demandait dépassait les disponibilités de Talleyrand. Ainsi, l’affaire risquait de ne pas aboutir ; mais le Premier consul, qui désirait à la fois être utile à M. de Luçay et agréable à son ministre, fit don à celui-ci de la différence.

C’est ainsi que l’acte de vente est signé à Paris, le 17 floréal an XI (7 mai 1803), chez les notaires Raguideau de La Fosse et Chodron, moyennant la somme énorme de « seize cent mille francs » (1 600 000 francs) (1).

En septembre 1803, Talleyrand, en compagnie de la belle Catherine Worlée (ex-Mme Grand), qu’il avait épousée après avoir été relevé de ses vœux, découvre le « belle terre » de Valençay. La chronique raconte « qu’ils mirent trois jours à trottiner » à la découverte de leur domaine, non seulement l’admirable château, les communs formant un véritable village, mais encore le parc de 150 hectares, les forêts majestueuses, le terres, les prés, les vignes, 99 fermes, immense ensemble de 19 000 hectares s’étendant sur 23 communes. C’était l’une des deux ou trois grandes terres féodales de France (F. Bonneau, Le château de Valençay).

Par ailleurs, un arrêté consulaire du 20 frimaire an XI (11 décembre 1802) avait placé les quatre grands théâtres de Paris (Théâtre Français, Odéon, Opéra, Opéra-Comique) sous la surveillance des préfets du Palais des Tuileries.

En ce qui concerne Charles de Luçay, il est chargé, le 20 nivôse an XI (10 janvier 1803), de la surveillance de l’Opéra. À l’époque, l’Opéra se trouvait rue de Richelieu, en face de l’ex-Bibliothèque Nationale (Paris, 2e arrondissement). La salle était grande (1 800 places assises), avec un orchestre de 77 musiciens, 55 choristes et de nombreux figurants, mais l’acoustique était mauvaise (2) (3).

Méneval (Mémoires, t. 1, p. 176) note que « M. de Luçay avait ce théâtre dans ses attributions, en qualité de préfet du Palais. Il gouvernait avec sévérité cette république chantante et dansante ». En réalité, il n’avait pas de bons rapports avec Picard, l’administrateur de l’Opéra. À Finkenstein, Napoléon, dans une lettre à Fouché du 2 mai 1807, fulmine : « On n’est pas content à l’Opéra de M. de Luçay ; si cela ne cesse pas, je leur donnerai un bon militaire qui les fera marcher tambour battant » (A. Palluel, Dictionnaire de l’Empereur, Plon, 1969, p. 819). En fait, l’Empereur n’ira pas jusque-là : il se bornera à nommer Rémusat, le 1er novembre 1807, surintendant des théâtres de Paris.

Membre de la Légion d’honneur dès la création de l’Ordre, Charles de Luçay est nommé Premier préfet du Palais impérial, avec un traitement annuel de 30 000 francs (les deux autres préfets sont Beausset et Saint-Didier), et pendant cinq années, il est membre du conseil général de son département (le Cher).

Il assiste au sacre de Napoléon et au couronnement de Joséphine, à Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804. Lors de l’entrée du cortège à la cathédrale, il était à la gauche du maréchal Bernadotte, qui portait le grand collier de la Légion d’honneur de l’Empereur, oeuvre de Biennais (à la droite du maréchal, se tenait le général Rapp, aide de camp de Sa Majesté).

Dans le cadre de leurs fonctions, M. de Luçay et les autres préfets du Palais sont placés sous les ordres de Michel Duroc, duc de Frioul, Grand maréchal du Palais. Duroc gère l’intendance du Palais avec rigueur et traque tous les gaspillages (tous ceux qui logent aux Tuileries doivent présenter les bouts brûlés des bougies pour en recevoir de nouvelles).

Un préfet du Palais est constamment présent et relevé tous les huit jours. Il doit visiter, tous les jours, les cuisines, caves, offices, argenterie, fourrières et magasins, afin de s’assurer que tout est proprement tenu. Il doit connaître tous les employés. Il assiste aux vérifications d’inventaire et s’assure de la qualité de toutes les fournitures.

Le préfet de service prévient l’Empereur et l’Impératrice et les précède dans le lieu où le couvert est mis. L’heure du déjeuner était incertaine (neuf heures et demie, dix heures, onze heures, selon les occupations de l’Empereur). L’heure du dîner était plus précise. Selon Fain, six heures sonnaient, l’exact M. de Luçay venait gratter à la porte pour annoncer que l’Empereur était servi. Mais ce n’était quelquefois qu’une heure, deux heures, voire trois heures après que l’Empereur se souvenait que l’Impératrice l’attendait pour le dîner (elle passait le temps en devisant avec le Premier préfet) (4).

M. de Luçay est fait comte de l’Empire, par lettres patentes du 14 janvier 1810. Sa santé est fragile, il souffre de la goutte. C’est la raison pour laquelle il ne suivra (ni ne rejoindra) l’Empereur dans ses voyages ou dans ses campagnes.

Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n° 446, Avril-mai 2003, Pp. 71-72

(1) G. Lacour-Gayet, Talleyrand, Éditions Rencontre, t. 3, p. 138.
(2) Voir Dictionnaire Napoléon, p. 1265, rubrique Opéra, par Marie-Claire Le Moigne-Mussat.
(3) C’est en se rendant à l’Opéra, où l’on jouait l’oratorio de Haydn, La création du Monde, que le Premier Consul échappa à l’attentat de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800.
(4) Voir Charles-Otto Zieseniss, Napoléon et la cour impériale, Tallandier, 1980.

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