LEMONTEY Pierre Édouard, (1762-1826,) écrivain

Partager

Né à Lyon, le 14 janvier 1762, Pierre Édouard Lemontey était le fils d'un commerçant (épicier) lyonnais. Après de brillantes études, il s'inscrit au barreau de sa ville natale, en 1782, où il ne plaide guère. Il s'oriente plutôt vers une carrière d'homme de lettres. C'est ainsi que l'Académie de Marseille lui décerne deux prix, dont l'un était un éloge du capitaine Cook ; les textes sont publiés en 1785 et 1792.

Sur le plan politique, il défend la cause des protestants qui, rendus à l'état-civil par les édits de 1787, revendiquaient les droits politiques. Il fait paraître un Examen impartial des réflexions sur la question de savoir si les protestants peuvent être électeurs et éligibles pour les États généraux, ce qui permit l'élection à Lyon d'un député de religion protestante.

Par ailleurs, Lemontey rédige le cahier des doléances du tiers-état de Lyon pour les États généraux et, au titre de cet ordre, il est élu à l'Assemblée législative (1791), dont il devient successivement le secrétaire et le président. De tendance modérée, il soutient les principes d'une monarchie constitutionnelle et traite Louis XVI avec déférence lorsqu'il est appelé à paraître devant l'assemblée. De même, il n'approuve pas les mesures envisagées contre les émigrés ; il les estimait contraires au droit naturel et voyait dans la fuite à l'étranger de ces « mauvais Français plutôt un avantage qu'un malheur ».

Revenu à Lyon après le 10 août 1792, il est favorable à l'insurrection de la ville (son frère Thomas sera tué au cours des opérations répressives menées par la Convention) mais, lors de la capitulation des insurgés, il se réfugie en Suisse.
Après la chute de Robespierre, il rentre en France (1795). Nommé administrateur du district de Lyon, il favorise le retour des émigrés. En 1797, il abandonne la politique et vient à Paris pour se consacrer à la littérature.

Il écrit un petit opéra-comique, Palma ou le voyage en Grèce. La musique de Plantade et les allusions au vandalisme de la Terreur font que l'ouvrage a du succès (1798). L'année suivante, un autre opéra, Romagnesi, avec le même musicien et les mêmes acteurs, est un échec. Lemontey renonce au théâtre et se tourne vers la littérature.

En 1801, il fait paraître un volume, Raison, folie, chacun son mot, un recueil satirique sur les moeurs du temps (deux éditions) et, en 1803, Le récit d'une séance des observateurs de la Femme, qui amuse les contemporains.

En 1804, sa formation d'avocat lui permet d'être nommé jurisconsulte auprès de l'administration des droits réunis. Peu après, grâce à Fouché, il est désigné comme chef du bureau de la police littéraire, axée sur la censure des théâtres. Comme sous la Révolution, la censure existe. Napoléon l'explique clairement dans une lettre à Fouché du 15 janvier 1806 : « S'il était convenable d'établir une censure, elle ne pouvait l'être sans ma permission… Je ne veux pas de censure… qui ne dépende pas directement du pouvoir suprême ». Sous l'Empire, la censure est résolument politique. Les censeurs sont peu préoccupés par les questions morales ou religieuses. Leur unique souci était politique : culte de l'Empereur, respect du pouvoir et des autorités (y compris ecclésiastiques), de l'armée et de la maréchaussée, refus de la rébellion et de la révolte (Odile Krakovitch) (1).

Dans sa mission de censeur impérial des théâtres, Lemontey n'hésitait pas à retrancher ou changer les vers qui, dans les chefs-d'oeuvre du Théâtre français, pouvaient être applaudis par allusion. Et, il disait à ses amis : « N'allez pas voir, ce soir, Athalie par Racine et Lemontey ! ».

Outre ses travaux de censeur, Lemontey compose quelques ouvrages de circonstances : La famille du Jura ou irons-nous à Paris, à propos du couronnement ; La vie du soldat français, en trois dialogues ; Thibault, comte de Champagne, pour célébrer la naissance du Roi de Rome.

D'autre part, il est chargé d'écrire une Histoire de France au XVIIIe siècle. Le 9 janvier 1810, Napoléon écrit à Fouché : « J'ai accordé six mille francs à MM. Daunou, Lemontey, Chénier, pour indemnités de leurs travaux sur l'histoire de France… Ces hommes les méritent ». (André Palluel, Dictionnaire de l'Empereur, Plon, 1969, p. 579, n° 16120).

En 1814, Lemontey, qui avait le goût de l'ordre et de la tranquillité, accepte sans difficulté le changement de régime politique. La Restauration lui conserve ses fonctions de censeur du théâtre et sa pension (le régime change, la censure reste). On lui décerne même la Légion d'honneur.

En 1818, il publie son Essai sur l'établissement monarchique de Louis XIV, où il fait oeuvre d'historien. Son ouvrage a un succès mérité. Lemontey montre, avant Tocqueville, que la centralisation excessive et les abus de pouvoir de la Révolution sont déjà en germe dans le règne de Louis XIV (A. Fierro, A. Palluel-Guillard, J. Tulard, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, R. Laffont, 1995, p. 903).
Ce livre lui vaut d'être élu à l'Académie française en 1819, au fauteuil de l'abbé Morellet (fauteuil V). Quelques années plus tard, il lira devant l'Académie l'éloge du médecin et anatomiste français Vicq d'Azyr (1748-1794).

L'essai sur le règne de Louis XIV devait servir d'introduction à une Histoire politique de la France au XVIIIe siècle. Lemontey continue donc son travail par l'Histoire de la Régence, pour laquelle il consulte méthodiquement les archives des Affaires étrangères. Mais, lors de la publication, il se heurte à l'opposition formelle du gardien de ces archives, qui prétend garder jalousement les secrets de l'État. Si bien que l'ouvrage ne pourra paraître qu'en 1832, sous la Monarchie de Juillet.
À la fin de la vie de Lemontey, une orientation vers la Russie : il compose l'Introduction qui précède la traduction des fables russes de Krylov (Paris, 1825) (2). En mai 1826, il va s'établir près de Sceaux, à la campagne, chez l'amiral Tchitchagov (3). Il y tombe malade, on le ramène à Paris, où il meurt, le 26 juin 1826, à 64 ans. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, 18e division.
C'est Fourier qui lui succède à l'Académie française (voir RSN n° 391, pp. 25-26) (4).
 
 
Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°448
Août-septembre-octobre 2003
p.60

Notes :

(1) Napoléon, conscient du tort que lui avait causé le culte de la personnalité développé jusqu'à sa première abdication, tenta d'enrayer sa reprise durant les Cent-Jours. Il donna des ordres pour que toutes les pièces de circonstances soient évitées sur les scènes parisiennes (Odile Krakovitch).
(2) Krylov (Ivan Andreïevitch), fabuliste russe (Moscou 1769-Saint-Pétersbourg 1844). Il doit sa célébrité aux trois cents fables qu'il composa, de 1806 à 1841, et dont beaucoup sont inspirées de La Fontaine. Elles ont fourni à la langue russe de nombreux proverbes.
(3) Tchitchagov (Paul, Vasiliévitch), amiral russe, né en 1767, mort à Paris en 1849. En Russie, en 1812, il laissa échapper Napoléon lors du passage de la Bérézina. On lui doit une Relation du passage de la Bérézina (1814) et des Mémoires publiés à Paris en 1909 (J. Tulard, Bibliographie critique, Lib. Droz, Genève, 1971, n° 727).
(4) Sources :  Michaud, Biographie universelle, tome 24, p. 99, notice Barante ; Dictionnaire Napoléon, p. 1065, notice J. Tulard ; Napoléon, Rencontre 1969, t. 5, p. 181 ; Odile Krakovitch, « La censure théâtrale sous le Premier Empire », Rev. Institut Napoléon, n° 158-159, 1992, p. 9.

Partager