François Frédéric Lemot est né à Lyon, le 4 novembre 1771 (non 1772 ou 1773, comme indiqué souvent) où son père était maître menuisier. Il fait une partie de ses études à Besançon, où se révèlent ses dispositions pour le dessin et l’architecture. Ses parents l’envoient à Paris, il suit les cours de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Élève de Dejoux, il remporte le grand prix de sculpture en 1790 (avec son bas-relief du Jugement de Salomon). Son séjour à Rome, en raison des troubles anti-français, est assez mouvementé ; il se réfugie à Naples, puis à Florence. Rentré à Paris en 1793, il est incorporé dans l’armée du Rhin et fait, comme artilleur, deux campagnes successives.
En 1795, il revient à Paris, appelé à participer à l’édification d’une statue colossale proposée par David et ordonnée par la Convention, dédiée au Peuple français représenté sous les traits d’Hercule (elle ne sera pas terminée). Il réalise d’autres statues de personnages de l’antiquité, destinées à la décoration des assemblées : Ciceron, Brutus, Léonidas… Il faut signaler surtout qu’on lui doit : les deux beaux reliefs en marbre à l’antique, La Renommée et L’Histoire qui ornent toujours la tribune des orateurs à l’Assemblée nationale (Palais Bourbon) ; une Bacchante en marbre (Salon de 1801), acquise par le Premier Consul ; le buste de Jean Bart (Salon de 1804) que l’Empereur offre à la ville de Dunkerque.
Napoléon porte intérêt à la sculpture, surtout antique. Il lui arrive le soir de visiter le Louvre aux flambeaux, pour mieux jouir des effets de la lumière artificielle sur les formes. Parmi les modernes, Canova (1757-1822) est son maître préféré (il aurait voulu le faire venir à Paris : voir Revue du Souvenir Napoléonien (RSN) n° 400, p. 57 ; D. Chanteranne, Magazine Napoléon Ier, n° 20, p. 58). Mais, pour lui-même et pour les généraux ou dignitaires, il ne veut pas de la nudité marmoréenne et impose, le plus souvent, l’uniforme ou le costume contemporain (Gérard Hubert).
En 1807, Lemot est associé à la construction, par Fontaine et Percier, de l’Arc de Triomphe du Carrousel. L’arc devait être surmonté par un char triomphal conduit par la Victoire et la Paix de Lemot auquel seraient attelés les quatre chevaux de Saint-Marc pris à Venise et, selon le projet de Denon, la Statue de l’Empereur par Lemot devait couronner l’ensemble. Mais, en août 1808, au retour d’Espagne, Napoléon refuse cette flatterie et le char reste vide. Ainsi, la statue de l’Empereur réalisée par Lemot, en plomb doré, laurée, drapée dans une sorte de manteau semé d’abeilles, avec le glaive au côté et le sceptre à la main, ne régnera pas sur l’ensemble (elle est aujourd’hui à Malmaison) (1) (2).
Au Louvre, Lemot est chargé du grand fronton oriental de la Colonnade, du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois (1808-1810) : les Muses y rendent hommage au souverain, mais la Restauration fit remplacer le buste de Napoléon par celui de Louis XIV.
Pour le Conservatoire impérial de musique, il cisèle une statue d’Apollon musicien (aujourd’hui à Bordeaux). D’autre part, il est chargé des statues des deux beaux-frères de l’Empereur : le général Leclerc, premier époux de Pauline, mort à Saint-Domingue (1806), destinée au Panthéon, recueillie par Davout, pour sa propriété de Savigny, enfin donnée par la maréchale à la ville de Pontoise, où elle est installée près de l’église Saint-Maclou, depuis 1869 (voir RSN n° 444, p. 45 et la reproduction p. 44) ; le maréchal Murat, roi de Naples (marbre, Salon de 1810, Versailles).
À la fin de l’Empire, Lemot devait réaliser les statues du général Corbineau, destinée au pont de la Concorde (1812) et celle, équestre, du général Hautpoul, en uniforme de cuirassier, selon la volonté impériale, destinée au pont d’Iéna. On possède le modèle en plâtre de la première et les maquettes de la seconde.
Au Salon de 1812, il expose deux statues féminines en marbre, néoclassiques : Hébé versant le nectar à Jupiter transformé en aigle (réduction en plâtre teinté : Bibliothèque Marmottan, Boulogne-sur-Seine) ; une Femme couchée et plongée dans une douce rêverie (coll. privée), qui serait un portrait d’Ida Saint-Elme (1778-1845), évoquée dans les Mémoires de celle-ci (voir Dictionnaire Napoléon, suppl., p. 1840 ; J. Tulard, Biblio critique, 1971, n° 684).
Lemot est élu à l’Institut en 1809, il est nommé professeur à l’École des Beaux-Arts en 1810 et associé à l’Académie de Lyon.
Sous la Restauration, il reçoit deux importantes commandes. La première, celle de la Statue équestre d’Henri IV, destinée à remplacer celle de Jean Bologne (1613), détruite en 1792, sur le terre-plein du pont Neuf à Paris (elle avait été renversée, brisée et les morceaux envoyés à la fonte ou jetés à la Seine). La statue de Lemot, en bronze, n’a que deux bas-reliefs : Henri IV faisant entrer des vivres à Paris et l’Entrée d’Henri IV à Paris. Dans le socle, on déposa le procès-verbal de l’inauguration, la charte de 1814, des pièces de monnaies ou médailles… Ironie de l’Histoire : pour faire contrepoids, le ciseleur Mesnel, ouvrier chez le fondeur, fervent bonapartiste, introduisit dans le bras droit d’Henri IV une statuette de Napoléon et dans le ventre du cheval un ballot d’écrits, de chansons et de libelles anti-royalistes qui, depuis, y sont restés… L’inauguration solennelle de la statue eut lieu le 25 août 1818, jour de la Saint-Louis et de la fête du roi. Six buffets abondants, où coulaient douze fontaines de vin, furent dressés place Dauphine (J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, 6e éd., tome 2, p. 176).
La seconde commande faite à Lemot est celle de la Statue équestre de Louis XIV, pour remplacer la précédente, œuvre de Desjardins, installée en 1713, sur la place Bellecour à Lyon (elle avait été renversée et brisée sous la Révolution). La nouvelle statue équestre est installée en 1825 ; elle comporte l’inscription : « Chef-d’œuvre de Lemot, artiste lyonnais ».
Ces deux réalisations valurent à Lemot la croix de chevalier de Saint-Michel, la rosette de la Légion d’honneur, enfin le titre de baron héréditaire sur institution d’un majorat, par lettres patentes du 28 avril 1827.
Son oeuvre, essentiellement monumentale, se réfère aux modèles classiques, interprétés avec une certaine indépendance et parfois une réelle volonté de réalisme historique (Gérard Hubert).
Par ailleurs, on ne peut évoquer la vie de Lemot sans rappeler son rôle éminent en faveur de la restauration du château-fort de Clisson (XIIIe-XVIe siècles), la reconstruction de la cité et la création du domaine voisin de La Garenne-Lemot (Loire-Atlantique).
Pendant la Révolution, la ville de Clisson (à 25 km de Nantes, au confluent de la Sèvre Nantaise et de la Moine) avait été dévastée par les armées républicaines : Kléber fit incendier le château en 1793 et la ville entière en 1794.
Or, sous le Consulat et l’Empire, Lemot et l’architecte Mathurin Crucy (1749-1826), François Cacault (Nantes 1743-Clisson 1805), diplomate, sénateur et amateur d’art (3) et son frère Pierre René Cacault (Nantes 1744-Clisson 1810), artiste-peintre, séduits par le site, ont beaucoup œuvré pour la reconstruction de Clisson.
Le château-fort ruiné est racheté par Lemot en 1807, dans le but de le conserver. Au XIXe siècle, c’est une belle ruine romantique qui attire les peintres et les sculpteurs. Acquis par le conseil général de Loire-Atlantique en 1962, celui-ci y mène d’importants travaux de restauration.
Sur le parc de La Garenne-Lemot (13 hectares, avec une grande variété d’essences), en face du château, des constructions italianisantes (le Tivoli français) ont été édifiées : la Maison du jardinier (1811-1815) rappelant les demeures d’Ombrie et de Toscane ; la Villa Lemot, construite, après 1824, sur le modèle des grandes villas romaines ; le Temple de Vesta (1818-1822) ; la Grotte Héloïse (1813) ; un Tombeau à l’antique (1818). Près du château, face à La Garenne-Lemot, le Temple de l’Amitié (1812-1824) est inspiré du Temple de la Sybille à Tivoli.
En 1817, Lemot avait publié une Notice historique sur la ville et le château de Clisson ou voyage pittoresque dans le Bocage de la Vendée, illustrée par Thiénon.
Il meurt à Paris, le 6 mai 1827, à 56 ans, et il est inhumé dans le Temple de l’Amitié à La Garenne-Lemot, où sa mémoire est toujours honorée (4).
François Frédéric Lemot avait épousé Geneviève Antoinette Jacquinet. Ils eurent un fils, Barthélémy Frédéric Olivier Lemot, baron Lemot, dit aussi baron de Clisson, qui épousa à Paris, le 1er juillet 1847, Augustine Élisabeth Hodanger-Goinbault, dont postérité (5).
Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°448
Août-septembre-octobre 2003
p.60
Notes :
(1) Voir Georges Poisson, Napoléon et Paris, Berger-Levrault, 1964, p. 127 ; D. Chanteranne, « L’Arc du Carrousel », Magazine Napoléon Ier, n° 12, p. 62, avec des reproductions de l’époque ; M. Allégret, notice Fontaine, RSN n° 385, p. 23.
(2) En 1815, les Alliés font rendre les chevaux à Venise et la Restauration fait remplacer le quadrige par une oeuvre en bronze de Bosio.
(3) François Cacault, par ses habiles négociations entre le Premier consul et le Pape, avait été l’un des artisans de la conclusion du Concordat, le 15 juillet 1801, à Paris (voir Dictionnaire Napoléon, p. 317, notice R. Cleyet-Michaud). Son fils, Jean-Baptiste Cacault (1769-1813) a été général de brigade (1809), baron de l’Empire (1810), commandant l’Ile d’Aix (1812). Amputé d’un bras, il meurt des suites de l’opération, à Torgau (Saxe), le 30 septembre 1813 (G. Six, Dictionnaire des généraux et amiraux…, tome 1, p. 177).
(4) Son fonds d’atelier et ses archives ont été repris par ses descendants lors de l’achat de la propriété par le conseil général de Loire-Atlantique.
(5) Sources : Michaud, Biographie universelle, tome 24, p. 104 ; J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, p. 1065, notice « Lemot », par Gérard Hubert ; p. 1551, rubrique Sculpture, par Gérard Hubert ; E. Bénezit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Gründ, 1999, tome 8, p. 503 ; C. et B. Got, « La famille Cacault », La revue de l’ACMN, n° 33-34, p. 91 ; Documentation sur le château de Clisson et le domaine de La Garenne-Lemot, 44190 Gétigné-Clisson ; A. Révérend, Titres, anoblissements et paieries de la Restauration, 1814-1830, tome 4, p. 303.