Elle est née à Paris, le 9 février 1779 et a été baptisée le lendemain, en l'église Saint-Germain l'Auxerrois (l'acte de baptême, établi ce jour-là, mentionnait qu'elle était née la veille, 9 février 1779) (1).
Elle était la fille de Jacques Marie Boutet dit Monvel (1745-1812, voir Dictionnaire Napoléon, p. 1196) ; auteur et excellent acteur de la Comédie Française depuis 1770, et de Jeanne Marie Salvetat, dite Mme Mars (1748-1838), une comédienne fort belle mais gênée par un fort accent méridionnal, qui avait débuté à la Comédie Française, le 20 mai 1778, grâce à Monvel (elle n'y restera que trois ans). Les père et mère de Mlle Mars n'étaient pas mariés et cette situation ne pourra être modifiée car en juillet 1781 Monvel part avec une troupe française pour jouer en Suède, d'où il ne reviendra qu'en 1786, après avoir contracté mariage avec la fille d'un couple de comédiens du roi de Pologne.
Dans ces conditions, la jeune Anne Françoise Hippolyte est élevée par le compagnon de sa mère, Jean-Baptiste Lesquoy dit Valville (1740-1830), un homme honnête et instruit, acteur à Versailles (il s'était épris de Mme Mars, une femme abandonnée, et ils finiront par se marier). Valville sera le second père de Mlle Mars et c'est lui qui fera sa première éducation théâtrale (2). C'est ainsi qu'en 1791, à douze ans, elle tient un petit rôle dans un divertissement, Les Étrennes, que l'on donne à Versailles. Ensuite, elle joue des rôles d'enfant au théâtre que Mlle Montansier avait fait aménager à Paris, au Palais-Royal (3).
En 1795, elle entre au Théâtre Feydeau et, en 1799, Mlle Contat (voir Dictionnaire Napoléon, p. 507) la fait admettre dans la troupe réunie de la Comédie Française. Elle y restera jusqu'en 1841. Valville, Dugazon et Mlle Contat la guident et lui prodiguent leurs conseils. Elle s'impose par un travail acharné et dès 1802 joue avec le grand Talma. À cette époque, elle donne des leçons de diction à Élisa Bonaparte.
Mlle Mars fut une des gloires du Théâtre français. Incomparable dans les ingénues, elle se surpassa encore en abordant, à la retraite de Mlle Contat (1809), le rôle des grandes coquettes, où elle resta bientôt sans rivale. Au sujet de celles-ci, elle disait : « Une femme avec un éventail est plus forte qu'un homme avec une épée ».
Au début de sa carrière, elle était fort maigre (« un pruneau sans chair ») et n'avait pour elle que ses beaux yeux noirs. Mais à l'âge de trente ans, elle atteint sa plénitude physique et devient véritablement séduisante. Sa figure était douce, naïve, sa sensibilité exquise, son sourire plein de grâce et de finesse, sa voix rocailleuse et grave enchantait. Elle a été surnommée Le diamant. Elle fascinait l'auditoire. Par deux fois, en 1805 et en 1810, Stendhal dit dans son Journal : « Elle est divine, elle est parfaite ».
Mlle Mars établit sa prodigieuse réputation, dans les rôles du théâtre classique de Molière : Agnès (l'École des Femmes), Henriette (Les Femmes savantes), Elmire (Tartuffe), Célimène, un triomphe (Le Misanthrope) ; Marivaux : Silvia (Le Jeu de l'amour et du hasard), Araminte (Les Fausses confidences) ; Sedaire : Victorine (Le Philosophe sans le savoir) et Beaumarchais : Suzanne (Le mariage de Figaro).
Plus tard, en 1813, elle est appelée à Dresde, avec les meilleurs acteurs du Théâtre Français (voir RSN n° 275, p. 16). L'Empereur la reçoit et s'entretient avec elle.
Comme le raconte Bausset, dans ses Mémoires :
« Au nombre des questions qu'il lui fait, il y en eut une qui était relative à son début. “Sire, répondit-elle avec une grâce qui lui appartient, j'ai commencé toute petite. Je me suis glissée sans être aperçue. – Sans être aperçue ! Vous vous trompez. Vous voulez dire apparemment que vous avez forcé peu à peu l'admiration. Croyez au reste, Mademoiselle, que j'ai toujours applaudi, avec toute la France, à vos rares talents” ».
En effet, elle était l'actrice favorite de Napoléon.
Douée du goût le plus sûr, Mlle Mars donnait le ton de la mode aux femmes élégantes de Paris. Ses toilettes faisaient l'objet de patientes et longues recherches. Le moindre ruban prenait, pour elle, une importance extraordinaire. Elle avait aussi de très beaux bijoux.
Sa vie privée ? En 1797, elle vit 8, rue de la Loi (rue Richelieu) avec un certain Nicolas Bronner (1773-1816), fils d'un sergent au régiment suisse de Salis-Grisons au service de France. Apparemment, Nicolas travaillait alors avec un oncle, à des transactions commerciales internationales. Leur liaison durera jusqu'en 1802 et Bronner reconnaît leurs trois enfants nés : 1) en 1797, un garçon (mort en bas âge) ; 2) le 14 mars 1799, Louis Alphonse ; 3) une fille, Hippolyte (1800-1820). Ensuite, elle a comme amant René Ange, le fils de Mlle Contat. À partir de 1806, elle fréquente assidûment le salon du peintre François Gérard (voir RSN n° 406, p. 59). En 1814, elle tombe amoureuse du général Charles de Flahaut, mais la reine Hortense lit l'une de ses lettres et cette infidélité entraîne la rupture entre Hortense et Flahaut (voir Françoise de Bernardy, Flahaut, Perrin, 1974, pp. 167 à 171).
Craignant l'occupation de Paris par les alliés, elle fait fabriquer quarante longues boîtes en fer blanc, semblables à celles des herborisateurs, pour y cacher son or et ses bijoux. Et, elle les suspend à une ficelle, dans les « lieux à l'anglaise » de son appartement (J.-P. Tarin).
Sous la première Restauration, à la Comédie Française, Mlle Mars est du « parti des abeilles », avec Talma et Mlle George, qui s'oppose au « parti du lys » conduit par Lafon et Mlle Bourgoin.
En mars 1815, après le retour de l'Aigle, Mlle Mars et Mlle George mettent des violettes à leurs corsages et sur leurs chapeaux. De son côté, Mlle Mars assiste au concert des Tuileries donné pour célébrer le retour de Napoléon. Et lors de la dernière revue avant Waterloo, passé au Carrousel, l'Empereur l'aperçoit et vient, à cheval, pour la saluer aimablement.
Sous la seconde Restauration, invitée à crier « Vive le roi ! », elle s'en tire par une pirouette : « Vous me demandez de crier “Vive le roi !” Eh bien, je l'ai dit » (J. Tulard).
L'amant suivant est Antoine Fortuné Brack, né à Paris en 1789, un magnifique cavalier, chef d'escadron, dit « le colonel de Brack », un ancien de la Garde impériale, en demi-solde. « Il avait du succès dans le monde par une jolie figure, de l'esprit et des talents agréables » mais il profitait assez de la fortune de sa maîtresse. En janvier 1825, c'est la rupture, provoquée par « le colonel » et Mlle Mars se console avec un nouveau compagnon, « un jeune blondin », le diplomate Charles de Marnay (il avait vingt-cinq ans de moins qu'elle !). Il sera son dernier soupirant.
En 1830, sa vie d'actrice comporte un temps fort avec la création d'Hernani. Ainsi, Mlle Mars acceptait d'interpréter, non seulement le répertoire classique, mais également le nouveau drame romantique. La générale a lieu le 25 février 1830, à la Comédie Française. (C'est la célèbre bataille d'Hernani). Le 5e acte va marquer le triomphe de Mlle Mars, dans le rôle de Doña Sol. Une pluie de bouquets s'abat à ses pieds (Alain Decaux, Victor Hugo, Perrin, 1984, p. 359).
En 1833, elle joue Élisabeth, dans les Enfants d'Édouard, de Casimir Delavigne et en 1839, Mlle de Belle-Isle, d'Alexandre Dumas père, sa dernière création, à 60 ans.
Mlle Mars possédait une maison à Versailles, l'ex-hôtel de Bougainville, au n° 1 de la rue de la Tour des Dames, à Paris 9e, acheté à Gouvion Saint-Cyr (la propriété donnait également sur le n° 54 de la rue Saint-Lazare) et le château des Imbergères, à Sceaux (Hauts-de-Seine), acheté en 1820 (il sera démoli en 1939).
Elle prend sa retraite en 1841 et meurt le 20 mars 1847, à 68 ans, 13, rue Lavoisier, à Paris (8e). Après la cérémonie religieuse à l'église de La Madeleine, un cortège immense l'accompagne au cimetière du Père-Lachaise, où elle est inhumée à la 8e division (Répertoire mondial…, p. 295). Samson, le doyen de la Comédie Française, prononce un discours et évoque superbement le prestige de son talent et de sa gloire (4).
Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°454
août-octobre 2004
P.45
Notes
(1) Dans la Biographie universelle de Michaud, l'affirmation de l'auteur de la notice, selon laquelle Mlle Mars serait née à Rouen, le 20 décembre 1778, n'a pas été confirmée par la suite.
(2) Mlle Mars a toujours accueilli Valville chez elle, jusqu'à sa mort, le 9 juin 1830.
(3) Sur Mlle Montansier (1730-1820), voir Histoire et dictionnaire de la Révolution française, R. Laffont, 1987, p. 992.
(4) Sources : Michaud, Biographie universelle, t. 27, p. 64 ; Micheline Boudet, Mademoiselle Mars, l'inimitable, Perrin, 1986 ; Francis Ambrière, Mademoiselle Mars et Marie Dorval, Seuil, 1992 ; Henry Lyonnet, Dictionnaire des comédiens français, 1969, 2e vol., pp. 394 à 399 ; Dictionnaire Napoléon, p. 1146, notice J. Tulard ; RSN n° 274-275, « Napoléon et le théâtre » ; J.-P. Tarin, Les notabilités du Ier Empire, leurs résidences en Ile-de-France, Cl. Terana éd., 2002, p. 521.