MAINE DE BIRAN, François-Pierre Gontier de Biran dit… (1766-1824), philosophe.

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Né à Bergerac (Dordogne), le 29 novembre 1766, François-Pierre Gontier de Biran (plus tard, il signera Maine de Biran, Maine étant le nom d'une terre que son père possédait) appartenait à une vieille famille d'origine limousine, installée au Périgord au XIVe siècle et à une dynastie de notables : son arrière-grand-père et son grand-père avaient été maires de Bergerac, son père était médecin dans ladite ville et en 1789 l'un de ses cousins, Guillaume Gontier de Biran, avait été élu député du Tiers-état.

François-Pierre commence ses études chez ses parents puis fait ses humanités chez les doctrinaires de Périgueux.

Le 1er janvier 1785 (il a dix-neuf ans), il est enrôlé à Paris, comme garde du corps du roi, compagnie de Noailles. Doté d'une figure charmante, ayant le goût et le talent de la musique, des manières élégantes, une exquise politesse, il réussit très bien dans le monde des salons. Cependant, sur le terrain, il participe activement à la défense du château de Versailles (5-6 octobre 1789), il est blessé au bras et a son cheval tué sous lui. Peu après, l'Assemblée constituante, par décret du 25 juin 1791, ayant licencié les gardes du corps de la Maison du roi, Maine de Biran envisage de reprendre du service dans l'arme du génie et, pour cela, se remet à l'étude des mathématiques.

Mais, en 1792, la mort de son père l'incite à revenir en Dordogne, où il s'installe, avec sa mère, dans un bien familial, le manoir de Grateloup, à Saint-Sauveur (à 8 km de Bergerac). Il lit beaucoup, réfléchit aux problèmes philosophiques et écrit sa première oeuvre : Méditation sur la mort, près du lit funèbre de ma soeur Victoire. Il commence aussi la rédaction de son Journal intime (il analyse chaque jour ce qui se passe en lui, plus que ce qui se passe dans le monde). Sur le plan politique, il n'approuve pas les excès de la Révolution.

Après thermidor an II (juillet 1794), le conventionnel Boussion, médecin et député du Lot-et-Garonne, est envoyé en Dordogne, avec la mission d'épurer le département. Se souvenant du rôle joué dans l'histoire locale par les Gontier de Biran, Boussion fait nommer Maine de Biran, le 14 mai 1795, administrateur de la Dordogne. Pour remplir ses fonctions, celui-ci s'installe à Périgueux, chef-lieu du département.

À cette époque, il rencontre et épouse une jeune et jolie femme, Louise Fournier, qui lui donnera trois enfants (dont l'aîné, François, sera officier des gardes du corps sous la Restauration).

Encouragé par Boussion, Maine de Biran est élu, le 16 avril 1797, au Conseil des Cinq-Cents. À Paris, il fréquente assidûment le salon de Mme Helvétius (« Notre Dame d'Auteuil »), où il se lie d'amitié avec les Idéologues : le docteur Cabanis et Destutt de Tracy (1) (2). Il collabore aussi à L'Historien, revue fondée par Dupont de Nemours.

Cependant, son élection au Conseil des Cinq-Cents est annulée à la suite du coup d'État de Fructidor (il est soupçonné de ne pas être un vrai républicain). Dans ces conditions, Maine de Biran revient à Grateloup, avec sa famille (juillet 1798).
En brumaire an VIII, il accepte, comme les Idéologues, le nouveau pouvoir : le Premier consul lui paraît être l'homme de la réconciliation et de la reconstruction.
En 1800-1802, toujours passionné par les problèmes philosophiques, il rédige un important mémoire sur L'influence de l'habitude sur la faculté de penser, à la suite duquel l'Institut lui décerne le Premier prix.

Membre correspondant de l'Institut, il perd prématurément son épouse, le 30 octobre 1803 (elle meurt de saisissement en apprenant le retour d'émigration de son premier mari, qu'elle croyait mort).

Ensuite, son ami Gérando, secrétaire général du ministère de l'Intérieur (3) lui apporte son appui pour entrer dans l'administration préfectorale. Le 13 mai 1805, il est nommé conseiller de préfecture du département de la Dordogne. La même année, il prend part au concours ouvert par l'Institut sur La décomposition de la pensée et, comme en 1800-1802, remporte le Premier prix.

Le 31 janvier 1806, il est nommé sous-préfet de l'arrondissement de Bergerac. Pendant cinq ans (1806-1811), le sous -préfet est un administrateur actif, méthodique, dévoué au bien public et, surtout, il prend des initiatives, dont certaines sont des innovations pour l'époque : assèchement des marais, construction de ponts, interdiction de déboisement non mesuré, conservation des monuments historiques, étude de la paupérisation régionale, de la crise de la viticulture. Il multiplie les tournées dans les communes et envoie aux maires des questionnaires détaillés. Deux problèmes l'occupent particulièrement : le développement de la « vaccine » et de l'instruction publique ; il crée l'école secondaire de Bergerac, réunit les parents d'élèves et inspire les programmes.
En novembre 1806, il fonde la société médicale de Bergerac dont il devient immédiatement le président. Il participe personnellement aux travaux scientifiques de la société.

Il favorise aussi le retour des religieux tout en remplissant avec conscience ses devoirs d'orateur à la loge maçonnique « La Fidélité » de Bergerac (4).
Parallèlement à ces différentes activités, Maine de Biran poursuivait ses réflexions philosophiques sur L'Aperception immédiate (1807) couronnée par l'Académie de Berlin et sur Les rapports du physique et du moral de l'homme (1811), couronné par l'Académie de Copenhague.

Le 5 mai 1810, il est fait chevalier de la Légion d'honneur et, le 9 août, le Sénat le désigne pour siéger au Corps législatif, au Palais Bourbon, à Paris. En 1812, il cesse donc ses fonctions de sous-préfet de Bergerac et se rend à Paris, pour remplir son mandat au Corps législatif. Il demeurait au n° 34 de la rue Cassette (Paris, 6e) et portait le titre de chevalier de l'Empire, selon l'Almanach impérial de 1813.

En 1813, Maine de Biran a l'occasion de se manifester à propos des offres de paix formulées aux Alliés par Napoléon. Le 10 décembre 1813, Metternich fait une réponse dilatoire aux propositions de Napoléon présentées par Caulaincourt. Dans ces conditions, l'Empereur désire faire connaître à l'opinion française que ce n'est pas lui qui s'oppose à la paix. Une commission élue par le Corps législatif (Laîné, avocat, rapporteur, Maine de Biran, Flaugergues, ancien sous-préfet, Gallois, ancien président du Tribunat, Raynouard, un dramaturge) est chargée d'examiner la situation diplomatique. Cette commission, inspirée par Laîné, particulièrement hostile au « despotisme », en profite pour faire des remontrances à l'Empereur. Le 29 décembre, le rapport est approuvé par le Corps législatif en séance secrète et son impression est décidée par 223 voix contre 51. Napoléon, fort mécontent, réagit immédiatement : le 31 décembre 1813, par décret, il prononce l'ajournement du Corps législatif et interdit l'impression du rapport Laîné !

Et le lendemain, 1er janvier 1814, aux Tuileries, lors de la présentation des voeux par les grands corps de l'État, il intervient avec vivacité (5) à l'encontre du Corps législatif : « J'ai fait supprimer l'impression de votre adresse, elle était incendiaire… Votre commission est guidée par l'esprit de la Gironde et d'Auteuil… Vous êtes cinq factieux… Ce n'est pas au moment où l'on doit chasser l'ennemi de nos frontières que l'on doit exiger de moi un changement dans la Constitution… Retournez dans vos foyers. En supposant que j'eusse des torts, vous ne deviez pas me faire des reproches publics. Au reste, la France a plus besoin de moi que je n'ai besoin d'Elle » (6) (7).

Maine de Biran retourne à Grateloup. Il se remarie avec Mlle Louise Anne Favareilhes de la Coustete, sa cousine. Après la première abdication de Napoléon (6 avril 1814), il se rallie facilement à Louis XVIII. Devenu membre de la Chambre des députés, il est nommé questeur, officier de la Légion d'honneur et chevalier de Saint-Louis (il sera fait commandeur de la Légion d'honneur en 1819). Par ordonnance royale et lettres patentes du 6 septembre 1814, il est anobli et reçoit le titre de chevalier.

Pendant les Cent-Jours, il abandonne ses fonctions parlementaires. Il les retrouve après la seconde abdication de Napoléon (22 juin 1815) et les conservera jusqu'à sa mort (sauf en 1816, où il est supplanté par un ultra). En outre, il est nommé conseiller d'État en service ordinaire (1816) et prend une part active aux travaux concernant l'instruction publique.

La faiblesse de sa voix l'empêchait de parler à la tribune. Ses interventions étaient lues par certains de ses collègues. Sa position politique ? Dans son Journal, il écrit, le 18 décembre 1821, que « le centre droit représente la vraie opinion de la France ». Beaucoup plus tard, cette opinion sera reprise par un président de la Ve République.

Maine de Biran eut de nombreux amis dans les domaines de la politique, des sciences et de la philosophie : Cuvier, de Gérando, Royer-Collard, Laîné, Ampère, Guizot, Cousin…

Après 1821, sa santé décline et il meurt à Paris, le 28 juillet 1824, dans sa 58e année. D'abord inhumé au cimetière du Père-Lachaise, il est transféré en 1841 au cimetière de Saint-Sauveur, près de Bergerac, « à l'ombre de l'église qui a réjoui son enfance et consolé sa vieillesse ». Sur la place de Saint-Sauveur, un monument et, à la mairie de Bergerac, un buste rappellent son souvenir (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, pp. 89-90).

En conclusion, la place de Maine de Biran apparaît modeste dans l'histoire politique de la France, mais depuis sa mort elle n'a cessé de grandir dans celle de la philosophie. Comme l'observe Henri Gouhier, l'aventure intellectuelle et spirituelle de Maine de Biran est celle d'une évasion : homme du XVIIIe siècle par la date de sa naissance et le milieu culturel où il apprend à penser, il se dégage peu à peu du sensualisme de Condillac.

Selon Maine de Biran, l'homme n'a conscience de lui-même que par le sens intime ; son « moi » se manifeste sous la forme de la volonté. C'est un virtuose de l'introspection et sa pensée a ouvert à la psychologie de nouvelles perspectives, ce qui a fait dire à Royer-Collard que « Maine de Biran est notre maître à tous » et à Victor Cousin que « Maine de Biran est le plus grand métaphysicien qui ait honoré la France depuis Malebranche ».

Dans ses Nouveaux essais d'anthropologie (1823, non terminés) Maine de Biran répartit dans trois vies différentes l'ensemble des faits que présente notre nature envisagés dans les degrés successifs de son développement. La première, « la vie animale », est régie par les impressions de plaisir ou de douleur ; la deuxième, « la vie humaine », commence à l'apparition de la volonté et de l'intelligence. Enfin, il ajoute une troisième vie, « celle de l'Esprit » qui souffle où il veut. Par cette « troisième vie », Maine de Biran fait entrer, pour la première fois, l'expérience religieuse dans le domaine de la philosophie (Henri Gouhier).

Comme l'a écrit Jean Mistler (Napoléon, Rencontre, 1969, T. 5, p. 40), Maine de Biran, sous l'influence de la psychologie écossaise, a fait ressortir le rôle fondamental de la volonté et préparé la réaction spiritualiste du XIXe siècle. De très nombreux écrits lui ont été consacrés en France et à l'étranger, dans le passé et encore aujourd'hui (8).

Marc Allégret
Revue du souvenir napoléonien n° 451
2004

Pp.73-74

Notes :

(1) Sur les Idéologues, voir la notice Destutt de Tracy (RSN n° 359, p. 29).
(2) L'hôtel de Mme Helvétius était situé à l'emplacement actuel du n° 59 de la rue d'Auteuil (Paris, 16e). Elle l'avait acheté en 1772, au peintre pastelliste Quentin Latour. On dit que le général Bonaparte y fut introduit par Volney. Ses frères, Lucien et Joseph, l'avaient précédé. Après la mort de Mme Helvétius, en août 1800, l'hôtel devint la résidence de Cabanis (jusqu'à sa mort en 1808), du chancelier Pasquier, de Guizot, enfin du prince Pierre Bonaparte. C'est dans son salon que fut tué le journaliste Victor Noir, motif pour lequel l'immeuble fut incendié en 1871 par les Fédérés.
(3) Sur Gérando, voir RSN n° 407, p. 29.
(4) Maine de Biran est admis comme dignitaire du Grand Orient en 1809 et comme grand officier de cette obédience, de 1820 jusqu'à sa mort (Michel Gaudard de Soulages, Hubert Lamand, Dictionnaire des Francs-maçons, Lattès, 1995, pp. 606-607).
(5) Lainé avait préféré partir la veille pour Bordeaux.
(6) Le même jour, le comte de Provence (Louis XVIII) lance une proclamation à ses « sujets » français : « Recevez en amis ces généreux Alliés, ouvrez-leur les portes de vos villes, prévenez les coups qu'une résistance criminelle et inutile ne manquerait pas d'attirer sur vous, et que leur entrée en France soit accueillie avec les accents de la joie ».
(7) Voir Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l'Empire, Tallandier, 1976, tome 14, pp. 29 à 40 ; Jean Massin, Almanach du Premier Empire, le Club Français du Livre, 1965, pp. 314-315 ; Alfred Fierro, André Palluel-Guillard, Jean Tulard, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, Robert Laffont, 1995, p. 1233.
(8) Sources : Michaud, Biographie universelle, t. 26, p. 140 ; J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, p. 1113, notice Maine de Biran, par Henri Gouhier ; A. Fierro, A. Palluel-Guillard, J. Tulard, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire précitée, notice Maine de Biran, p. 925 ; Napoléon, Rencontre, 1969, t. 5, p. 183, notice Maine de Biran ; A. Révérend, Armorial du Premier Empire, t. 2, p. 251, rubrique Gontier Maine de Biran.

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