MALET, Claude-François de (1754-1812), général, initiateur de la conspiration contre Napoléon (1812)

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Né le 28 juin 1754, à Dole (Jura) (1), Claude-François était le fils aîné d'un capitaine de cavalerie de petite noblesse. En 1771, à dix-sept ans, il est admis à la 1re compagnie des Mousquetaires du roi. Ainsi, il faisait partie d'une élite puisque tous ces cavaliers avaient rang d'officier. Au physique, il était de taille moyenne (1,72 m), bien bâti, les cheveux et sourcils châtains, le nez busqué, le regard sombre.

Mais un décret du 15 décembre 1775 supprime la Maison du roi pour raison d'économie : à 22 ans, Claude-François est licencié avec le grade de lieutenant et le quart de solde. Il revient à Dole, où il s'ennuie. Après une dizaine d'années d'inaction, un événement sentimental attire l'attention sur lui : il rencontre une jeune femme, Denise de Balay, qui, sur le refus de ses parents d'agréer un mari répondant à ses voeux, décide de prendre le voile. Lors de la cérémonie religieuse à l'église d'Arbois, des cris s'élèvent dans l'assistance (« il faut délivrer la victime »), sur quoi Malet s'entretient avec la jeune femme, la demande en mariage à ses parents et ils s'épousent le 9 janvier 1788. Denise a dix-sept ans, Claude-François en a trente-quatre. Ils s'installent à Dole, où leur fils, Aristide, naît quelques mois après.

Au début de la Révolution, Malet est élu commandant du bataillon de la garde nationale de Dole ; il supprime la particule de son nom, fait couper ses cheveux à la mode jacobine et vante à tout propos les bienfaits de la liberté. Il représente sa ville à Paris, le 14 juillet 1790, lors de la Fête de la Fédération, et affirme, de plus en plus, ses convictions républicaines.

Pour relancer sa carrière, il s'adresse aux frères Lameth (anciens camarades de la Maison du roi) et reçoit sa nomination, le 1er août 1791, comme aide de camp du prince de Hesse-Rhinfels, devenu le général Charles Hesse (G. Six, Dictionnaire des généraux et amiraux, t. 1, p. 572). En décembre 1791, il est attaché à l'adjudant-général Victor Broglie (Six, t. 1, p. 160), à Metz et Strasbourg, ensuite au général Beauharnais (Six, t. 1, p. 65). Il est nommé provisoirement adjudant-général chef de bataillon à l'armée du Rhin (20 mai 1793). Mais il doit quitter l'armée comme ancien membre de la Maison du roi (22 septembre 1793). Réintégré peu après (l'exclusion précédente ayant été rapportée par la Convention), il est affecté à l'armée de Rhin et Moselle (1795), puis successivement aux divisions militaires de Besançon (1797) et Grenoble (1799).

À l'armée des Grandes Alpes, Championnet le nomme provisoirement général de brigade (13 août 1799). Il enlève les postes autrichiens du Petit Saint-Bernard et de la Roche Taillée et il est confirmé comme général de brigade par le Directoire exécutif (19 octobre 1799).

Sous le Consulat, il commande les troupes de la Gironde, puis de la Charente. Il se révèle difficile, arrogant, il entre en conflit avec les préfets de ces départements, d'où des récriminations de ces derniers auprès du ministre de l'Intérieur, enfin il se prononce ouvertement contre le Consulat à vie.

Lors de l'avènement de l'Empire, il est fait commandant de la Légion d'honneur et adresse à l'Empereur des félicitations pour le moins ambiguës. Ensuite sa carrière l'amène en Italie, à Naples, Pavie et Rome, dont il est le gouverneur (1806). Il choisit pour sa résidence le palais Rinuccini (que Mme Mère achètera après 1815). Là encore, il entre en conflit avec le pouvoir civil, l'ambassadeur Alquier, il multiplie les maladresses, rencontre Lucien Bonaparte, il est compromis dans plusieurs malversations, enfin, en haut lieu, on ne lui pardonne pas sa propagande républicaine, inattendue chez un aristocrate. Le 18 mai 1807, il est suspendu de ses fonctions par Eugène, vice-roi d'Italie (remplacé par le général Miollis) et renvoyé en France où Napoléon, sur la proposition de Clarke, signe sa mise à la retraite le 31 mai 1808. Sa carrière militaire était terminée.

À son retour de Rome, en août 1807, Malet s'installe à Paris, 75, rue des Saints-Pères (6e), avec son épouse Denise et son fils Aristide. Sa colère et sa rancoeur contre le pouvoir impérial sont telles qu'il devient un monomane de la conspiration.
Il se lie avec des opposants au régime : Lemare, professeur-directeur d'une institution L'Athénée de la Jeunesse, Eve dit Demaillot, auteur dramatique, l'ancien conventionnel Ricord, le docteur Gindre, Gariot, négociant, Poilpré, son ancien aide de camp… Il se rapproche des sociétés secrètes : les Philadelphes (créée à Besançon en 1787) et la Franc-Maçonnerie (Malet est membre de la loge Caroline, à l'Orient de Paris, en 1807) (2). Deux généraux, destitués pour différents délits, s'agitent avec Malet : Joseph Guillaume (G. Six, t. 1, p. 542) et Pierre-Joseph Guillet (G. Six, t. 1, p. 545).

Profitant du séjour de l'Empereur dans les Pyrénées, à Bayonne (avril-juillet 1808, au château de Marracq), les conjurés projetaient d'apposer dans Paris des affiches annonçant que le Sénat venait de voter la déchéance de Napoléon et ils envisageaient la constitution d'un nouveau gouvernement comprenant, notamment, les généraux Malet et Moreau.

Mais l'affaire est éventée et le 8 juin 1808, le préfet de police Dubois fait procéder à des arrestations, dont celle de Malet et Guillaume. Toutefois, Fouché minimise l'affaire. On disait en riant au ministère de la police générale que le préfet de police rêvait de découvrir à lui seul une grande conspiration et qu'il la demandait chaque jour à Dieu dans sa prière (voir RSN n° 363, notice Dubois, p. 17) (3).
Néanmoins, Malet reste en prison, d'abord à la Force, ensuite à Sainte-Pélagie. Ses demandes de mise en liberté ayant été inefficaces, il change de tactique : il invoque son mauvais état de santé et, dans une lettre du 18 août 1809, sollicite son transfert dans la maison de santé du docteur Dubuisson.
Cette fois-ci, il obtient satisfaction : en janvier 1810, Malet est transféré à cette maison de santé, rue du Faubourg Saint-Antoine, près de la barrière du Trône, au coin de la petite rue Saint-Denis-Saint-Antoine (aujourd'hui rue des Boulets, à Paris, 11e). Il est enchanté, on lui a donné une chambre au rez-de-chaussée, dont la fenêtre ouvre sur le jardin. En vérité, cette maison était un « Eden pour prisonniers politiques », où la fidélité royaliste ou républicaine « se traduisait en poulardes truffées, en pâtés de foie gras et en paniers de Château Margaux ». En revanche, la pension était extrêmement chère : 150 francs par mois, sans compter le vin et le bois.
Là, Malet reprend son idée d'une nouvelle conspiration. En 1812, la Grande Armée est en Russie, avec l'Empereur. Les communications sont difficiles, les courriers mettent quinze jours pour apporter les bulletins à Paris. Dans ces conditions, Malet annoncera la mort de Napoléon survenue en Russie, la chute du régime impérial et la constitution d'un gouvernement provisoire. Dans ce processus, fondé sur l'éloignement de l'Empereur et sur de fausses nouvelles, Malet est principalement aidé par l'abbé Lafon, qui avait été arrêté à Bordeaux en 1809 et transféré ensuite à la maison de santé du Dr Dubuisson (en réalité, Lafon n'avait encore reçu que les ordres mineurs de l'Église). L'action est préparée minutieusement. L'exécution est fixée pour la nuit du 22 au 23 octobre 1812.

Le 22 octobre, vers 10 heures du soir, Malet et l'abbé Lafon s'évadent de la maison de santé, en sautant par-dessus le mur d'enceinte : ils partaient pour renverser, à eux seuls, l'Empire français. Ils passent une partie de la nuit dans la mansarde d'un religieux espagnol, ami de Lafon. Malet revêt un uniforme de général de division fourni par sa femme ; Rateau, un caporal de la garde nationale, échange le sien contre celui d'aide de camp du général ; et Boutreux, bachelier en droit, ceint une écharpe tricolore, comme celle des commissaires de police.

Le 23, à quatre heures du matin, le trio se présente au poste de garde de la caserne Popincourt (51, rue Popincourt, 11e, aujourd'hui démolie). Rateau annonce avec superbe : « Ronde d'officier général » et communique le mot de passe (ce jour-là, c'était, ironie de l'histoire, le mot conspiration). Au commandant Soulier, chef de la 10e cohorte de la garde nationale, malade dans sa chambre, Malet, qui avait pris le nom de général Lamotte, déclare : « Commandant, l'Empereur est mort le 7 octobre sous les murs de Moscou. Le gouvernement impérial est renversé ». Soulier le croit sur paroles et fait réunir la 10e cohorte, sous la pluie, dans la cour de la caserne, où Malet fait lire un faux sénatus-consulte annonçant la formation d'un gouvernement provisoire et une proclamation à l'armée.

Au lever du jour, plusieurs compagnies de la 10e cohorte suivent Malet à la prison de la Force où il fait délivrer, malgré les réticences du concierge, les généraux républicains Lahorie (chef de brigade en 1800, chef d'état-major de Moreau, ami du général Hugo et, surtout, de sa femme) (4), et Guidal (5) ainsi que Boccheciampi, un Corse arrêté pour espionnage.

Il est six heures du matin. Conformément aux ordres de Malet, Lahorie, avec une compagnie de soldats, fait arrêter le préfet de police Pasquier (remplacé par Boutreux), Desmarest, chef de la sûreté et Savary, duc de Rovigo, ministre de la Police (que Lahorie remplace) et tous trois sont immédiatement incarcérés à la prison de la Force (6).

De son côté, le commandant Soulier, conformément aux ordres de Malet, se rend avec une compagnie, à l'Hôtel-de-ville, où Frochot, préfet de la Seine, lui aussi abusé, met à sa disposition une salle de réunion pour le gouvernement provisoire (voir RSN n° 394, notice Frochot, p. 43).

En outre, le colonel Rabbe, qui commande la garde nationale de Paris, fait occuper par ses troupes, selon les ordres de Malet, la Trésorerie et les barrières de Paris.
Vers neuf heures, Malet se rend au domicile du général Hulin, qui commande la place de Paris, 22, place Vendôme. Hulin est en train de se lever. Il résiste et demande des explications. Malet lui fracasse la mâchoire d'un coup de pistolet. Hulin s'effondre. Mais, sitôt après, au n° 7, à l'hôtel de la place de Paris, les adjoints du gouverneur (le colonel Doucet et le commandant Laborde) démasquent Malet, le maîtrisent, appellent à l'aide et désormais c'est l'échec du coup d'État (voir RSN n° 428, notice Hulin, p. 51).

Malet et ses complices sont arrêtés. Les hauts personnages, Savary, Pasquier et Desmarest sont libérés et rétablis dans leurs fonctions. À midi, tout est rentré dans l'ordre.

Le 28 octobre, les conjurés sont traduits devant une commission militaire. Malet assume, devant ses juges, l'entière responsabilité des opérations. Au président, qui lui demande le nom de ses complices, Malet répond superbement : « La France entière et vous-même, monsieur le président, si j'avais réussi ».

Le lendemain, 29 octobre, Malet, Lahorie, Guidal et Soulier ainsi que huit complices sont condamnés à mort et immédiatement fusillés, à quatre heures de l'après-midi, à la barrière de Grenelle. Malet meurt avec courage (7) (8) (9) (10).

Le 6 novembre, Napoléon est à Mikhaïlewska, sur la route de Smolensk, lorsqu'il apprend, par un courrier, le déroulement de l'affaire Malet, il en est fortement éprouvé (Caulaincourt, Mémoires, II, 122).

En effet, le succès de la conspiration, fondée sur la fausse nouvelle de la mort de Napoléon en Russie, révélait la fragilité, d'une part, du régime impérial et de sa police, d'autre part, de la quatrième dynastie : personne n'avait songé au Roi de Rome.
Après son retour à Paris, l'Empereur décide, le 19 décembre 1812, de maintenir Savary, Pasquier et Desmarest dans leurs fonctions ; en revanche, Frochot est révoqué et remplacé, comme préfet de la Seine, par Chabrol de Volvic (11).
 
Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°
2004

Notes

(1) À Dole, sa maison natale se trouve 11, rue du général Malet (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 135).
(2) Cf. D. Ligou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, PUF, 4e éd., 1998, p. 774.
(3) Voir Cambacérès, Lettres inédites à Napoléon (1973) présentées par Jean Tulard, tome 2, p. 604, n° 754 : lettre du 11 juin 1808 ; p. 608, n° 761, interrogatoire du général Malet : lettre du 19 juillet 1808.
(4) Sur Victor Claude Alexandre Fanneau de Lahorie (1766-1812), voir Dictionnaire Napoléon, p. 1021, notice J. Tulard ; G. Six (tome 2, p. 35) ; RSN n° 426-427, notice général Hugo, p. 153.
En 1809, Lahorie est caché à Paris, chez Mme Hugo. À la suite d'une imprudence (il va voir Savary nommé ministre de la Police), il est arrêté chez Sophie Hugo, le 30 décembre 1810. On sait aujourd'hui que Sophie, qui rendait visite à Lahorie à la prison de la Force et à Malet, à la maison de santé du Dr Dubuisson, était informée de la conspiration (cf. Alain Decaux; Victor Hugo, Perrin, 1984, p. 122 et suiv.).
(5) Sur Maximilien Joseph Guidal (1765-1812), voir Dictionnaire Napoléon, p. 855, notice J.Garnier ; G. Six, tome 1, p. 541.
(6) Guidal qui, selon les ordres de Malet, devait faire arrêter Clarke, ministre de la Guerre, ne remplira pas cette mission Il était entré dans un cabaret, pour manger et boire plus que de raison.
(7) Le colonel Jean-François Rabbe (1757-1832), abusé par Malet et également condamné à mort échappe, in extremis, à l'exécution : le conseil des ministres s'était souvenu qu'il avait été l'un des membres de la commission militaire qui avait condamné le duc d'Enghien (voir D. et B. Quintin, Dictionnaire des colonels de Napoléon, SPM 1996, p. 719).
(8) Le caporal Jean Auguste Rateau, également condamné à mort, échappe, lui aussi, à l'exécution : on apporta in extremis le sursis le concernant.
(9) Alexandre André Boutreux et le religieux espagnol (Cajamano), arrêtés par la suite, ont comparu devant la commission militaire : Boutreux, condamné à mort, a été exécuté le 30 janvier 1813 et Cajamano, complètement hébété, a été acquitté (voir Cambacérès, Lettres inédites à Napoléon précitées, tome 2, p. 846, n° 1055 : lettre du 9 janvier 1813). Quant à l'abbé Lafon, il a échappé aux poursuites et regagné sa Dordogne natale, il a été ordonné prêtre en 1826 et a survécu jusqu'en 1836.
(10) Mme Denise Malet, épouse du général, avait été arrêtée, le 23 octobre 1812, à son domicile, 46, rue de l'Université, à Paris (7e). Emprisonnée aux Madelonnettes, elle fut libérée le 24 septembre 1813 et se retira à Douai.
(11) Sources : Michaud, Biographie universelle, tome 26, p. 235 ; G. Six, Dictionnaire des généraux et amiraux de la Révolution et de l'Empire, tome 2, p. 143, notice Malet ; Dr Max Billard, La conspiration de Malet, Perrin, 1907 ; Bernadine Melchior-Bonnet, La conspiration du général Malet, Del Duca, 1963 ; Historia n° 318, p. 146 ; Alain Decaux, La conspiration de Malet, Presses Pocket, 1964 ; Napoléon, éd. Rencontre, 1969, tome 9, p. 105, « L'affaire Malet », par Jean Tulard et « Mémoires Pasquier », p. 141 ; J. Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard, 1977, p. 410 et 422 ; Dictionnaire Napoléon, p. 1120; aff. Malet, par J. Tulard ; Dr M. Catinat, L'affaire Malet, RSN n° 403, p. 34 ; Charles Nodier, Portraits de la Révolution et de l'Empire, tome 2, Les Philadelphes (Malet, Oudet), Tallandier, 1988 ; Les contemporains (notice Claude-François de Malet) ; Jean-Pierre Tarin, Les notabilités du Premier Empire, leurs résidences en Ile-de-France, C. Terana éditeur, 2002, p. 460.
Corrigendum : notice Lesueur, RSN n° 450, page 57, 3e colonne, il faut intervertir les alinéas 2 et 3.

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