MOLÉ, Mathieu Louis, comte (1781-1855), Conseiller d’Etat

Partager
MOLÉ, Mathieu Louis, comte (1781-1855), Conseiller d’Etat
Mathieu, comte Molé, en 1834, par Ingres © Wikipedia

Issu d’une grande famille de l’Ancien Régime, Mathieu Louis Molé est né à Paris, le 24 janvier 1781. La Révolution et, plus précisément la Terreur, avait fait guillotiner son père et emprisonner le reste de sa famille. Lui-même est en émigration jusqu’en 1796. À défaut d’enseignant, il se forme tout seul, par ses lectures d’autodidacte. Revenu ensuite en France, Molé entre en politique par la littérature. En effet, dans le salon de Mme de Beaumont, il s’est lié avec Chateaubriand, Fontanes et Joubert. En 1805, dans ses Essais de morale et de politique, il fait l’éloge du régime napoléonien. L’Empereur lui en sait gré, le nomme auditeur au Conseil d’État (18 février 1805), maître des requêtes quatre mois plus tard et préfet de la Côte d’Or, le 10 novembre 1807 (on lui doit la réalisation du canal de Bourgogne). Au Conseil d’État, il travaille sur la condition des Juifs, avec Regnault de Saint-Jean d’Angély et Beugnot, ce qui aboutit à la convocation, par Napoléon, du Grand Sanhédrin (1).
Il est nommé successivement conseiller d’État (19 février), comte de l’Empire (29 septembre) avec institution d’un majorat formé par le château de Champlâtreux et ses terres, enfinnommé directeur général des Ponts-et-Chaussées (2 octobre), où il succède à Montalivet. 

L’année 1809 marque un tournant important dans sa carrière

Placé à la tête de ce rouage important, il a l’occasion de rencontrer fréquemment Napoléon et l’on retrouve trace de ces nombreuses et passionnantes
entrevues dans ses Mémoires (Biblio J. Tulard, n° 538). Molé se présente comme le modèle des « écouteurs » pour Napoléon, qui est, lui, « le plus grands des « causeurs » (J. Savant, Les Ministres de Napoléon, Hachette, 1959, p. 238).
Si Molé est apprécié par l’Empereur, il n’en est pas de même pour ses subordonnés, qui détestent sa morgue et le ton cassant qu’il croyait devoir adopter pour leur parler.
Certes Molé avait une très grande capacité de travail mais celle-ci ne pouvait suppléer son ignorance des techniques des Ponts-et-Chaussées et son
ignorance administrative. Sur 17 rapports qu’il a présentés à Montalivet, son ministre de tutelle, celui-ci lui en a retourné huit !
Il était sincèrement convaincu de l’invincibilité de Napoléon. Le 4 mars 1813, chargé de présenter le budget au Corps législatif, il fait de l’Empereur un éloge dithyrambique qui apparaît déplacé après le désastre de Russie : « Si un homme du siècle des Médicis ou du siècle de Louis XIV revenait sur la Terre et qu’à la vue de tant de merveilles, il demandait combien de règnes il avait fallu pour les produire, vous lui répondriez messieurs :  « il a suffi de douze années de guerre et d’un seul
homme ! ».
Nommé ministre de la Justice, à titre provisoire, le 13 juin 1813, Molé succède officiellement à Régnier, le 20 novembre de cette même année. Or, ce choix était contestable dans la mesure où Molé n’était pas un juriste (il était difficile de remplacer Régnier (ou Cambacérès) par un non juriste).

En 1814, il suit l’Impératrice à Blois et reste courageusement à ses côtés jusqu’à ce que Napoléon le relève de son serment

En 1815, il est à Paris, le 20 mars, jour de l’arrivée de Napoléon. « Celui-ci espère revoir l’ami et le confident, peut-être même le favori. Or, il découvre avec tristesse un autre Molé, prudent et pusillanime. L’Empereur lui offre successivement le portefeuille des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur ; prétextant sa mauvaise santé, Molé refuse l’un et l’autre. Sur quoi, Napoléon lui dit sèchement : « Eh bien ! vous retournerez à vos Ponts-et-Chaussées ! ». Le refus de Molé résume à lui seul la défection des grands notables, ces masses de granit conservatrices qui assuraient son emprise sur la société. Napoléon saisit alors combien la défaite de 1814 a entamé son crédit. Si Molé l’abandonne, qui le suivra ? Le doute qu’il surprend dans son regard lui révèle son étoile pâlissante et lui fait entrevoir le vertige de la chute » (Dominique de Villepin, Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice, Perrin 2001, p. 212-213).
Henry Houssaye résume bien la triste situation : « Napoléon avait dit : « L’Empire, c’est la Révolution ». Il avait dit aussi : « L’Empire, c’est la paix ». Il répugnait à refaire la Révolution et il ne pouvait maintenir la paix. Ceux qui s’étaient déclarés pour lui avec le plus d’élan se trouvaient ainsi déçus dans leurs espérances tandis que la foule immense des indifférents se voyait menacée dans
son repos et dans ses intérêts » (p. 321). Nommé pair le 2 juin 1815, Molé s’abstient de siéger à la chambre haute et part faire « une cure diplomatique » à Plombières. Miraculeusement guéri, il regagne Paris immédiatement après Waterloo, ayant eu soin de faire parvenir à Louis XVIII l’assurance de son « inaltérable fidélité ».
Selon Benoît Yvert (Dictionnaire Napoléon, p. 1183) : « Peu d’hommes ont été aussi détestés que Molé. La majeure partie du haut personnel gouvernemental haïssait le jeune fat qui devait sa fulgurante ascension à l’affection impériale… ». L’ambition forcenée de Molé (il servit avec « dévouement » Napoléon, Louis XIII et Louis-Philippe) s’explique par la lourde hérédité familiale qui pesait sur lui. Il avait le désir de surpasser son ancêtre. Objectif qui répondait au besoin de combler un énorme vide affectif. Privé de son père, mal aimé par sa mère, déçu en amour par un mariage malheureux (en 1808, avec Charlotte Joséphine de La Live de La Briche, fille fortunée d’une famille d’anciens fermiers généraux, dont deux filles : Adélaïde- Christine 1810-1872, et Elisabeth-Françoise (1812-1832, morte, à vingt ans, du choléra), Molé, homme profondément aigri, a eu, en outre, une santé déplorable…

Sa carrière après les Cent-Jours

Ministre de la Marine (1817-1818), des Affaires étrangères (1836- 1839), député à la Constituante (1848), président du comité de l’Enseignement libre (1850). Enfin, il n’approuve pas le coup d’État de 1851 du prince Louis-Napoléon Bonaparte. Il meurt à son château à Épinay-Champlâtreux (Val d’Oise) le 24 novembre 1855, à 74 ans (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 380) (2) (3).

Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°459
Juillet-août 2005
pp. 49-50

Notes

(1) En en ce qui concerne les Juifs, le projet de loi de 1802, relatif à l’exercice des ultes, ne prévoyait aucune réglementation.Toutefois, devant le Corps Législatif, Portalis avait rappelé le respect dû à l’éternité de ce peuple « qui est parvenu jusqu’à nous à travers les révolutions et les débris des siècles et qui, pour tout ce qui concerne son sacerdoce et son culte, regarde comme un de ses grands privilèges de n’avoir d’autres privilèges, de n’avoir que Dieu même comme législateur ». Par la suite, Napoléon annonça la convocation d’un « Grand Sanhédrin » (assemblée qui s’était réunie à Jérusalem avant l’ère chrétienne). Le Sanhédrin se réunit à Paris, en février 1807 et discuta de l’organisation du culte juif dans l’Empire. Après un an de négociation, deux décrets n° 3237 et 3238 du 17 mars 1808 (Bulletin des Lois n° 187) organisaient le culte juif et les communautés juives de l’Empire. Les textes présentaient beaucoup d’analogies avec les Articles organiques des cultes catholique et protestant. Mais, à la différence des prêtres catholiques et des pasteurs protestants, les rabins n’étaient pas rémunérés par l’État.
Enfin, un décret n° 3589 du 30 juillet 1808 (Bulletin des Lois n° 198) obligea tous les Juifs de l’Empire à déclarer leurs noms à la mairie de leur résidence. Ils pouvaient soit déclarer le nom qu’ils portaient, soit en adopter un autre (pour plus de détails, voir la rubrique Juifs, par Jacques Godechot, Dictionnaire Napoléon, p. 936).
(2) Molé avait eu une vie sentimentale compliquée. Mal assorti avec son épouse, il eut de nombreuses maîtresses : on peut citer : sa cousine Marie-Félicité d’Aguesseau, la comtesse de Ségur, Mme de Marmier, Mme de Girardin, Mme Prosper de Barante, Nathalie de Noailles, la comtesse de Cordelia de Castellane (JP Tarin, tome 1, p. 267).
(3) Sources. Michaud, Bibliographie universelle, tome 28, p. 536 ; Thierry Lentz, Dictionnaire des ministres de Napoléon, Christian/JAS, 1999 ; Editions Atlas. La glorieuse épopée de Napoléon, La France sous l’Empire, juillet 2004, p. 26 ; Jean-Pierre Tarin, Les notabilités du Ier Empire, leurs résidences en Ile-de-France, C; Terana, 2002, tome 1, p. 266.

Partager