MOUTON Georges, comte (1770-1838), général

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Le 9e des 14 enfants de Joseph Mouton

Celui dont Napoléon disait « Mon Moutonest un lion », et sera général de division et comte de Lobau sous l'Empire, maréchal et pair de France sous la Monarchie de Juillet, est né à Phalsbourg (Moselle), le 21 juin 1770 (voir Guide Napoléon, p. 231 : sa maison natale est à l'angle des rues Lobau et Erkmann). Il était le 9e des 14 enfants de Joseph Mouton (« bourgeois et maître boulanger » à Phalsbourg, d'une famille d'origine savoyarde installée en Lorraine à la fin du XVIIe siècle) et de Catherine Charpentier.
 
En 1790, son père le place comme commis aux écritures chez un marchand de fer, à Lunéville. Volontaire au 9e bataillon de la Meurthe, le 1er août 1792, il reçoit le baptême du feu devant Trèves, sous les ordres de Beurnonville. En quatre mois, grâce au système d'élection et de nomination aux grades d'officiers adopté par la Révolution, il accède rapidement aux premiers échelons de la hiérarchie militaire jusqu'au grade de capitaine (5 novembre 1792). En 1793, sa demi-brigade passe à l'armée des Vosges, bientôt fondue dans celle du Rhin, où le général Meynier (1749-1813, voir G. Six, t. 2, p. 194) se l'attache comme aide de camp. Il est alors « excellent républicain, aimant son pays et d'une conduite sage ».

Au début de l’année 1796, il suit le général Meynier à l’armée d’Italie

Affecté à la 60e demi-brigade, il participe aux opérations autour de la forteresse de Mantoue. En mai 1797, Joubert le prend comme aide de camp. En tant que chef de la 99e demi-brigade, il est affecté à l'armée de Rome où, chargé du commandement du château Saint-Ange, il se lie avec le futur cardinal Consalvi. De décembre 1799 à avril 1800, il ne cesse de se battre pour la défense de Gênes, il est gravement blessé, par deux fois, et rapatrié en France. Soult écrit de lui à Bonaparte : « Il n'est pas possible d'être plus brave ».
 
En 1801, il est employé à l'armée du Midi, nommé colonel du 3e de ligne, à Bayonne ; il est ensuite affecté aux camps de Saint-Omer et d'Ambleteuse (mars 1804). À Saint-Omer, Bonaparte, qui a remarqué la bonne tenue de son régiment, lui propose d'entrer à son service, comme aide de camp. Tout d'abord, il refuse (il n'avait pas approuvé la « mascarade » du sacre et il estimait : « Je ne suis pas fait pour les honneurs de palais et ils ne sont pas faits pour moi »). Mais, après sa nomination comme général de brigade (février 1805), il accepte finalement la fonction d'aide de camp (6 mars 1805). Napoléon considère que « Mouton est le meilleur colonel qui ait jamais commandé un régiment de Français ».

« Mon Mouton est un lion ».

Au plan physique, il était d'une taille élevée (1,80 m), un peu raide, les épaules larges, « les traits d'un robuste grenadier », un nez assez épaté, le teint mat, les cheveux noirs portés longs sous la Révolution, plus courts par la suite, les yeux gris.
Comme aide de camp de Napoléon (il le restera jusqu'à la fin de l'Empire), il se montre « toujours franc et direct (celui-là n'est pas un flatteur » dira l'Empereur à Caulaincourt) mais également discipliné et loyal, organisateur remarquable, méticuleux, connaissant sur le bout des doigts les rôles d'officiers, impartial et bon juge des hommes » (Emmanuel de Waresquiel). Il est à Austerlitz avec l'Empereur et sera chargé de préparer les campagnes de 1808 (Espagne), 1812 (Russie), 1813 (Allemagne) et 1815 (Belgique).
 
À Austerlitz, alors que les maréchaux assurent l'Empereur que les soldats iraient jusqu'en Chine, Mouton intervient sévèrement : « Vous vous trompez et vous trompez Sa Majesté. Les acclamations des soldats adressées à l'Empereur c'est pour dire qu'ils réclament la paix à celui qui seul peut la donner. Ma conscience m'oblige à dire que l'armée n'en peut plus. Elle continuera d'obéir mais à contrecoeur… ».
Ensuite, il participe aux campagnes de Prusse et de Pologne (Iéna, Pultusk, Eylau (8 février 1807), Friedland (14 juin 1807, où il est blessé) et il est promu général de division (5 octobre 1807). Le 6 décembre 1807, Napoléon le désigne pour organiser à Saint-Jean-Pied-de-Port, une division dite « d'observation des Pyrénées occidentales », en vue de l'intervention française en Espagne. De janvier à mars 1808, il se rend à Vitoria, puis à Valladolid, pour inspecter les corps d'armée de la future armée d'Espagne. Puis, à Bayonne, il organise une division d'élite, avec laquelle il se distingue à Rio del Saco, Burgos et Santander. Le 1er décembre 1808, il est remplacé par le général Pierre Merle (1766-1830, Six, t. 2, p. 181) et il revient à Paris, avec l'Empereur. Il participe ensuite à la campagne d'Autriche.

Ses actions brillantes à Landshut (où le 21 avril 1809, à la tête des grenadiers du 17e de ligne, il traverse un pont en flammes, ce qui permettra la victoire d'Eckmühl) et à Essling, devant l'île de Lobau, lui vaudront le titre de comte de l'Empire (28 mai 1809) et de comte de Lobau, avec majorat (19 septembre 1810), « en souvenir du dévouement avec lequel, à la tête des fusiliers de notre garde, il reprit le village d'Essling, repoussa sept fois les grenadiers de l'armée ennemie et contribua ainsi à garantir l'île de Lobau et assurer la victoire de nos armées ». Ce jour-là, Napoléon dit à Mouton : « Sans Masséna, vous auriez mérité de nom d'Essling » et à son entourage : « Mon Mouton est un lion ».
 
De plus en plus proche de l'Empereur, le nouveau comte de Lobau se voit confier jusqu'en 1812 une partie importante du travail sur le personnel des armées (1). En 1811, il refuse même de remplacer Clarke comme ministre de la Guerre (c'est sans doute pour cela que Clarke ne l'aimait pas).

Un mariage d’amour

C'est également au cours de cet intermède entre deux campagnes que le comte de Lobau épouse Félicité d'Aarberg de Valengin et du Saint Empire (1790-1860), fille de Nicolas Antoine d'Aarberg (1732-1813), feld-maréchal, gouverneur de Mons et grand bailli du Hainaut et de Françoise de Stolberg-Gedern (1736- 1836), d'une famille apparentée aux plus grandes Maisons d'Allemagne, dame d'honneur et surintendante de la Maison de l'Impératrice Joséphine (Almanach impérial, 1810, p. 79). La jeune fille est jeune et jolie, elle a dix-huit ans, elle est « charmante, douce, de beaux yeux, brune », selon Boni de Castellane (2) (3). Le mariage est célébré, le 27 novembre 1809, à minuit, dans la chapelle des Tuileries. Napoléon, Joséphine et le roi Jérôme sont les témoins. La liste des cadeaux est prestigieuse : un anneau d'or donné par Alexandre Ier de Russie, une parure d'or donnée par Charles IV d'Espagne, une rivière de diamants ainsi que le château et la terre de La Mothe Sainte-Héraye, près de Niort (voir Guide Napoléon, p. 396) donnés par Napoléon.
Ce mariage avait été voulu et arrangé par l'Empereur, « qui aimait que ses aides de camp épousassent de riches et nobles héritières ». Dans le cas de Mouton (comme pour Bertrand), ce sera un mariage d'amour réussi.

Un homme de biens

Par la suite, le comte de Lobau bénéficiera de nombreuses donations accordées par Napoléon: 32 000 francs de rente annuelle sur le duché de Varsovie (30 juin 1807), 5 900 francs sur le Grand Livre (23 octobre 1807), 100 000 francs sur la Caisse d'Amortissement pour acheter un hôtel particulier à Paris ; une rente de40000 francs en Westphalie, une autre de 15000 francs sur le Hanovre (10 mars 1808)… C'était « la gloire, l'honneur et l'argent » ! (4).

Avec les 100 000 francs donnés par Napoléon, le comte de Lobau achète, le 30 mars 1810, l'hôtel de Bentheim, 96, rue de Lille (Paris, 7e), à l'angle des rues de Lille et de Bourgogne, pour 342 000 francs. Il le restaure et le met au goût du jour, en y ajoutant un portique à colonnes du côté de la cour (5). Il faut également retenir la grande amitié qui liait le comte de Lobau et le grand maréchal Bertrand. Dans une lettre du 17 avril 1813, Bertrand écrit : « Les amis ont été rares dans tous les temps. J'en ai un petit nombre auquel je suis sincèrement attaché et particulièrement à Mouton, aussi droit, loyal et galant homme qu'on puisse l'être, celui-là n'était pas né pour la cour et cependant il n'y est pas déplacé, parce qu'avec du bon sens et le coeur droit on ne l'est nulle part » (6).

Au cours de la campagne de Russie,

le comte de Lobau est nommé aide-major général de l'infanterie (12 août 1812) et participe à la prise de Smolensk (17 août 1812). À cette époque, il désapprouve ouvertement, comme il le fera plus tard à Moscou, les plans de marche et de campagne de Napoléon. Cet esprit d'indépendance ne l'empêchera pas, le 5 décembre 1812, d'être choisi parmi ceux qui auront le privilège d'accompagner l'Empereur lors de son retour en France (Smorgoni, 6 décembre 1812 : Caulaincourt, Duroc, Lobau, Fain et Yvan). Ensuite, il participe activement à la formation de l'armée destinée à faire la campagne de Saxe de 1813. C'est le travail de la guerre, les questions posées par l'Empereur sont pressantes, obsédantes : Y en a-t-il d'autres dans l'armée ? Il faudrait faire de bons choix (Correspondance générale, Au comte de Lobau, 24 juillet 1813).

Comme l'écrit Mouton, les journées se passent « à brouiller du papier ». Napoléon oublie souvent son titre de comte de Lobau. Il l'appelle « Monsieur Mouton » ou « Monsieur Macon », ce qui agace l'interessé.

Le 3 avril 1813, il est fait grand-croix de l'ordre de la Réunion et Napoléon lui remet son propre grand cordon de cet ordre (voir Lettre à Félicité du 4 avril 1813, in Lettres d'un Lion,p. 110). À cette époque Félicité réussit à se faire admettre dans la suite de l'Impératrice Marie- Louise, qui se rend à Mayence. Elle arrive et Mouton est plein de joie. Mais la rencontre sera courte : en effet, dès le lendemain, Mouton doit partir, pour accompagner l'Empereur (voir Lettres d'un Lion, pp. 101-102). Il sert à Lutzen (2 mai), il est aide-major général de la Garde impériale (29 juillet), commandant le 1er corps, en remplacement de Vandamme, prisonnier (3 septembre 1813). Attaché à la défense de Dresde, sous Gouvion Saint-Cyr, il propose de rallier les garnisons de Torgau et de Magdebourg et de rejoindre l'Empereur sur le Rhin. Mais le maréchal Gouvion Saint-Cyr refuse (leurs rapports sont tendus). Prisonnier de guerre à la suite de la capitulation de Dresde (11 novembre 1813), le comte de Lobau est envoyé en Bohème (Hongrie). Il ne rentre en France qu'en juin 1814, après être passé par Vienne et avoir rendu visite, à Schönbrunn, au Roi de Rome, qui se serait écrié : « Voilà des officiers de papa !» (Lettres d'un Lion, p. 170).

Résistance

En France, il est fait chevalier de Saint-Louis (8 juillet) et mis en non-activité (2 septembre 1814). Il résiste vigoureusement à la séduction des Bourbons.
Lors du retour de l'île d'Elbe, il reprend, à Paris, ses fonctions d'aide de camp de l'Empereur (20mars 1815), il reçoit le commandement de la 1re division militaire, à Paris (il contrôle le choix des officiers pour les corps transitant par la capitale), puis du 6e corps d'armée du Nord. Il est pair de France (2 juin). Il sert à Ligny (16 juin 1815); à Waterloo, il est à l'aile droite (6e corps), à Plancenoit, contre les Prussiens de Bulow. Avec Duhesme, il se défend pied à pied, jusqu'à 8heures du soir, faisant l'admiration des Prussiens. Lors de la déroute, il perd son état-major, retrouve l'Empereur et tente, aux Quatre-Bras, d'organiser une arrière-garde, avec le général Neigre (1774-1847, G. Six, t. 2, p.251). C'est en pressant des traînards, vers Charleroi, qu'il est fait prisonnier par des cavaliers prussiens, à Gassiliers, le 19 juin 1815, à 9 heures du matin (il est pris sous son cheval, tombé en franchissant un fossé).

Remis aux Anglais, il est envoyé en Angleterre, au camp d'Ashburton. Là, il rencontre Cambronne. Il le félicite pour sa phrase prononcée à Waterloo (« La Garde meurt et ne se rend pas »). Cambronne répond : « Je suis bien fâché, je n'ai pas dit ce qu'on m'attribue ; j'ai répondu autre chose… et non ce qu'on rapporte» (Lettres d'un Lion, p. 178).

Le comte de Lobau est proscrit par l'ordonnance du 24 juillet 1815. Réfugié en Belgique, il est autorisé à rentrer en France, en décembre 1818. Du 21 avril 1828 à décembre 1830, il est élu député de l'opposition libérale par le 2e arrondissement de la Meurthe (Lunéville).

La Monarchie de Juillet le couvre d'honneurs : grand-croix de la Légion d'honneur (19 août 1830), ambassadeur extraordinaire à Berlin (septembre 1830), commandant en chef des gardes nationales de la Seine après la démission de Lafayette (26 décembre 1830), maréchal de France (30 juillet 1831), pair de France (pour la deuxième fois : 27 juin 1833). Sa femme, Félicité, devient dame du palais de la reine Marie- Amélie.

Un trait d’humanité le concernant :

le 5 mai 1831, des manifestants mi-républicains, mi-bonapartistes se rassemblent place Vendôme, autour de la colonne. Au lieu de les faire charger, comme de coutume, le comte de Lobau, commandant de la garde nationale, décide de les faire arroser à l'aide des pompes municipales. Mouton avait trouvé le moyen de disperser les manifestations par de l'eau… Les caricaturistes de l'époque ne le ménagent pas (cf. Lettres d'un Lion, pp. 30-31).

Mort et postérité

Le comte de Lobau meurt le 27 novembre 1838, à l'âge de 69 ans, dans son logement de fonction, au palais du Louvre (aile de Rohan, place du Carrousel). Il est inhumé le 11 décembre 1838, dans le caveau des gouverneurs de la Crypte des Invalides, entre Bessières et Lariboisère (Le Guide Napoléon, p. 324). Le 17 juin 1839, le comte Philippe de Ségur prononce son éloge à la Chambre des pairs (Le Moniteur, 18 juin 1839, p. 1604

De son union avec Félicité d'Aarberg (1790- 1860), Georges Mouton, comte de Lobau, avait eu trois filles :
– Louise-Napoléone Mouton (1811-1886), mariée le 26 février 1830, à Louis Félix Étienne marquis Turgot, pair de France et sénateur du Second Empire ;
– Caroline Françoise Mouton (1817-1891), mariée à Casimir Charles Just, baron Roslin d'Ivry, officier de cavalerie ;
– Adolphine Mouton (1818-1906), mariée le 15 janvier 1842 à Marie-Maurice Claude Thomas, marquis de Pange (voir Guide Napoléon, p. 231) ; avec de nombreux descendants.

Le père faisait à ses filles une fortune d'au moins deux millions de francs.
À Phalsbourg, sur la place d'Armes, la majestueuse statue de Mouton, oeuvre de Jaley, a été inaugurée, le 25 juin 1859, par le maréchal Canrobert (Guide Napoléon, p. 231). Une autre statue se trouve dans l'allée des généraux, à la citadelle de Verdun (Guide Napoléon, p. 223).

Philippe de Ségur a dit de Mouton : « C'était un homme d'un sens droit, d'un esprit grave, d'un coeur franc, ferme et soutenu, invariable comme le devoir, sans emportement dans la gloire, sans trouble dans le malheur, sans hésitation dans le danger ».

Le nom du maréchal Mouton, comte de Lobau, est inscrit au côté Est de l'Arc de Triomphe de l'Étoile (7).


Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien n°463
Février-mars 2006
pp. 67-68

Notes :

(1) Selon Las Cases (Mémorial de Sainte-Hélène,éd. 1968, pp. 404-405), l'Empereur confiait le travail du personnel de la guerre à l'un de ses aides de camp de prédilection. Duroc a joui longtemps de cette confiance, puis Bertrand et Lauriston. Le comte de Lobau a été le dernier.
(2) On racontait, dans sa famille, que voyant Mouton, pour la première fois la veille de son mariage, la future et très jeune femme avait pris peur et était allée se cacher sous une table.
(3) À la demande de Napoléon, elle conservera ces fonctions après le divorce impérial.
(4) Voir Emmanuel de Waresquiel, Lettres d'un Lion, correspondance inédite du général Mouton, comte de Lobau, 1812-1815 (Nouveau Monde Éditions / Fondation Napoléon, 2005).
(5) Par la suite, l'hôtel dont il s'agit sera exproprié et démoli en 1864, lors du percement du boulevard Saint- Germain. L'hôtel se situait à l'emplacement des nos 286- 288 du boulevard Saint-Germain.
(6) Général Bertrand, Lettres à Fanny, annotées et présentées par Suzanne de la Vaissière Orfila, Albin Michel, 1979, p. 192.
(7) Autres sources : Michaud, Biographie universelle, tome XXV, p. 2 ; Dictionnaire Napoléon, p. 1204, notice Mouton, par Emmanuel de Waresquiel ; RSN n° 380, décembre 1991, p. 11 : « Le général Mouton, comte de Lobau », par Jacques Juillet ; Georges Six, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la Révolution et de l'Empire, tome II, p. 237 ; A. Révérend, Armorial du Premier empire, tome III, p. 297 ; Jean-Pierre Tarin, Les notabilités du Premier Empire, leurs résidences en Île-de- France, C. Terana, éditeur, 2002, tome 1, p. 465; Laurent Goergler, Georges Mouton : comte de Lobau, aide de camp de l'Empereur, maréchal de France, 1770-1838, Drulingen, impr. Scheuer, 1998, 204 p.

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