I – Portrait de Napoléon III
Président de la République à 40 ans, souverain à 44 ans, c’est un homme mûr qui s’installa aux Tuileries. Il y rétablit très naturellement l’étiquette impériale, fit passer la liste civile de 12 à 25 millions. Né prince, élevé dans le culte de son rang, il ne pouvait concevoir autrement sa présence en ces lieux. Napoléon III doit d’abord être approché au travers de cet aspect de sa personnalité que ne gomma pas son passé d’aventurier et de conspirateur. Il ne fut jamais « notre ami l’Empereur », mais garda toujours une distance entre ses sujets et lui.
Jamais Napoléon III n’oublia qu’il était empereur. On a souvent rappelé son attitude dans les minutes qui suivirent l’attentat d’Orsini. Un policier lui ayant ouvert la porte de son carrosse, juste après l’explosion de la machine infernale, le monarque eut comme première réaction de lui faire remarquer qu’il n’avait pas mis le marchepied. Ce trait constant de Napoléon III, convaincu de la mission de sa race et de la supériorité de son rang, est à rapprocher des barrières qu’il dressa entre lui et les simples mortels dans l’exercice de son métier (protocole et étiquette stricts, accès difficile à l’empereur, etc.) et au lustre qu’il donna aux manifestations extérieures de son règne (défilés militaires, sorties de la cour à Compiègne, etc.). Ce comportement est semblable à celui de Louis-Philippe qui ne fut « roi bourgeois » que par nécessité politique. Au fond de lui, il resta toujours un Orléans, prince de sang richissime, imbu de cérémonial et de préséances.
Napoléon III croyait à sa mission historique. Il se décrivait lui-même comme un de ces hommes « qui naissent pour servir de moyen à la marche du genre humain ». Au physique, l’homme n’était pourtant pas majestueux, ainsi que le montrent les photographies d’époque. Un auteur anglais, Katherine John, a écrit de lui : « Physiquement, le nouveau Napoléon était surtout remarquable par son insignifiance. Nul ne pouvait ressembler moins que lui à un héros populaire. » Plutôt petit, le bas du corps mal proportionné, « le buste trop court pour cette tête à caractère » (S. Tascher de la Pagerie), il parlait d’une voix douce teintée d’un léger accent germanique. Il gardait le plus souvent les yeux mi-clos, comme pour cacher son regard et ses sentiments, se tortillant les doigts, roulant sans cesse sa moustache ou fumant cigarette sur cigarette. Excellent cavalier, il montait ses nombreux chevaux avec allure et c’est dans ce cas seulement que sa physionomie pouvait, à la rigueur, impressionner.
En dépit de cette apparence physique peu flatteuse, Napoléon III était un séducteur. Un contemporain le décrivit comme un « prince aux quarante ans agrémentés d’élégance aisée et de mélancolique séduction ». Sa courtoisie, la richesse de sa conversation (même rare) et son regard « d’émail bleu grisâtre », « noyé de brume », ne laissaient pas indifférents ceux — et celles — qui l’approchaient. Ce charme joua tout au long de sa vie et lui fut utile autant en politique que pour ses nombreuses conquêtes féminines. Car, bien plus que son oncle qui « expédiait » ses rendez-vous amoureux, Napoléon III conserva, au moins jusqu’au tournant des années 1850, un appétit intact et une grande disponibilité pour les exercices galants. Il ne se sépara qu’à regret, et pour des raisons de politique dynastique — il allait épouser Eugénie —, de Miss Howard. Plus tard, la comtesse de Castiglione mit tout son charme au service de la cause italienne. Contrairement à ce qui se passa sous le Premier Empire, les femmes de la vie de Napoléon III eurent un rôle politique et une influence sur le chef de l’Etat.
De sa jeunesse de conspirateur, en plus d’un sens stratégique et tactique aiguisé, l’Empereur garda toujours un goût pour la dissimulation et le secret. En cela, il suivait à la lettre le conseil que lui avait donné la reine Hortense : « Ne vous montrez ouvertement qu’à l’heure opportune. » C’est ce qu’il fit le plus souvent. Sa vie durant, il fut l’homme des coups de théâtre, mûrissant lentement ses décisions, cachant la progression de sa réflexion à ses proches, adoptant une solution avant de l’imposer avec fulgurance. Il n’est, pour illustrer cette méthode, qu’à se rappeler son comportement dans les mois qui précédèrent le coup d’Etat ou la façon dont il imposa les réformes libérales à ses ministres, sans leur avoir parlé de ses projets, ou encore la part que prit la diplomatie secrète dans la politique italienne de la France. Impassible, il parlait avec parcimonie (« Il a une puissance de silence inouïe » disait de lui le prince Napoléon, alors que Zola l’appelait « le Sphynx »). Il était doué d’un grand sang-froid (qu’il ne perdit qu’une seule fois, à Boulogne, lorsqu’il ouvrit le feu sur ceux qui l’empêchaient de prendre le contrôle du 42e de ligne). « Ses manières acquises en exil étaient aussi peu françaises que possible », ironise K. John. Sans avoir lu les stratèges chinois, il possédait naturellement leur art. Dans l’action, il pouvait être implacable. Le 2 décembre et ses suites en sont la preuve, même si on peut penser que Louis-Napoléon ne fut pas informé de tout par Morny et Maupas.
Pourtant, cet homme courageux (il le montra sur les champs de bataille) et entêté semble avoir toujours voulu éviter la vraie fermeté. Emile Ollivier disait de lui qu’il était « l’entêtement dans l’indécision ». Il préférait contourner les obstacles, refusait les conflits ouverts. Sur la fin de son règne, las et souffrant du mal qui allait l’emporter, il céda parfois à de mauvais conseils, faute de vouloir y résister.
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L’Empereur était un homme bon, pardonnant les injures, fidèle en amitié. On cite souvent en exemple le prince-président se faisant donner quotidiennement (et discrètement) des nouvelles de l’agonie de Balzac dont il avait lu les œuvres à Ham. On pourrait multiplier les exemples allant du réel malaise qu’il ressentit à la vue du sang et des cadavres lors des batailles de la campagne d’Italie (répulsion que Napoléon Ier n’eut pratiquement jamais) à la générosité dont il fit preuve à l’égard des indigents qui le sollicitaient.
Tous les contemporains ont reconnu les capacités intellectuelles de Napoléon III. L’homme était cultivé, parlait plusieurs langues, était doté d’une grande curiosité (il promut, par exemple, d’importantes recherches sur la guerre des Gaules et publia un ouvrage sur Jules César). Thiers s’est lourdement trompé en 1848, lorsqu’il a cru pouvoir mener le « crétin ». Hugo nous a trompé dans ses œuvres en présentant comme un petit souverain, le pauvre « Badinguet » (surnom donné à Louis-Napoléon à la suite de son évasion du fort de Ham sous le déguisement d’un ouvrier portant, dit-on, ce patronyme trop ridicule pour être vrai). Napoléon III avait étudié (et médité) les matières au programme en son temps. Il y avait ajouté les théories économiques et sociales. Il était sans doute un peu idéaliste et put être dérouté par les limites du pouvoir d’Etat, même absolu. C’est sans doute pour cela que des témoins, comme madame Cornu, crurent déceler dans son comportement et ses propos la preuve de l’ennui qui l’étreignait dans l’exercice quotidien de son métier d’empereur. Ceci pourrait aussi expliquer la constance avec laquelle il tenta d’entraîner son peuple (expositions universelles, foires industrielles, défilés, etc.) et sa cour dans une vingtaine d’années de festivités quasi ininterrompues.
Quant aux idées politiques de Napoléon III, il est bien malaisé de les résumer. Il fut d’abord un pragmatique qui se laissait guider par la haute idée de sa personne et de sa mission, les nécessités du moment, mais aussi, sans doute, ses sentiments et son imagination. C’est pourquoi on ne peut nier tout fondement à la fameuse citation (sans doute apocryphe) attribuée à l’Empereur : « Quel gouvernement que le mien. L’impératrice est légitimiste ; Morny est orléaniste ; Napoléon-Jérôme est républicain ; je suis moi-même socialiste. Il n’y a de bonapartiste que Persigny, mais il est fou. » Napoléon III, sans être le moins du monde un authentique socialiste, fut à l’image du bonapartisme de son époque, divers mais fédérateur, à la fois partisan convaincu de l’ordre et expérimentateur de réformes sociales, se disant démocrate mais pratiquant sans complexe le pouvoir absolu. Il fut à la fois un homme de 1789 (parce qu’il avait à cœur l’égalité civile et la souveraineté « populaire ») et « un homme du XXe siècle » (parce qu’il réalisa, contre l’avis de son entourage le plus conservateur, qu’il fallait, dans une économie libérale en pleine expansion, penser autrement la législation sociale et l’intervention de l’Etat). Comme l’a écrit Adrien Dansette, le second empereur ne parvint jamais à faire « la synthèse de ses inspirations hétérogènes ».
II – Le système dynastique
Depuis 1775, seul Louis XVIII avait pu transmettre le pouvoir à son successeur constitutionnel. Aucun souverain, de Louis XVI à Louis-Philippe, en passant par Napoléon et Charles X, n’avait pu mourir en voyant son héritier légal prêt à monter sur le trône. Ce constat, Napoléon III l’avait fait avant décembre 1852. Une de ses priorités, une fois l’Empire rétabli fut de choisir une impératrice pour affermir l’institution impériale.
1 L’hérédité impériale. — En 1852, l’Empire ne fut pas « instauré ». Il fut « rétabli », selon les termes du sénatus-consulte du 7 novembre 1852. Louis-Napoléon marqua cette continuité de la dynastie en optant pour le nom de Napoléon III, façon pour lui d’entériner le court règne de Napoléon II, proclamé empereur par les chambres mais jamais reconnu hors de France. Selon le mot de Pierre de La Gorce, le nouvel empereur voulait marquer qu’il possédait, par ses origines et la suite des Napoléon, « une sorte de vocation à régner ». Pour l’Empereur, ce choix était aussi une façon de reconnaître l’existence des régimes qui l’avaient précédé. En devenant Napoléon III, il refusait de commettre la même erreur que Louis XVIII qui, revenant d’exil « déclara nul et non avenu tout ce qui s’était fait en son absence ». Il reconnaissait explicitement qu’après 1815, la dynastie des Bonaparte avait cessé de régner, rejetant ainsi les règnes fictifs des rois Joseph et Louis, successeurs de l’Aiglon selon la constitution de l’an VIII : « Non seulement je reconnais les gouvernements qui m’ont précédé, mais j’hérite, en quelque sorte, de ce qu’ils ont fait de bien ou de mal (…). Mais plus j’accepte tout ce que, depuis cinquante ans, l’histoire nous transmet, moins il m’est permis de passer sous silence le règne glorieux du chef de ma famille et le titre régulier, quoique éphémère de son fils, que les chambres proclamèrent dans le dernier élan du patriotisme vaincu. »
La Constitution tirait toutes les conséquences de la « vocation à régner » des Bonaparte, notamment en matière de succession : la dignité impériale était déclarée héréditaire, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture dans la descendance de l’empereur. Si celui-ci n’avait pas d’enfant, il pourrait en adopter, dans la ligne masculine des frères de Napoléon Ier. Cependant, le monarque pourrait annoncer au Sénat, à tout moment, quel devait être l’ordre de succession. En décembre 1852, Napoléon III fit savoir que Jérôme et les descendants de son mariage avec Caroline de Wurtemberg (et non de son autre mariage avec une Américaine) seraient ses successeurs s’il disparaissait sans avoir eu de fils. Tel ne fut pas son destin.
2 L’Impératrice et le prince impérial. — Dès 1848, le problème du mariage du prince-président fut un sujet politique (et de salon). Louis-Napoléon s’en préoccupa, non sans poursuivre sa vie de célibataire. Une fois la marche vers l’Empire engagée, il se tourna vers les familles régnantes en Europe pour obtenir la main d’une princesse digne de monter un jour sur le trône de France. Il essuya plusieurs refus car les vieilles monarchies répugnaient encore à donner une princesse royale à un Bonaparte. Par ailleurs, la persistance de sa liaison avec Miss Howard n’arrangeait pas les choses.
En matière matrimoniale comme en tout autre, Louis-Napoléon agit en secret et, le moment venu, surprit son monde. Il fixa son choix sur Eugénie de Montijo, comtesse de Teba, jeune, fière, riche et belle Espagnole qui avait contre elle de ne rien apporter au pays sur le plan diplomatique. Malgré l’opposition des politiques, le nouvel empereur annonça que son choix était fait. Devant les corps constitués et autant à destination du peuple de France que des cours européennes, il justifia son choix avec panache : « Ce n’est pas en vieillissant son blason qu’on se fait accepter, c’est plutôt en se souvenant toujours de ses origines (…) et en prenant franchement vis-à-vis de l’Europe la position de parvenu, titre glorieux lorsqu’on parvient par le libre suffrage d’un grand peuple. » Le mariage fut célébré les 29 et 30 janvier 1853. Eugénie était « aussi bouillante que son mari était impassible ». Conservatrice et catholique fervente (ce qui n’empêcha pas Hugo, qui n’était pas à cela près, d’écrire que « l’aigle (avait) épousé une cocotte »), elle se jeta avec foi dans le combat politique lorsque la santé de son époux commença à décliner. Le prince impérial naquit le 16 mars 1856, pendant le congrès de Paris qui rendait à la France son rôle en Europe.
3 La famille. — La famille Bonaparte joua un rôle non négligeable sous le Second Empire. Tout ce qui descendait des frères et sœurs de Napoléon I » fut choyé et doté. Les Murat furent envoyés au Corps législatif ou au Sénat. Bacciochi (branche d’Elisa) fut le chambellan fidèle de l’Empereur. Walewski, fils naturel de Napoléon I », fut ambassadeur, ministre des Affaires étrangères (1855-1860), ministre d’Etat (1860-1863) et président du Corps législatif (1865-1867). Morny, le demi-frère, esprit brillant et ami sûr, fut le conseiller le plus écouté, jusqu’à sa mort, en 1865. Il fut ministre de l’Intérieur jusqu’en janvier 1852 et démissionna pour protester contre la nationalisation des biens des Orléans. Il rentra en grâce, en 1854, pour devenir président du Corps législatif.
Entre tous, Jérôme, l’ex-roi de Westphalie, et son fils, le prince Napoléon-Jérôme, furent distingués. Ils constituaient la « famille impériale » au sens propre, les autres branches ne formant que la « famille civile ». Le dernier survivant de la fratrie originelle fut fait maréchal de France (1850) puis président du Sénat et gouverneur honoraire des Invalides (1852). Napoléon III, qui le respectait sans le prendre au sérieux, essaya de le neutraliser, subissant ses lettres de réclamation, ses caprices et ses amertumes. Plus important fut le rôle du prince Napoléon-Jérôme, personnage intelligent et remuant, bonapartiste populiste, républicain à ses heures (il avait siégé à l’extrême-gauche en 1848), anticlérical, indifférent au scandale, n’hésitant pas à critiquer son cousin, s’emportant à chaque contrariété. Il assombrit son image lors de la guerre de Crimée. Nommé général, il manqua, par une manœuvre imprudente, de faire anéantir les troupes anglaises. Mis à l’écart, aigri par la naissance du prince impérial, il bouda et ennuya beaucoup le gouvernement de Rouher. Quant à la sœur de Napoléon-Jérôme, la princesse Mathilde, elle regretta sans doute de ne pas avoir épousé l’Empereur, manqua son mariage de remplacement, tint un brillant salon à Paris durant tout le Second Empire et fit preuve d’une grande fidélité à Napoléon III.
Dernier cousin à avoir laissé une trace dans l’histoire : Pierre Bonaparte. Ce fils de Lucien, s’illustra tristement en tuant d’un coup de pistolet le « journaliste » Victor Noir (9 janvier 1870). En plein effort de libéralisation, et alors qu’Emile Ollivier venait d’accéder au ministère, cet acte inconscient permit aux républicains de durcir leur opposition mise en péril par le ralliement des plus modérés d’entre eux. La Haute Cour rendit le pire des verdicts et acquitta le cousin de Napoléon III. Ce dernier n’avait pas caché qu’il souhaitait une condamnation, même si Pierre Bonaparte (comme c’est probable) avait été frappé le premier par Noir (qui était en réalité l’homme de main d’une publication républicaine venu provoquer le prince en duel, de la part de son patron). Le turbulent cousin fut exilé en Belgique jusqu’à la chute de l’Empire. Son geste provoqua une grave crise. Les obsèques de Victor Noir donnèrent l’occasion aux républicains d’organiser une immense manifestation qui manqua de tourner à l’émeute.
4 L’entourage. — Le « premier cercle » des conseillers et confidents de Napoléon III varia peu durant tout l’Empire. En dehors de l’indispensable Morny, il se composa de défenseurs des différentes tendances ayant porté, par action ou abstention, le prétendant au pouvoir. Les conservateurs y étaient les plus nombreux. Seul Persigny pouvait faire figure d’authentique bonapartiste. D’une fidélité à toute épreuve (sa devise était : « Je sers »), il finit par être mis à l’écart, sans cesser pour autant de soutenir son protecteur. Ministre de l’Intérieur et ambassadeur, il ne parvint jamais à accepter l’existence même de l’impératrice, ce qui, avec ses tendances ultra-autoritaires incompatibles avec la libéralisation du régime, explique sa disgrâce. Emporté et brutal, il « fut toujours sous-officier, même lorsqu’il fut duc » (A. Massonneau). A côté de Persigny, on peut relever les figures de Mocquard, chef de cabinet discret et efficace, Piétri, le secrétaire particulier, Billault, ministre le plus souvent sans portefeuille mais dévoué au possible, Magne, ministre des Finances compétent qui servit encore sous la IIIe République, Fould, le banquier de toujours. A cette liste, il faut ajouter Fleury, fidèle qui ne fut jamais ministre mais fut sans doute influent. Les complices du temps de la conspiration ne furent pas oubliés. Outre Persigny et Fleury, Vaudrey, Edgar Ney et Laity furent membres du cabinet militaire. Enfin, on ne saurait oublier le rôle tenu par deux figures d’une plus grande envergure : Rouher et Ollivier.
Le premier, fils d’un avoué de Riom et, lui-même, avocat d’affaires réputé, fut qualifié par le second de « vice-empereur », tant son action s’étendit, après 1863, à tous les aspects de la politique impériale. Plutôt hostile aux réformes que Napoléon III lui imposait, il quitta le pouvoir sans s’éloigner de son maître et, plus tard, du prince impérial. Il fut ministre de la Justice (octobre 1849-janvier 1851, avril-octobre 1851, décembre 1851 – janvier 1852), de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics (1855-1863), ministre-président du conseil d’Etat (1863), ministre d’Etat (octobre 1863-juillet 1869).
Le parcours de l’avocat Emile Ollivier fut plus tortueux. Classé républicain au début de l’Empire, il ne commença à se rallier (grâce à Morny et Walewski) qu’après les premières réformes de 1860-1861. Il joua un grand rôle dans la création du tiers-parti et accéda au pouvoir avec le portefeuille de la Justice, en 1870, donc trop tard. Il se décrivait lui-même comme « un homme de bonne volonté et d’idéal, égaré dans ce monde de la fraude, de la mauvaise foi et de la haine ». Il ne parvint pas à aller au bout de son ambition : réconcilier le bonapartisme et la liberté.
III – L’exil et la mort
Après sa reddition de Sedan, Napoléon III fut détenu pendant six mois, avec tous les égards dus à un souverain, au château de Wilhemshôhe, près de Cassel. Il n’y eut rien de semblable, dans cette première partie de son nouvel exil, à la dure captivité qu’avait connue son oncle à Sainte-Hélène. Sa santé s’améliora même grâce à ce repos forcé. Il crut longtemps que le peuple de France lui gardait son affection et que, une fois la paix revenue, il accepterait son retour aux affaires. La débâcle, la paix de Francfort et la Commune lui enlevèrent ses dernières illusions.
Le pouvoir échappait aux Bonaparte rendus responsables par le gouvernement provisoire de tous les malheurs de la nation. De son côté, la Prusse tenta de se servir de l’Empereur. Celui-ci refusa l’offre de paix faite par Bismarck en échange de cessions de territoires. Fin août 1870, le chancelier avait commencé à parler ouvertement de l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Il laissa entendre que l’armée de Bazaine, bloquée dans Metz, pourrait être mise à la disposition de Napoléon III pour marcher sur Paris et reprendre le pouvoir. Dans sa correspondance avec Eugénie, qui avait pu gagner l’Angleterre, le prisonnier de Cassel avait bien spécifié que rien ne devait être fait qui puisse laisser supposer que la dynastie passait à ses yeux avant le pays. La capitulation de Metz fut un rude coup porté aux espoirs de la famille impériale. La plupart des projets imaginés ensuite par ses partisans s’avérèrent impraticables, notamment en raison des désaccords profonds qui divisaient les entourages de l’Empereur et d’Eugénie.
En mars 1871, Napoléon III prit la route de l’Angleterre, son exil habituel, serait-on tenté d’écrire. Quittant Cassel, il apprit les débuts de la Commune et fut renforcé dans sa conviction que l’anarchie menaçait la France et qu’il serait, le moment venu, le recours vers lequel le pays se tournerait. Il rejoignit l’impératrice et le prince impérial à Chislehurst, petit village de la grande banlieue de Londres, où des amis de Miss Howard avaient mis une maison de campagne à leur disposition. Là, entouré d’une suite légère mais brillante (vingt confidents et une trentaine de domestiques), on tenta de recréer l’ambiance et l’étiquette des Tuileries. La reine Victoria ne ménagea pas ses efforts pour que la famille impériale française jouisse de confort et de considération. Elle rendit plusieurs fois visite à ses « cousins ».
Dans l’espoir de voir un jour sa dynastie restaurée, Napoléon III continuait à écrire, à recevoir et à se confier, pour justifier ses actes passés comme pour préparer la restauration. Il reçut, au début de son séjour, plusieurs milliers de lettres de soutien par semaine. Il prenait un soin particulier à l’éducation du prince impérial, à présent âgé de quinze ans.
En France, l’armistice avait été signé le 28 janvier 1871. Aux élections de février, organisées sous le contrôle de l’occupant prussien, une vingtaine de députés bonapartistes étaient entrés à la chambre, siégeant à Bordeaux. Les abstentions avaient été nombreuses, ce qui avait sans doute désavantagé le parti de l’Empereur. Mais la vraie question posée lors de ces élections était celle de la poursuite de la guerre. En choisissant les conservateurs et en éliminant une partie des républicains, l’électorat avait voté pour la paix. Le nouveau « parti de l’ordre », dominé par les royalistes, avait fait adopter la déchéance de Napoléon III, le 1er mars, par 760 voix contre 5. Le 6 mars, l’Empereur publia une « proclamation au peuple français » dans laquelle il proposait un appel au peuple pour trancher la question des institutions et du régime. Jérôme-Napoléon et Rouher commencèrent à organiser un semblant de parti bonapartiste, alors que les journaux et brochures favorables à l’Empire reprenaient leur parution. Leur premier objectif fut de faire oublier, autant que possible, la débâcle de 1870, soit en accusant les hommes à présent au pouvoir d’avoir appuyé le parti de la guerre, soit en réhabilitant l’œuvre du règne. Mais les nouvelles de France n’étaient pas bonnes. M. Thiers avait réussi à réprimer — et avec quelle vigueur ! — la Commune et c’étaient à présent les Bourbons qui espéraient reprendre le trône de Charles X, pour les légitimistes, de Louis-Philippe, pour les orléanistes. En novembre 1872, Thiers fit savoir que sa préférence allait à la République.
On échafauda encore des plans de retour à Paris. Depuis Prangins, propriété suisse de Napoléon-Jérôme qui, avec Fleury, était plus actif que jamais, Napoléon III pourrait prendre la tête d’un régiment de dragons et, comme son oncle au retour de l’île d’Elbe, remonter vers Paris, entraînant les garnisons sur son passage. Il semble que l’opération ait été prévue pour mars 1873. Mais, avant tout autre projet, l’Empereur devait penser à sa santé, une nouvelle fois déclinante.
La reine Victoria mit son médecin à la disposition de Napoléon III. Un grand spécialiste des maladies de la vessie le rejoignit et tous deux décidèrent d’opérer pour broyer et expulser la pierre qui faisait tant souffrir leur patient. Une première opération eut lieu le 2 janvier 1873, et une seconde, quatre jours plus tard. Le 9 janvier, alors qu’une troisième intervention devait avoir lieu, Napoléon III sombra dans le coma et mourut.
Le 15 janvier 1873, les funérailles du dernier empereur réunirent plusieurs milliers de Français qui avaient traversé la Manche. En 1888, le corps de Napoléon III fut transféré dans l’église de Farnborough, construite sur les ordres d’Eugénie. On plaça à côté de la sienne la tombe du prince impérial, mort sous l’uniforme anglais au Zoulouland, en 1879. L’impératrice les rejoignit en 1920. A ce moment, les déchirements du parti bonapartiste et le triomphe de la République avaient rendu impossible toute nouvelle restauration impériale.
Auteur : Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon, extrait de « Napoléon III » paru en 1995, éditions PUF, coll Que Sais-Je ?
mise en ligne août 2019