NELSON, Horatio, (1758-1805), amiral anglais

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Fils d’un pauvre pasteur du comté de Norfolk sur la mer du Nord de l’Angleterre, il vit le jour le 28 septembre 1758 dans le presbytère paternel. Il était tellement chétif et sans souffle, qu’on le crut condamné à une fin rapide. On le nomma Horace. Échappant par miracle à la mort, il grandit difficilement. D’une ténacité, d’un caractère étrange et d’un orgueil farouche, il imposait son autorité à son frère aîné de deux ans.

En 1770, âgé de douze ans, respectueux de la hiérarchie familiale, Horace chargea son frère d'une mission :  » Voulez-vous faire savoir à notre père que je désire être marin « . Le pasteur avait un frère auquel il s'adressa qui était Marin du Roi, commandant le Raisonnable, vaisseau de 64 canons, mouillé dans le port de Chatam. Au printemps 1771, Horace embarque comme mousse. Novice puis pilotin, enfin officier et gravissant rapidement les grades lors d'expéditions lointaines, il obtint son premier commandement en 1777 à l'âge de vingt ans. Durant ces huit dernières années de navigation, il avait beaucoup souffert, mais aussi beaucoup appris, malgré une santé précaire et un incoercible mal de mer. Sa frégate, l'Hinchinbrook, participant durant cinq mois à une opération sur la rivière Nicaragua, des 1 800 hommes de troupe, seulement 380 survécurent à la malaria et aux fièvres des marais. Ayant rejoint le bord, 87 se couchèrent et moururent. Seulement 10 en réchappèrent, dont Horace, presque agonisant, qui dut être rapatrié d'urgence. Soigné aux eaux de Bath, et à peine rétabli, il reprend la mer pour deux expéditions coupées par un voyage en France afin d'y perfectionner notre langue. Considérant son séjour chez nous avec mépris, il déclara alors : « Je déteste le pays et ses moeurs ». Il ne se départira jamais de cette détestable opinion et Bonaparte en subira tristement les effets. De 1785 à 1787, il croisa aux Antilles où ses sentiments belliqueux pour tout ce qui l'entourait subirent une miraculeuse mutation au bénéfice du sexe faible, qu'il n'avait sans doute jamais eu encore le temps ni la santé de découvrir, avant l'âge de vingt-huit ans ! Ce fut sous les formes harmonieuses d'une très jeune veuve, Fanny Nisbey, mère d'un garçon de trois ans. Qu'importe. Il l'épouse et l'emmène en Angleterre, au presbytère natal, en attendant un nouveau commandement qui ne vient qu'au bout de cinq ans… les séjours à terre étaient monnaie courante, et les rappels à l'activité sans délai. 21 janvier 1793… exécution de Louis XVI. La guerre avec l'Angleterre recommence, et Nelson accepte avec empressement le commandement de l'Agamemnon, vaisseau de 64 canons, de l'escadre de la Méditerranée sous les ordres de l'amiral Hood. En septembre 1793, il reçut l'ordre de porter des dépêches à sir William Hamilton, ambassadeur de Sa Majesté Britannique près de la Cour de Naples. Les royaumes de Naples et de Sicile étaient alors gouvernés par les Bourbons depuis 1734, et avaient pour roi Ferdinand IV et pour reine Caroline, née à Vienne et fille de l'Empereur d'Autriche François Ier. Mission sans éclat qu'il accepta d'accomplir avec ennui.

La belle lady Hamilton

Se présentant à l'ambassade, sir Hamilton le reçut lui-même. Nelson en fut extrêmement surpris. Avec ce diplomate de soixante-quatorze ans fort intelligent et spirituel se créa aussitôt un attrait réciproque, au point que l'ambassadeur convia le visiteur à dîner le soir même. Il annonça ainsi à son épouse Emma son invité :  » C'est le capitaine Nelson. Il est petit, n'a presque pas de cheveux, bref, il est loin d'être beau. Mais j'en suis sûr, il ira loin « . Il avait alors trente-sept ans. De fait, dix ans auparavant déjà, alors qu'il n'avait que vingt-cinq ans, le futur roi Guillaume IV d'Angleterre, l'ayant rencontré, avait été étonné de son apparence :  » C'était le plus jeune et le plus petit capitaine que j'eusse encore vu ; il portait un habit galonné sur toutes les coutures ; ses cheveux plaqués et sans poudre étaient retenus dans une queue à l'allemande très serrée et d'une longueur extraordinaire ; les pans de sa veste, découpée sur un vieux modèle, ajoutaient à la bizarrerie de sa tournure et faisaient de lui un être passablement excentrique. De ma vie je n'avais rien vu de pareil… « . À mesure qu'Horace Nelson avançait en âge, ses cheveux roux étaient devenus rares, ses épaules étroites s'étaient encore rétrécies, sa longue figure s'était allongée, l'aspect charnu de sa bouche s'était accentué, dévoilant chez ce marin une évidente sensualité. C'est dans cet état physique fort peu séduisant que, entrant dans le salon de l'ambassade pour y dîner, il rencontra lady Emma Hamilton, trente ans, la plus merveilleuse créature qu'on pût rêver. Il fut immédiatement subjugué. Mais qui était donc cette lady Hamilton dont Nelson tomba aussitôt irrésistiblement amoureux ? Mais sans pouvoir y donner suite faute de temps. Aurait-il seulement été écouté… sans doute pas, car lady Hamilton avait d'autres sujets de satisfaction. À Naples, elle était célèbre par sa beauté : les peintres se la disputaient pour avoir l'honneur de peindre cette éblouissante créature aux allures de grande dame à la conversation captivante. Nelson dut la prendre pour la descendante d'une très illustre lignée de nobles britanniques, confirmée par son mariage avec le très digne sir William Hamilton. Sut-il qu'elle n'était que la fille de paysans misérables qui, à dix ans, trayait les vaches et faisait la lessive ? Sa juvénile splendeur lui avait fait abandonner la ferme pour aller à Londres  » faire servir sa beauté à son élévation « , doux euphémisme ! Femme de chambre, vendeuse dans un magasin, pensionnaire d'une certaine  » Abbesse  » dans un couvent hospitalier, maîtresse d'un capitaine de vaisseau qui lui donna un enfant, puis d'un vieux baronnet… enfin du neveu de sir William Hamilton, sir Charles Greville sans fortune mais noble. Ce dernier, ne pouvant subvenir aux besoins de la belle, la « refila » à son oncle de trente ans plus âgé qu'elle, se débarrassant ainsi d'une maîtresse encombrante, et évitant à l'oncle riche et veuf, pensait-il, de se remarier, sa fortune revenant au neveu. Ce beau plan s'écroula le jour, pas très lointain, où sir Hamilton convola en justes noces avec Emma qui, devenue riche et noble, fit valoir en outre sa beauté et son esprit à la cour de Naples. La reine Marie-Caroline en fut entichée et elles devinrent amies intimes. Bonne affaire pour le cabinet britannique, Emma avait barre sur la reine et le roi de Naples.

Borgne puis manchot

C'est donc à la suite de l'unique dîner à l'ambassade britannique, que les pensées de Nelson ne cessèrent de voguer, vent arrière, vers cette merveille, et que sa vie en fut totalement transformée. La guerre ayant ses impératifs, il fut envoyé aussitôt de Naples en Corse, française depuis 1768, où un certain Pascal Paoli (déjà) menait campagne contre la France pour l'indépendance, et pour y parvenir, demandait le secours des Anglais qui ne demandaient pas mieux. Au siège de Calvi, un boulet français tombant près de Nelson souleva une gerbe de pierrailles. Se croyant seulement égratigné, il constata la perte de son oeil droit. Sa fureur contre les Français fut sans bornes, les traitant de damnés… la Corse resta française. À cette même époque, l'Espagne, s'étant alliée à la France, fut entraînée contre l'Angleterre. Le 14 février 1797, l'escadre anglaise se trouva face à une flotte espagnole au large du cap Saint-Vincent, pointe extrême sud du Portugal, Nelson commandait le vaisseau le Captain. Son escadre comprenait quinze navires, contre vingt-sept espagnols. Prenant le risque maximum, il bondit sur ses adversaires, disloqua leur ligne de bataille, et obtint une victoire si totale que l'Amirauté lui accorda le grade de contre-amiral, et l'ordre du Bain ! À Naples, on ne parlait plus que du héros et lady Hamilton en rêva… tandis qu'à Norfolk, la calme et tendre épouse lady Fanny, lui écrivait pour l'inciter à arrêter ses prouesses mortelles. Conseil parfaitement inutile, d'autant qu'un galion espagnol chargé de trésors approchait de Santa-Cruz de Ténérife, la plus grande île des Canaries, possession espagnole. Nelson résolut de s'en emparer. Arrivé devant le port ennemi, il décida, dans la nuit du 24 juillet 1797, de conduire lui-même le corps de débarquement. Au cours de la descente à terre, une salve de projectiles à mitraille s'abattit sur la chaloupe par tribord, et tous les hommes assis vers la proue eurent le côté droit criblé, dont Nelson. L'amiral s'écroula :  » Je suis un homme mort ! « . Emmené sur son navire, le Theseus, on constata l'arrachement du coude droit. Le chirurgien prépara ses instruments et tailla dans les chairs, séparant le bras droit du corps mutilé. Quand l'opération fut achevée, Nelson, qui n'avait jamais perdu connaissance, commanda d'une voix ferme de jeter ce bras inutile à la mer par un sabord.

Deuxième victoire

Se voyant fortement diminué par deux infirmités majeures, il écrivit quelques jours plus tard à l'amiral Jervis dont il dépendait:  » Je suis devenu un fardeau pour mes amis, un être inutile pour mon pays… je m'en vais d'ici pour ne plus me montrer nulle part… Un amiral manchot ne saurait être regardé à être bon à quelque chose. Je n'aspire plus qu'à me retirer dans quelque humble cottage, cédant ma place à un serviteur plus complet et plus utile « . Rentré à Londres accueilli par des foules enthousiastes, il obtint une pension de mille livres, et se reposa. À peine remis de ses souffrances, coup de théâtre. Au printemps 1798, un an à peine après son amputation, l'amirauté le rappelle à l'activité, et lui offre le commandement en chef d'une escadre comprenant trois vaisseaux de ligne, quatre frégates et un sloop (bateau de liaison entre les navires de l'escadre), et ceci pour découvrir ce que Bonaparte préparait en secret dans le port de Toulon. Pour mémoire, Nelson, après une incroyable recherche de l'armada française en Méditerranée, trouva et détruisit notre flotte dans la rade d'Aboukir, à l'exception de trois vaisseaux sous le commandement de l'amiral Villeneuve, qui s'échappèrent. L'audace et la chance couvraient de lauriers le front du déjà célèbre amiral Nelson. L'Angleterre et ses alliés en firent le plus grand héros maritime de tous les temps, le roi le créa baron du Nil, les Communes lui votèrent une pension de 2 000 livres et les honneurs volaient de tous côtés… mais ce qui alla le plus au coeur de Nelson, fut… une lettre de lady Emma Hamilton, de Naples. Véritable déclaration d'amour où elle transforme le qualificatif d'ensorcelée par celui  » d'en-nelsonnée « . Elle le supplie de venir bientôt. À cette date, 1798, Nelson, qui a dépassé la quarantaine, est promu vice-amiral, et croit bien n'avoir plus rien à gagner dans la Royal Navy. Le destin en décidera autrement, dans un contexte à la fois maritime et sentimental, qui ne sera plus tout à fait à son honneur.

L’amiral perd le nord

Nelson, libéré de tout service, bondit à l'appel de la belle et débarque à Naples au milieu d'une foule délirante. À sa vue, Emma s'évanouit… on la ranime. Alors commence pour le héros une vie de délices à laquelle il n'aurait jamais pensé accéder. Emma devint sa maîtresse, et le débonnaire sir William Hamilton, déclarant Nelson son meilleur ami, fut toujours d'une candide compréhension : il venait d'avoir quatre-vingts ans. Le caractère du célèbre et valeureux amiral fut totalement transformé. Emma l'accapara à tel point qu'elle fit de lui un chien de cirque qu'elle promenait et montrait à la Cour de Naples. Nelson se mit à rechercher les flatteries et les faveurs : adieu la rigueur et la discipline militaires. Dans ce nouvel état de béatitude, il se mit à dilapider sottement sa fortune, à jouer, et à se quereller avec de vieux camarades de bord qui ne le reconnaissaient plus. Il ne supportait aucun conseil de prudence, ni aucune réflexion sur son mode de vie. Pire encore, Emma l'entraîna dans des intrigues de cour. Nelson, Emma et son ambassadeur de mari formaient un trio inséparable et ridicule. Ils décidèrent d'entreprendre un voyage en Europe, sans gloire, les journaux faisant des allusions ouvertes à cet étrange ménage à trois. Lorsqu'ils débarquèrent à Londres, Nelson se souvint tout à coup de sa femme Fanny. Il lui présenta ses amis : elle resta figée. Il tenta vainement d'imposer leur présence au sein de la  » gentry  » londonienne. Emma lui donna secrètement une fille qui le combla de joie, qu'il nomma Horatia, et dont la naissance et l'existence furent sans doute ignorées du brave sir William, qui eut la présence d'esprit de mourir le 6 avril 1803, à Londres. Nelson prétendit alors faire vivre sa maîtresse et sa fille au domicile conjugal… Fanny, écoeurée s'en alla, mais refusa de divorcer, contraignant les amants à une vie de concubinage qui aura au décès de Nelson, les plus fâcheuses conséquences pour l'avenir d'Emma et de sa fille.

La victoire finale

Nous voici en 1805. Napoléon est empereur depuis un an. La France n'en finit pas de ses guerres et de ses défaites à cause de l'Angleterre. Pour la détruire une fois pour toutes, il rassemble dans le port de Boulogne une prodigieuse flotte de débarquement, prête à envahir l'Angleterre, moyennant la maîtrise des mers dans la Manche, ne serait-ce que pendant quelques heures. À cet effet, la flotte de Toulon, commandée par l'amiral Villeneuve, le rescapé d'Aboukir, reçut l'ordre de se regrouper avec la flotte espagnole basée à Cadix, et de gagner le port de Brest pour bloquer en Atlantique les escadres anglaises. Ce qui fut fait. Mais l'amirauté britannique, avertie, décida d'arrêter cette armada, et pour y parvenir et la détruire, fit appel au plus valeureux des marins, dont le seul nom glaçait d'effroi les équipages adverses : le vice-amiral Nelson ! Le 13 septembre 1805, l'amiral manchot et borgne, atteint de l'autre oeil d'une demi-cécité, âgé de quarante-sept ans, ne peut refuser cet insigne honneur, quitte son cottage et sa belle Emma avec des sanglots dans la voix… pressentiments refoulés ? Il embarque sur son navire amiral, le Victory, dont le capitaine de pavillon était le commandant Hardy. L'amiral Villeneuve, partageant le commandement avec un amiral espagnol, avec qui les relations sont particulièrement difficiles, du fait de la langue et de l'incapacité des marins espagnols, hésite à sortir de la rade de crainte de perdre la bataille. Napoléon qualifie cette attitude de poltronnerie, et somme Villeneuve d'agir le plus rapidement possible, le menaçant même de le remplacer sur-le-champ. Mettant sa menace à exécution, il fait partir son remplaçant. L'honneur de Villeneuve, brillant officier, est mis à l'épreuve, et il ne peut le supporter plus longtemps. Adoptant une solution désespérée, il ordonne la sortie de la rade, et, pour tromper l'ennemi, se dirige vers le sud tandis que Nelson l'attend vers le nord. La ruse ne dure pas. Le 19 octobre, à 9h30, Nelson est prévenu de la manoeuvre des Franco-Espagnols. L'ordre est donné de les rejoindre. En attendant, il descend dans ses appartements et se met à rédiger son testament, ainsi qu'une très longue lettre à Emma. Il lègue sa maîtresse et sa fille à son pays… et tous les biens qu'il peut. Après quoi, s'étant revêtu de son plus bel uniforme, chamarré et armé, couvert de toutes ses décorations, il monte sur la dunette de commandement et mène le combat. Cela se passait face au cap Trafalgar, au sud de Cadix, et la victoire, qui fut une des plus grandes de l'histoire britannique, porta désormais ce nom. Nelson, heureux et sans souci de la mitraille, allait et venait sur sa dunette lorsqu'un marin français, intrigué par cet officier gesticulant d'un bras et vêtu comme à la cour, le visa et l'atteignit d'une balle meurtrière à la colonne vertébrale. L'amiral s'affaissa aux pieds de son commandant de bord, qui le fit transporter d'urgence à l'infirmerie où il fut rejoint par l'aumônier. Sa respiration devint rauque, sa vue se voila, il se sentit perdu et donna ses dernières instructions:  » Vous couperez mes cheveux et les remettrez à lady Hamilton… j'ai fait mon devoir. Dieu en soit remercié « . Il rendit le dernier soupir à 4h30. On ramena son corps en Angleterre, conservé dans un fût d'eau-de-vie. Le désespoir d'Emma fut effrayant. Abandonnée par la famille et spoliée d'une quelconque succession pour raison de concubinage, elle mourut dans une totale misère à cinquante-trois ans dans la ville de Calais où elle s'était réfugiée avec sa fille Horatia. Nelson eut des funérailles nationales, le nom de Trafalgar fut donné à une place de Londres, où l'on éleva sa statue au sommet d'une colonne de la hauteur du mât le plus haut du Victory. Elle y est toujours.
 
 
Auteur : Albert Michelon
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 421
Mois : Déc-Janv
Année : 1998-1999
Pages : 24-27

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