OFFENBACH, Jacques (1819-1880), compositeur

Partager

Introduction

Que l'on prononce le nom d'Offenbach et immédiatement viennent à l'esprit grands airs d'opérette, french-cancan et futilités en tous genres… On ne voit bien souvent que l'amuseur de la fête impériale, l'auteur de fadaises mélodiques dans une personnalité musicale infiniment plus complexe. Pourtant, pour une période de forte relation entre la scène et le livret, il serait dommage de borner Offenbach à l'image longtemps véhiculée de faiseur de musique facile : ce serait avouer une totale méconnaissance d'un authentique génie musical, qui plus est d'un véritable virtuose du violoncelle.

Les années de formation

Né le 20 juin 1819 à Cologne d'un père chantre de synagogue, Jacques (Jacob) Offenbach connaît, malgré l'existence bien précaire de ses parents, une enfance marquée par la joie de vivre et l'amour de la musique. Très tôt, il prend des cours avec Joseph Alexander, qui lui inspire le caractère doux et mélodique de ses compositions, puis avec Bernhard Breuer, pour lequel il se montrera longtemps reconnaissant. Face à cet évident talent, son père décide en 1833 de l'emmener avec son frère Julius à Paris, et installe les deux jeunes gens sous une mansarde de la rue des Martyrs. Dans les années 1830, la ville est considérée comme la seule possibilité de consécration musicale, où les réputations et les fortunes se font sans discrimination. C'est un monde pittoresque que Jacob découvre à son arrivée, où toutes sortes de gens se côtoient, se bousculent, dans un brouhaha indescriptible.
Virtuose et compositeur

En dépit du droit d'entrée réservé aux seuls Français, Offenbach parvient à intégrer le Conservatoire alors dirigé par Cherubini. Mais son indépendance d'esprit et son non-conformisme l'amènent à quitter l'école dès le 24 décembre 1834. Pour subvenir à ses besoins, il joue pour l'orchestre de l'Opéra-Comique où il donne libre cours à ses pitreries et y apprend très vite les bases de la composition. Mais l'ennui gagne rapidement cet impatient hyperactif qui veut sortir de l'ombre.

Premières compositions

Offenbach décide de reprendre sa liberté en 1835. C'est à cette époque qu'il fait la connaissance de Halévy avec lequel se noue une amitié sincère et durable. Sa carrière de compositeur débute avec la conception de valses très en vogue. Il se voit rapidement inscrit au répertoire du grand chef d'orchestre Jullien, qui sévit au Jardin Turc, puis à ceux de la nouvelle formation des « concerts Saint-Honoré » et des bals de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. Offenbach recueille aussi les honneurs de la presse. Une de ses valses les plus jouées date d'ailleurs de 1836, et s'intitule Fleurs d'hiver. Il écrit en même temps des romances de salon, qu'il interprète devant un public de qualité. En 1839, il donne son premier concert public et tente un premier essai d'opéra, Pascal et Chambord, qui se solde par un échec. Un échec bien vite oublié par un séjour à Cologne (malheureusement marqué par la double disparition d'un de ses frères et de sa mère) où il compose sa Grande scène espagnole qui deviendra un énorme succès. De retour à Paris, il reprend ses activités et enchaîne très vite les productions : en 1842, il met en musique des Fables de la Fontaine, véritables pièces de théâtre à la facture très libre, et Le moine bourru en 1843. La popularité du petit musicien au fort accent prussien devient importante. Le Musical World écrit d'ailleurs à son sujet : « Il est certainement un artiste d'une habilité exceptionnelle et nous devons ajouter d'une grande agilité sur son instrument ; c'est du reste un homme qui s'attire le respect de tout musicien par sa science et celui de tout gentleman par son maintien ».

La voie royale de la scène

Offenbach fait alors la rencontre de celle qui deviendra sa femme et pour laquelle il se convertit au catholicisme, une jeune espagnole, Herminie d'Alcain, dont le beau-père Mittchell compte parmi les grands imprésarios du temps… ce qui ne gâche rien. Le mariage a lieu en 1844 et le musicien se décide enfin à se muer en compositeur de théâtre. Poursuivant sa carrière non encore bien lucrative de virtuose, il crée en effet dès 1846 Meunière et Fermière, puis Le Désert, une parodie où se mêlent caractères comique et sérieux. Au début de 1847, le journal Le Ménestrel cite Offenbach parmi les jeunes compositeurs « à faire connaître ». Le 27 avril de la même année, le prodige connaît même son premier grand succès avec l'opérette L'Alcôve.

Mais la révolution de 1848 fait fuir Offenbach et sa famille pour Cologne. En attendant un retour prochain dans sa nouvelle patrie, le compositeur se laisse aller à l'écriture d'airs patriotiques allemands. Il compose aussi, en français, La Duchesse d'Albe et met en scène dans un théâtre de sa ville natale son opéra comique Marielle oder Sergeant und Kommandant. De retour en France en 1849, la chance lui sourit lorsque son ami, Arsène Houssaye, nommé administrateur de la Comédie-Française, lui confie le poste de chef d'orchestre de l'illustre maison. Le 30 juillet 1850, il signe son contrat et obtient 15 000 francs par an. À charge pour lui de payer les salaires de ses vingt musiciens. Il prend ses fonctions le 15 octobre 1850, et malgré l'hostilité des sociétaires, donne libre cours à sa création et écrit de nombreuses musiques de scène : pour la Valéria de Lacroix et Maquet en 1851, pour Le Bonhomme Jadis de Murger en 1852. Mais la Comédie-Française n'est pour lui qu'un début ; il brigue plus que jamais la direction de l'Opéra-Comique. En 1853, il parvient à y faire jouer deux de ses pièces, dont le Trésor de Mathurin, mais la prestigieuse institution musicale ne paraît pas l'attendre. Aussi, dès l'année suivante, décide-t-il d'ouvrir son propre théâtre.

« Le petit Mozart des Champs-Élysées »

Le 5 juillet 1855 sont donc inaugurés les célèbres « Bouffes Parisiens », petit théâtre qui valent à Offenbach, de la part du grand Rossini, le surnom de « petit Mozart des Champs-Élysées ». Mais ouvrir son propre théâtre n'est pas chose aisée. La censure veille et donne les autorisations (ou plutôt accorde les privilèges) avec circonspection. Il n'est pas rare qu'Offenbach se voit contraint de solliciter l'autorisation d'un spectacle auprès du ministre État, comme le 24 février 1855 pour ses Arlequinades : il lui faut justifier que ce ne sont là que des « pantomimes en un ou plusieurs actes ; [afin d'] offrir un divertissement complètement neuf et original, qui serait de nature à plaire aux intelligences cultivées et à la masse des spectateurs [auquel il joindrait] des tableaux vivants reproduisant les plus beaux sujets de la peinture d'histoire, et enfin des scènes à deux ou trois personnages avec musique nouvelle ce qui du reste, aurait lieu également pour les pantomimes […] » (Archives Nationales F21 1136). Durant l'hiver, il lui faut aussi déplacer le théâtre au centre de la capitale, dans la vaste salle de la rue de Choiseul.

En octobre 1858, quoique la période soit peu favorable aux finances, voit le jour Orphée aux enfers, opéra-bouffe en deux actes sur un livret de Crémieux et Halévy. Loin de la mythologie, cette histoire est une nouvelle satire de la société du Second Empire et reçoit les échos favorables d'une presse musicale enthousiaste. Opéras bouffes ne signifient pas « sous-opéras » : dans les oeuvres d'Offenbach, la musique est recherchée, elle n'a rien d'une production « à la va-vite ». Seule l'orchestration est plus enlevée, plus légère, et abonde en de nombreux rythmes de danse. Offenbach met au goût du jour le cancan, débarqué dès la fin des années 20 en France sous le nom de « chahut » par les soldats revenant d'Algérie (mais vite interdit pour impudeur). L'atmosphère y est plus ironique, moins pesante : « Je me suis efforcé d'inaugurer un genre amusant qui respecte les lois de l'art et du bon goût. Je crois y avoir réussi » explique le compositeur (lettre du 4 octobre 1855, A. N. F21 1136). Bientôt, ses créations s'exportent dans d'autres théâtres, au Palais-Royal, aux Variétés, à l'Opéra-Comique.

Suivent six années de succès total, que consacrent l'obtention le 14 janvier 1860 de la nationalité française (A. N. F21 956) et la naissance en 1862 d'un fils tant attendu (après quatre filles), Auguste, auquel il donne pour parrain le duc de Morny. Au côté d'une vie bourgeoise respectable et bien réglée auprès d'une épouse attentive, patiente et très bonne gestionnaire, Offenbach poursuit une vie gaie et enlevée au sein de son théâtre, où il côtoie des actrices de talent, comme la grande Zulma Bouffar, trop vite éclipsée des mémoires par l'incontournable Hortense Schneider, mais aussi nombre de demi-mondaines auxquelles il ne résiste guère.

« La Vie Parisienne » et suivants

À une époque où la société veut se distraire et rire après une certaine période d'austérité, sa musique et ses mises en scène correspondent à l'attente du public. Mais l'année 1862, malgré les succès, le trouve ruiné et Offenbach se voit nommé liquidateur de son théâtre (article 3 de l'acte notarié, A.N.). La musique et le spectacle sont cependant plus forts. 1865 voit la naissance d'une « seconde manière », sorte d'apogée musical qui durera jusqu'à la chute de l'Empire en 1870. La Vie Parisienne inaugure cette série de « nouvelles oeuvres » — la censure a obligé Offenbach à une seconde version qui est seulement autorisée « car les auteurs ont tenu compte des remarques précédemment faites » (P.V. de censure du 30 octobre 1866, A.N. F21 979). Hommage au Paris « des viveurs et des débrouillards », l'oeuvre voit le jour dans le délicat contexte de l'expédition mexicaine mais également en pleine période de prospérité économique. Compositeur, poète malicieux, grand voyageur, Offenbach devient le « chef d'orchestre » d'une société nouvelle.

Les complices de son succès sont Meilhac et Halévy, qui ont déjà écrit les livrets de La Belle Hélène (1864) et de La Perichole, où se côtoient grotesque et sentiment, parodie et calembour. Les personnages, usant de l'art du déguisement, se cachent derrière le masque des mensonges. Offenbach a trouvé ses thèmes de prédilection : les femmes, les plaisirs de la table, le jeu (Les Deux Aveugles) et l'omniprésente fatalité (La Belle Hélène). Pour Reynaldo Hahn, « Offenbach est le musicien des objets familiers, le poète du matériel ». Un musicien qui se voit très souvent sollicité : dans son appartement, il donne de nombreuses fêtes tout droit sorties de son enfance allemande. Sa popularité est aussi favorisée par un physique hors normes : on le dit le résultat du croisement d'un coq et d'une sauterelle (Nadar), ce qui inquiète certains de ses contemporains comme Émile Blavet : « Offenbach ressemblait à quelqu'un de ces êtres surnaturels échappés de la galerie fantasmagorique du conteur germain Hoffmann, [avec des] cheveux en pleurs, cet oeil pétillant de malice, ce nez crochu, cette bouche sardonique… ».
Avec la guerre contre la Prusse, Jacques Offenbach se voit contraint de s'éloigner avec femme et enfants de Paris. Mais cet exil est cependant de courte durée, et en 1872 il compose son opéra féerie Le roi carotte qui se veut une satire politique de Napoléon III sur un livret de Victorien Sardou. Il dirige ensuite le théâtre de la Gaité-Lyrique où sont reprises ses anciennes oeuvres, mais meurt dans un relatif dénuement, le 5 octobre 1880, laissant inachevé son unique opéra et ultime chef-d'oeuvre : Les Contes d'Hoffmann.


PAPOT Emmanuelle
« Offenbach, le virtuose redécouvert »
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 434
avril-mai 2001
Pages : 48-50




Partager