Autour de Carcassone
De la région de Carcassonne, la famille Peyrusse était établie en 1700 à Aragon, village situé à 10 km au nord-est de Carcassonne. Son représentant, Pierre Roux, était bailly du lieu. Son fils Jean se maria le 2 juillet 1699 avec Catherine Peyrusse fille d'un bourgeois de Miramont Latour dans le Gers. Suite à cette union, la famille prit le nom, d'abord de Roux-Peyrusse, puis de Peyrusse. Le petit-fils de Jean, Dominique Peyrusse, le père du trésorier, né le 27 janvier 1734, était marié avec Anne Pascal fille du directeur de la manufacture de draps de Montolieu. Le couple habitait le centre de Carcassonne. Négociant, il sera consul de la ville en 1769 ; il est, le 1er germinal an XII (24 mars 1804), un des cent plus imposés de la ville, ce qui situe à cette époque sa position sociale. Il décède à Carcassonne le 27 décembre 1818.
Dans la seconde partie du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, la fabrication et la commercialisation des textiles étaient l'une des activités les plus importantes de la région, tant dans les manufactures royales, que chez les particuliers où étaient installés des métiers à tisser.
La famille Peyrusse aura huit enfants, quatre garçons, deux filles mais perdra deux jumeaux ; tous ses enfants sont nés à Carcassonne, sauf une fille qui naîtra à Montolieu.
L'une des deux filles Marie- Louise, née le 9 août 1767, se marie avec J.A. Marabail, sans postérité. Elle décède à Carcassonne le 24 décembre 1826. La seconde, Thérèse, née en 1773, célibataire, vit avec ses parents et décède à Carcassonne le 8 avril 1841.
Le second garçon Jean Baptiste Jacques Guillaume né le 12 septembre 1764 sera prêtre. D'abord vicaire à Cuxac, il émigre en 1792 ; revenu après le Concordat, il est nommé vicaire à Carcassonne et meurt chanoine théologal du chapitre de la cathédrale le 16 décembre 1832. Il repose dans l'église Saint-Michel de Carcassonne.
L’aîné, Louis Vincent
Mais c'est le fils aîné, Louis Vincent Peyrusse né le 18 novembre 1762, qui sera à l'origine de la fortune de ses deux frères cadets. Comme ceux-ci et suite à la levée en masse décrétée par la convention en 1793, il part comme volontaire à l'armée des Pyrénées-Orientales. Le 16 mars 1793, on le retrouve secrétaire à l'état-major de la marine pour l'armement d'une flottille à Adge. Puis il est chef d'une division de douze canonnières et bombardes de l'armée des Pyrénées-Orientales du 21 mars au 26 juillet 1794. Il s'oriente ensuite vers le service du Trésor de la marine. Il sera payeur général à Toulon du 3 octobre 1794 au 15 octobre 1803. C'est à ce moment qu'il aide le général Bonaparte en lui avançant, sur sa caisse, des fonds pour les premières dépenses de l'expédition d'Égypte. Il en reçoit une lettre de remerciements le 24 prairial an VI (18 juin 1798). C'est également à cette époque qu'il fait venir auprès de lui son frère André comme commis : sans doute l'aide-t-il pour obtenir la même place auprès d'Estève nommé trésorier payeur général de l'armée d'Orient.
Il sera ensuite commissaire de la marine de 3e classe, puis de 2e classe à Toulon, jusqu'au 28 ventôse an XII (19 mars 1804) ; enfin commissaire de 2e classe à Lorient du 19 mars 1804 au 31 décembre 1815. La seconde Restauration lui retire sa Légion d'honneur octroyée le 9 juin 1815 et le met en demi-solde au port de Marseille jusqu'au 12 mai 1817. Après cette date, il sera mis à la retraite. Il décèdera à Marseille le 9 octobre 1831.
Durant toute la durée de la Restauration, aidé par son frère André, il avait réclamé, vainement, sa réintégration. Dans une lettre à l'amiral Truguet, après l'avènement de Louis-Philippe, il fait ainsi part de la raison de son éloignement des affaires : « La position de son frère Guillaume Joseph auprès de Napoléon ».
Il a épousé en premières noces, à Marseille le 25 décembre 1794, Marie Anne de Forbin Gardanne, issue d'une des plus grandes familles de Provence (Marseille 12 juin 1766 – Paris 1er mars 1801). Un fils est né de cette union, Charles Hippolyte Prudent Peyrusse, né à Toulon le 15 septembre 1799, décédé le 8 août 1847. Celui-ci se mariera avec Henriette Stanhope, sans postérité.
En secondes noces, il épouse également à Marseille, le 23 décembre 1802, une lointaine cousine maternelle, Jeanne Sophie Rostan (née à Marseille le 26 avril 1782), sans postérité.
Le cadet,André
Parlons maintenant de son frère cadet André Peyrusse né le 13 août 1774. Il fait ses études au collège de Carcassonne tenu par les frères de la Doctrine chrétienne. En mai 1793, il part comme volontaire au 4e bataillon de l'Aude à l'armée des Pyrénées-Orientales, puis est employé comme secrétaire jusqu'au 23 septembre 1795. Sur la réquisition de la trésorerie nationale, il part au port de Toulon comme commis du payeur général… son frère Louis Vincent.
Il participe à l'expédition d'Égypte, d'abord comme commis d'Estève, puis comme son secrétaire (ce dernier devient son ami et son bienfaiteur). Puis à la nomination de Kléber, il est jusqu'à la mort du général son secrétaire particulier. C'est à cette époque qu'il participe également comme secrétaire du général Desaix et de Poussielgue, aux négociations du traité d'El Arich.
Il reste quelque temps secrétaire du général Menou et reprend sa place auprès d'Estève jusqu'à la fin de l'expédition. Il sert encore de secrétaire aux généraux chargés de traités d'évacuation des troupes du Caire sous le commandement du général Belliard (du 21 au 23 juin 1801).
Durant toute la durée de l'expédition, il écrit à sa mère, pour lui donner de ses nouvelles et lui décrire le pays ( Cette correspondance doit être éditée par La Vouivre sous le titre André Peyrusse – Correspondance d'Égypte (1798-1801).).
De retour en France, il rejoint Estève, chargé de la gestion de la liste civile des consuls, nommé ensuite payeur général de l'expédition de Louisiane qui n'aura pas lieu (octobre 1802- mai 1803). Et lorsqu'est décidée la conquête de Hanovre, André Peyrusse est d'abord nommé préposé spécial du payeur et ensuite receveur payeur, 7 juin 1803, sous les généraux Mortier, Dessole et Bernadotte avec lequel il semble avoir eu quelques difficultés d'entente.
Rentré à Paris le 27 mars 1806, il est nommé à Plaisance le 9 avril responsable des fonds qui devaient servir aux troupes françaises d'Italie. En même temps, il contrôle la refonte des monnaies locales en Napoléon. Cette mission se termine le 2 octobre 1806.
Par décret impérial du 14 septembre 1806, il devient alors receveur général des Finances du département d'Indre-et-Loire, poste qu'il occupera jusqu'au 31 décembre 1815. Dans cette ville de Tours, il est membre du collège électoral, puis conseiller municipal de Tours Nord. À cette époque, il sera l'un des six cents plus imposés du département. Il habite alors rue des Fossés-Saint-Georges, où il a ses bureaux et qui deviendra la rue de Clocheville. Le 27 juillet 1808 à Paris 3e, il se marie avec Anne Joséphine Pauline de la Haye de Cormenin (Paris, 6 mars 1789 – La Neuville les Amiens, 7 octobre 1870). Elle est la soeur de Louis Marie, célèbre juriste pamphlétaire du XIXe siècle, issue d'une famille royaliste de la maison du duc de Penthièvre. Ce mariage avait, sans doute, été arrangé par Mgr Arnaud Ferdinand de la Porte, grand-oncle maternel de la mariée et archevêque de Carcassonne de 1802 à 1824.
Ils auront trois enfants : Félix (né le 7 août 1809, décédé en mer au large des États-Unis le 8 mai 1834 ; il était vice-consul à Mexico), Paul (né et décédé à Tours, 22-24 février 1812) et Pauline (née à Tours le 15 janvier 1814 et décédée à Paris 1er, le 7 juillet 1833).
Après son éviction par la seconde Restauration et sa radiation de la Légion d'honneur qu'il ne retrouvera que le 23 mai 1825, mais également la non-restitution de la caution de son poste de receveur, il s'occupe de mettre à jour les papiers de ses différentes missions. Il écrit un ouvrage sur les finances de l'Égypte durant l'expédition des Français, paru dans la Revue britannique en 1882, participe également à la rédaction de l'histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte de L. Reybaud et aide ses frères Louis Vincent et Guillaume Joseph dans leurs démarches, l'un pour retrouver un emploi et le second pour réfuter l'accusation de Napoléon Ier.
Durant cette époque, il vit à Paris, le couple ayant un pied-àterre au 13 place de la Madeleine et une propriété, « Le Rotoy », appartenant à sa femme et située à côté de Gien dans le Loiret où il chasse. Il meurt à Orléans le 13 août 1854. Il dispose depuis le 1er mars 1833 d'une concession au cimetière du Père-Lachaise où il repose avec toute sa famille (35e division).
Le benjamin, Guillaume Joseph
Mais le plus connu des trois frères est le benjamin, Guillaume Joseph baron Peyrusse né le 14 juin 1776.
Comme ses frères, il part le 18 septembre 1793 comme chasseur au bataillon de la masse, puis devient secrétaire d'état-major à l'armée des Pyrénées-Orientales de 1793 à 1800, date à laquelle il tombe malade et reçoit son congé définitif le 24 juillet 1800. Il regagne Carcassonne et jusqu'en 1805 travaille dans les affaires de sa famille.
Les bonnes relations de son frère André avec Estève, trésorier général de la Couronne, lui permettent de rentrer dans ce service le 2 octobre 1805 comme employé du Trésor de la Couronne. Inspecteur le 1er février 1808, il fait la campagne de 1809 en Autriche, puis devient payeur de l'ambassade chargée d'aller recevoir l'impératrice Marie-Louise à Braunau. Nommé chef des recettes du Trésor le 20 février 1810, il fait, comme payeur, les campagnes de Russie, de Saxe et de France. Il est nommé le 26 février 1814 sousinspecteur des revues dans la garde et chevalier de la Légion d'honneur. Après Saint-Dizier le 23 mars 1814, il suit Napoléon à l'île d'Elbe comme trésorier. Durant les Cent- Jours, il est trésorier général de la Couronne et officier de la Légion d'honneur le 21 juin 1815. À la seconde Restauration, il se retire à Carcassonne d'abord chez ses parents, puis dans son domaine de Laissac dans la commune de Limousis. La Restauration lui laisse son titre de baron décerné par Napoléon le 27 mars 1815, mais il ne reprend une activité qu'à l'avènement de Louis-Philippe, en étant nommé sous-intendant militaire le 21 juin 1831.
Conseiller municipal de la ville de Carcassonne le 13 septembre 1831, il devient maire de la ville du 12 décembre 1832 au 5 octobre 1835, puis membre du conseil général de l'Aude de 1840 à 1842, et est enfin élu président de la société des sciences et arts.
Il s'est marié à Carcassonne le 2 décembre 1818 avec Marie- Antoinette Cabal Roujan (23 décembre 1794 – Carcassonne, 8 juin 1883). Une fille est issue de cette union : Louise née et décédée à Carcassonne (16 novembre 1819 – 8 juin 1883), qui se mariera avec Augustin Cornet le 17 avril 1847, sans postérité.
Dès qu'il connaît l'accusation de l'Empereur Napoléon Ier, il s'efforça, avec l'aide de son frère André et celle de son gendre, ainsi que des exécuteurs testamentaires de Napoléon, de justifier ses comptes. C'est d'ailleurs l'objet du livre Mémorial des archives du baron Peyrusse.
Lors d'un voyage à Carcassonne le 3 octobre 1852, le prince Napoléon reçoit très aimablement le baron Peyrusse. Le Second Empire proclamé, il est nommé commandeur de la Légion d'honneur le 1er juillet 1853. Il décède à Carcassonne le 27 mai 1860 et repose au cimetière Saint-Vincent de Carcassonne.
Roger Quentin
Sources et bibliographie
Archives consultées
– Famille Roux Peyrusse : archives de l'Aude : séries 5MI, 5E 25, 69, 144, 268, 528 ; archives du Gers : cote 5M5 208 Miramont Latour ; cartulaires et archives des communes de l'ancien diocèse de Carcassonne ; L. H. Mahul Paris 1882, tome 2, pp. 35-36 ; tome 6, pp. 208-210 ; bibliothèque municipale de Carcassonne : cotes 10774 à 10817, fonds Peyrusse.
– Louis Vincent Peyrusse : service historique de la Marine : cote CC7 Alpha 1970 Louis Vincent Peyrusse ; archives municipales de Toulon : cote L 121 E18 – Naissance de Charles Hippolyte Prudent Peyrusse.
– André Peyrusse : archives départementales d'Indre-et-Loire : cotes provisoires 2M55, 3M6 ; archives municipales de Carcassonne : cotes 10774 à 10817, fonds Peyrusse ; archives municipales de Tours : série E – naissance Paul et Pauline Peyrusse ; archives nationales : série n° 5 493 F1C / III Indre-et- Loire ; LH 2136 41 Légion d'honneur ; Père-Lachaise : référence achat n° 101 PA du 1er mai 1833 ; archives affaires étrangères : 1re série n° 3254 – Félix Peyrusse ; archives départementales du Loiret : EC 304 67 décès A. Peyrusse.
– Guillaume Joseph Baron Peyrusse : archives municipales de Carcassonne : cotes 10 774 à 10 817, fonds Peyrusse ; archives nationales : cote 213 042 Légion d'honneur.
Principaux livres consultés
– Lettres inédites de Guillaume Peyrusse “à son frère André” 1809–1814, Léon Pelissier, Paris Plon, 1894 ; 1809 – 1815
– Mémorial des archives de Baron Peyrusse, Carcassonne, Labau éditeur, 1869.
– Six ttaciens célèbres, J. Amiel, Carcassonne, 1929, pp. 75-121.
– Correspondance de Napoléon Ier, Plon, 1860, t. 4, 7 et 8.
– Campagne d'Égypte, La Jonquière V., Berger-Levrault. Payeur principal Frémont,
– Les payeurs d'armées, t. 1, Paris, Plon, 1906.