RECAMIER, Juliette, (1777-1849), femme de lettres

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Beauté, mystère, sont les termes les plus souvent employés pour parler de Julie Bernard devenue, en pleine Terreur, la troublante et célèbre Juliette Récamier. Née à Lyon le 3.12. 1777, élevée dans un milieu bourgeois,

 elle aura, dès sa plus tendre enfance, au Couvent de la Déserte, la révélation de la puissance du charme, ce charme que, toute sa vie, aidée par sa mère, elle-même très belle, elle saura cultiver. Elle en jouera même avec perfection. Femme-enfant, gâtée par un mari admiratif, elle va profiter d'une liberté digne des femmes les plus modernes d'aujourd'hui. Coquette née, elle trouvera une véritable jouissance à se faire courtiser ; ses amoureux, platoniques et passionnés, viendront de tous les milieux pourvu qu'ils soient hommes en Nue, ses relations auront également l'avantage de servir les affaires d'un mari banquier qui doit savoir ménager tous les partis. Le premier de ces fous d'amour sera le propre frère du Consul : Louis Bonaparte, mais Eugène de Beauharnais, Moreau, Masséna, Bernadotte, etc… partageront cet honneur avec des royalistes bon teint tels qu'Adrien et Mathieu de Montmorency. Tous – et la liste sera longue puisqu'elle passera aussi par les émigrés célèbres et le Prince de Galles luimême – déçus en amour resteront des amis dévoués. Selon le jugement d'Anatole France, « elle savait, à l'exemple de Sainte Cécile, faire du célèbre canapé, une chaire d'abstinence et changer en agneau ceux qu'elle avait reçus comme des lions dévastateurs ». Son amitié, d'une rare qualité, pour Mme de Staël, va la faire basculer dans l'opposition.
La fille de Necker est la démesure faite femme. Admiratrice de Bonaparte, elle espérait devenir son égérie; déçue, elle sera son ennemie, oubliant, dans sa folie, qu'elle est ainsi également l'ennemie de la France. Elle va, entre autres, dresser l'Allemagne contre l'Empereur, prêchera la trahison à Bernadotte fautes que ne pourra pardonner Napoléon. Juliette, elle, passée dans le camp royaliste en soutenant ses amis, ne pardonne pas à Napoléon, l'exil auquel il a condamné son amie. Refusant de figurer parmi les dames d'honneur de la Cour, elle paiera de la ruine de son mari l'offense fa;te à l'Empereur. Courageuse – elle le sera toujours dans ses opinions – elle va chercher l'oubli de ses malheurs à Coppet et trouvera dans l'amour d'un Prince, Auguste de Prusse, une consolation à ses déboires; elle envisagera même de divorcer pour l'épouser. Pourtant, égarée sur une voie qui n'était pas la sienne, étourdie dans l'ambiance survoltée par les amours orageuses de Mme de Staël et de Benjamin Constant, elle renoncera à cet amour impossible.

En 1811, Napoléon, irrité par les outrances de Mme de Staël, va frapper de la même mesure d’éloignement les amis qui soutiennent cette « misérable femme ». Juliette va donc connaître l’exil jusqu’à la fin de l’Empire.

Au cours d'un séjour à Lyon elle fera la connaissance d'un homme dont l'amitié pure, désintéressée, absolument unique marquera toute sa vie : le philosophe Ballanche. Quittant Lyon pour l'Italie elle verra à Naples ses amis Caroline et Murat. Bien qu'exilée par un régime dont elle se sent totalement détachée elle donnera une leçon de patriotisme à Murat, dont elle apprend la trahison. Rentrée à Paris à la chute de l'Empire, les nouveaux vainqueurs seront les assidus de son célèbre salon et l'on verra Metternich la courtiser tout comme Wellington, Pozzo di Borgo, Talma ou Bernadotte. Benjamin Constant choisira ce moment pour devenir le plus fou, le plus inconscient des amoureux. Encouragé par cette « redoutable coquette », il n'hésitera pas, pour flatter les idées royalistes de la belle, à jouer la plus triste des palinodies. A partir de 1817, la vie de Juliette va prendre un tournant décisif. Germaine de Staël est morte le 14 juillet; à son chevet, aux derniers jours de sa vie, Juliette a rencontré l'homme qui va, dorénavant, prendre le pas sur tous les autres, absorber totalement sa vie, le seul homme qu'elle ait aimé : Chateaubriand. Peu de temps après, la ruine définitive de Récamier va obliger le ménage à des mesures restrictives du train de vie. Il vivra dans un modeste appartement avec le père de Juliette, elle ira chez les religieuses de l'Abbaye-aux-Bois et ne partagera plus que les repas avec son mari. Dans ce nouveau salon, modeste oh! combien! elle va réunir toute la fine fleur de la littérature et l'Abbaye, plus encore que les salons dorés d'antan, va devenir bientôt le salon le plus célèbre, l'anti-chambre de l'Académie. Chateaubriand, le plus grand écrivain de son temps mais aussi l'être le plus insupportable, égoiste, tyrannique, sensuel, va trahir et décevoir Juliette au point qu'elle mettra, pour 18 mois, entre eux, la distance de la France à l'Italie. Mais on pardonne toujours à ceux qu'on aime et revenue à Paris elle a pardonné à son « grand homme ». Devenu le Dieu tout puissant de l'Abbaye c'est là qu'il réalisera sa grande oeuvre: les Mémoires, devenus d'Outre-Tombe. La vieillesse installée entre eux verra l'un, devenu paralysé, partager le sort de l'autre, devenue aveugle. Il s'éteindra le 4 juillet 1848, elle lui survivra 10 mois, emportée par le choléra le 11 mai 1849.

Que doit-on penser du « mystère Récamier », cette vertu qui fit couler tant d’encre ?

Analysons la situation : le mariage de Juliette et de Récamier, fait incontestable et incontesté, ne fut jamais ni béni, ni consommé. Mais Récamier était-il d'accord pour qu'il en fut ainsi ? Certes, il avait épousé Juliette en pleine Terreur pour qu'elle fut son héritière, convaincu qu'il était – et non sans raison – de périr sur l'échafaud mais, au moment où Juliette lui demande de divorcer afin qu'elle puisse épouser le Prince de Prusse, ne lui écrit-il pas : « je regrette d'avoir respecté des susceptibilités et des répugnances sans lesquelles un lien plus étroit n'eut pas permis cette pensée de séparation ». Juliette qui, alors, songe au suicide, lui répond . « je conserverai jusqu'au dernier battement de mon coeur le souvenir de nos bontés et le regret de n'avoir pas été pour vous tout ce que je devais ».
Mérimée, le premier, puis le Dr Cabanès, ont parlé « d'impossibilité physiologique » pour expliquer cet état de fait. Il faut bien constater que Récamier beaucoup mieux placé pour le savoir, dément formellement cette explication douteuse puisqu'il ne s'agit que de « susceptibilités et de répugnances », ce que « regrette » Juliette. Si, lors de son mariage quand elle avait 15 ans, elle pouvait ignorer ou redouter les conséquences qui en découlaient, il ne pouvait en être de même quand elle rencontre le Prince. Elle a alors 30 ans, sa vie et ses fréquentations l'ont initiée. Comment aurait-elle envisagé ce mariage si elle s'était cru incapable de répondre à la passion d'Auguste de Prusse ? Madame de Stael qui provoqua la rencontre et poussa au mariage, grande confidente de Juliette, n'aurait pas agi ainsi connaissant une « impossibilité » de son amie.
Autre supposition : on pensa que Récamier pouvait être le père de Juliette ayant eu des « tendresses » pour Madame Bernard. Non seulement on ne put jamais savoir jusqu'où allèrent ces « tendresses », mais encore ce lien n'eut lieu qu'après la naissance de Juliette ; Récamier aurait-il eu le désir de « vaincre les susceptibilités » de sa jeune femme s'il avait su être son père ? certainement pas.
Dernière supposition : on a expliqué cette situation par son amitié pour Germaine de Staël, amitié, nous dit le duc de Castries, qui « frôlaient l'amour ». Se contenta-t-il de frôler ? Les lettres de Germaine pourraient faire croire le contraire. Mais Germaine, c'est la démesure! Ses amants, impossible à dénombrer, étaient effrayés de ses scènes, de ses cris, de ses exagérations. Tout cela se retrouve dans son courrier délirant. En fait, l'une et l'autre menaient leur vie privée indépendamment, l'une dans l'abstinence, l'autre dans les excès. Germaine prouva toute sa vie son intérêt pour les hommes; elle eut 5 enfants de 4 pères. La seule brouille qui exista entre les deux amies fut provoquée par le fait que le jeune Borante, amant de Germaine, courtisait Juliette qui l'encourageait. Comment Germaine amoureuse de Juliette l'auraitelle poussée à épouser le Prince ? Alors ? tous les hommes qu'elle affola restèrent-ils des amoureux platoniques ? La certitude du contraire est maintenant dévoilée par les archives, découverte récente puisqu'elle date de 1961, grâce à Beau de Loménie, descendant de Louis de Loménie marié à la fille de Mme Lonormand, fille adoptive de Juliette et dépositaire de sa pensée et de ses archives. Louis de Loménie connut Juliette à l'Abbaye alors qu'elle avait 62 ans et lui 25. Pour le retenir, elle lui laissa espérer qu'il serait son biographe. En tête à tête elle lui dicta ses souvenirs. Louis, en la quittant, notait immédiatement, « à chaud » tout ce qu'il avait vu et entendu. Tout cela était écrit sur un petit cahier personnel. Les Loménie qui vénérait le souvenir de Juliette ne voulurent jamais parler de ce petit cahier jugé trop dangereux par sa spontanéité.
Après dépôt des archives Récamier à la Bibliothèque Nationale et aux Archives Nationales, Beau de Loménie retrouva le cahier, exclu du dépôt. Comprenant l'intérêt de cette découverte pour l'Histoire, il le communiqua à Alain Decaux avec autorisation de dévoiler son contenu. Voici ce que contenait le cahier : « Après le dîner, les deux vieux sont partis et le tête à tête a commencé… nous avons passé sur le fameux amour du Prince. Elle a trouvé un tour charmant de femme pour me faire une confession difficile. Les 15 jours d'amour à Coppet, on allait se promener sur l'eau… dans la persuasion où j'étais que nous allions nous marier, nos rapports étaient fort intimes. Toutefois, je dois vous prévenir qu'il lui manquait quelque chose. Le souvenir de ces 15 jours et celui des 2 années à l'Abbaye au temps des amours avec M. de Chateaubriand sont les plus beaux, les seuls beaux de ma vie. Il y a cependant une différence: c'est qu'il manquait quelque chose au Prince, à M. de Chateaubriand « il ne manquait rien ». Il n'y a donc plus de mystère!
Cette conférence était illustrée de diapositives dûes à l'obligeance des propriétaires de la Vallée-aux-Loups, du Père Abbé de la Maison Marie-Thérèse av. Denfert-Rochereau et du Conservateur de la Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, qui ont ainsi prouvé l'intérêt qu'ils portaient au Souvenir Napoléonien.

Auteur : Louise Linden
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 304
Mois : 03
Année : 1979
Pages : 30-31  
Le 27 novembre, Louise Linden, Présidente, présentait cette conférence : « Juliette Récamier, la belle opposante ».

 

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