SAY Jean-Baptiste (1767-1832), tribun, industriel et économiste lyonnais

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SAY Jean-Baptiste (1767-1832), tribun, industriel et économiste lyonnais
Jean-Baptiste Say (c) DR.

Jean-Baptiste Say est né à Lyon, le 5 janvier 1757, dans une famille de réfugiés protestants, originaire de Nîmes et tout d’abord exilée à Genève avant de se fixer à Lyon, après la révocation de l’édit de Nantes (1685).

Très jeune, Jean-Baptiste suit un cours de physique expérimentale dans une école fondée à Ecully, par deux savants italiens, Giro et Goratti.

Ensuite, son père l’envoie à Londres, avec son frère Horace, pour terminer ses études commerciales. Il apprend l’anglais et il est le témoin du mouvement d’industrialisation qui s’installe en Angleterre.

À l’époque, il était en pension à Croydon, dans un village près de Londres, où, à la suite du vote de l’impôt sur les portes et fenêtres, le propriétaire, pour alléger sa charge fiscale, fait condamner une des deux fenêtres de sa chambre. « Me voilà donc privé d’une fenêtre sans que le Trésor en soit plus riche », se dit le futur économiste et il se pose la question : « À quoi servira donc cet impôt ? » et trente ans plus tard, il insérera dans son Cours complet d’économie politique, un chapitre curieux sur « les impôts qui ne rapportent rien ».

En revenant d’Angleterre (1787), Jean-Baptiste travaille en qualité de commis dans une banque, puis dans une compagnie d’assurances sur la vie dirigée par Étienne Clavière (Genève, 1735 – Paris, 1793), qui sera « ministre des contributions et revenus publics », en France, après Necker, en 1793 (1). Clavière lui ayant prêté un exemplaire de l’Essai sur la richesse des nations (1776) d’Adam Smith, Jean-Baptiste est saisi d’admiration, il commande un exemplaire à Londres et, désormais, il ne s’en séparera plus.

Mirabeau l’emploie ensuite pour la rédaction du Courrier de Provence, ce qui lui permet d’entrer en contact avec les personnalités de son temps (2).
En 1792, il s’engage dans la Compagnie des Arts qui, pour la défense de la patrie, regroupait les étudiants parisiens (lettres, sciences, droit, médecine et beaux-arts), où il retrouve, notamment, Louis-françois Lejeune (voir Revue du Souvenir Napoléonien, n°447, p. 65) et Isabey (voir Revue du Souvenir Napoléonien, n°431). Ainsi, Jean-Baptiste est présent à Valmy.

Le 25 mai 1793, il épouse Julie Gourdel-Deloches, la fille d’un ancien avocat normand aux Conseils du Roi, ce qui le fixe à Paris.

En 1794, il fonde la Décade philosophique, littéraire et politique, avec Chamfort, Ginguené (voir Revue du Souvenir Napoléonien, n°411), Amaury Duval et Andrieux et assure les fonctions de rédacteur en chef pendant six ans (1794-1800).

En 1798, avant de partir en Égypte, le général Bonaparte lui demande de lui composer une bibliothèque qu’il emporterait.

En 1799, au retour, après Brumaire, le Premier Consul, soucieux de ménager les idéologues, le fait entrer au Tribunat, où il se révèle assez vite comme opposant au Consulat et à l’Empire.

En 1803, Jean-Baptiste Say fait paraître un Traité d’économie politique, simple exposé de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses.

C’est un succès. Jean-baptiste Say est considéré comme un vulgarisateur d’Adam Smith, dont il clarifie, précise et corrige les théories. Son apport personnel peut se résumer comme suit : 1) ce n’est pas le travail, mais l’utilité du travail qui définit la valeur ; 2) l’industrialisation produit une extension continuelle sans risque de chômage et sans risque de surproduction, si, à cet égard, « les échanges restent libres » ; 3) le rôle économique essentiel n’appartient pas au « capitaliste », ni aux « propriétaires fonciers » mais à « l’entrepreneur ».

Le Premier Consul l’invite à Malmaison. Au cours d’une promenade dans les allées du parc, il lui expose ses idées pour relever les finances publiques et lui demande de publier une nouvelle édition du Traité, afin d’en faire un livre de circonstance. Say n’est pas convaincu, il refuse. Il y a donc désaccord entre les idées autoritaires du Premier Consul et les idées libérales de Jean-Baptiste Say.

En 1804, l’économiste est exclu du Tribunat et il refuse la nomination comme directeur des Droits Réunis (5 ventôse an XIII – 25 avril 1804). La seconde édition de son Traité est prête, mais on conseille à l’éditeur de renoncer à sa publication.
Ne pouvant publier ses écrits, Jean-Baptiste s’oriente vers l’industrie. En 1807, avec Grivel, un autre homme d’affaires d’origine lyonnaise, il crée à Auchy-le-Château (Pas-de-Calais) une filature de coton, qui aura bientôt 400 employés (surtout des femmes et des enfants). Cependant, le Blocus continental entrave le développement de la filature. Aussi, en 1813, il revend ses parts à Grivel et revient à Paris, pour se consacrer désormais à l’enseignement.

Sous la Restauration, il fait paraître de nombreuses éditions de son Traité d’économie politique (5 éditions françaises et 21 éditions étrangères), un Catéchisme d’économie politique (1815), Lettre à Malthus (1820) et un Cours complet d’économie politique (1828-1829).

Il débute son cours à l’Athénée royale, puis au Conservatoire des Arts-et-Métiers (1819) créé par l’abbé Grégoire (voir Revue du Souvenir Napoléonien, n°415). En 1830, il est nommé professeur d’économie politique au Collège de France, une chaire créée pour lui.

Jean-Baptiste Say meurt à Paris, 86, rue du Faubourg Saint-Martin (10e), le 14 novembre 1832, à 75 ans. À sa mort, il est l’économiste français le plus célèbre du temps. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (39e division, bloc rehaussé par une pyramide, 5e ligne, chemin Camille Jordan), voir Guide Napoléon, p. 364.

Selon Jean-Baptiste Say, l’économie politique vise les lois qui régissent la production, la distribution et la consommation des richesses. Les richesses se produisent au moyen de trois grandes branches : l’agriculture, l’industrie et le commerce. Les capitaux et les fonds de terre sont les principaux instruments de la production. Sur ces bases, il a élaboré la théorie des débouchés, selon laquelle « les produits s’échangent contre des produits ». La monnaie vaut comme intermédiaire des échanges, non comme « valeur forte ». « Dans tout État, plus les producteurs sont nombreux et les productions multipliées, et plus les débouchés sont faciles, variés et vastes ».

Son influence ? Elle se manifestera chez Frédéric Bastiat (1801-1850), Pellegrino Rossi (1787-1848), Michel Chevalier, conseiller de Napoléon III (1806-1879). On a souvent remarqué que Saint-Simon et Proudhon (qui qualifie Say d’« homme de génie ») lui doivent beaucoup. Aux États-Unis, ses ouvrages eurent de nombreuses éditions et C. Carey défendit son productivisme. En Italie, Francesco Ferrata prend des positions analogues à celles de Say, comme le fait Stanley Jevons en Angleterre. C’est en se référant surtout à la pensée de Say que Jevons écrit : « La vérité est avec l’École française et plus tôt nous le reconnaîtrons, mieux cela vaudra » (l’affirmation est catégorique : Encyclopédie Thématique Universalis, tome 15, p. 3842).

Parmi les trois frères de Jean-Baptiste Say, Jean-Henri (1771-1799), polytechnicien, officier du génie, fut blessé lors du siège de Saint-Jean d’Acre et ne survécut pas à ses blessures. Il avait fourni un Cours de fortifications au Journal de l’École Polytechnique (t. 1, 1794).

L’autre frère, Auguste dit Horace (1774-1840) a été industriel à Abbeville et à Nantes : il a initié, en France, le raffinage du sucre, participé au lancement de la station de Pornic et sa petite-fille, princesse de Broglie, devint la propriétaire du château de Chaumont-sur-Loire.

D’autre part, il faut également mentionner Léon Say, homme politique et économiste français, fils d’Auguste Horace, petit-fils de Jean-Baptiste (Paris, 1826-1896), préfet de la Seine (1871), ministre des Finances (1872-1873 et 1875-1879), président du Sénat et académicien. Par ses habiles dispositions, il a contribué au règlement rapide de l’indemnité de guerre exigée de l’Allemagne.

Quelles conclusions porter sur Jean-Baptiste Say ?
André Palluel-Guillard souligne que Say est « le père de l’école néoclassique et l’inspirateur du reaganisme au XXe siècle » (Revue du Souvenir Napoléonien, n°447, p. 9).
Et, il conclut : « Say est vraiment l’initiateur et l’inspirateur de la toute nouvelle science économique, ce qui n’est pas le moindre de ses succès mais il tenta aussi d’être ouvert à bien des sujets et bien des actions, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. »

Jean-Baptiste Say mit en évidence le rôle de l’industrie, faisant l’apologie du machinisme, de l’entrepreneur et de la loi des débouchés. Contrairement aux doctrines pessimistes de Malthus et de Ricardo, son libéralisme économique est profondément optimiste.

Selon le professeur Jean Tulard : « Say s’est imposé par son scientisme intransigeant et un credo libéral fondé sur sa propre expérience ».
Il fut un très chaud partisan de l’ère industrielle.

À Paris, un lycée, dans le 16e arrondissement, et une petite rue, dans le 9e, près de la rue Crétet, rappellent son souvenir.

Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien, n° 476 (juillet-sept 2008)

Notes
(1) Apprenant qu’on allait le déférer devant le tribunal révolutionnaire, le 9 décembre 1793, Étienne Clavière se poignarde la veille dans sa cellule et sa femme s’empoisonne à l’annonce de sa mort (Histoire de la Révolution, p. 652).
(2) Curieusement, Jean-Paul Desprat, l’auteur d’un récent Mirabeau particulièrement volumineux, ne mentionne pas la collaboration de Jean-Baptiste Say au Courrier de Provence.

Sources :
Michaud, Biographie générale, tome 38, p. 176 ; Dictionnaire Napoléon, p. 1544, notice Jean Tulard ; Encyclopédie thématique Universalis, tome 15, p. 3841 ; « Un maître de l’économie : Jean-Baptiste Say », par André Palluel-Guillard : RSN n° 447, p. 3, une remarquable analyse ; « Jean-Baptiste Say et Napoléon », par Jacques Wolff, université de Paris I, Revue de l’Institut Napoléon n°190-2005-I, p. 53 ; Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, nouvelle édition, Bordas, 1996, SZ, p. 5019 ; Dictionnaire d’Histoire de France, p. 956 ; Napoléon, Rencontre, 1969, tome 4, p. 187.

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