SIEYÈS Emmanuel-Joseph (1748-1836), député

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Emmanuel-Joseph Sieyès naît le 3 mai 1748 à Fréjus au sein d’une petite famille bourgeoise provinciale. Son père, employé des impôts et maître de poste, le pousse à entrer dans les ordres. Le jeune Sieyès suit donc ses études à Draguignan avant d’entrer au séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Il entre enfin dans les ordres en tant que prêtre en 1774. S’ensuit une période pieuse durant laquelle Sieyès se voit confier différentes missions auprès du vicaire général de Chartres jusqu’à ce qu’il obtienne la chancellerie de la cathédrale de Chartres en 1788.

SIEYÈS Emmanuel-Joseph (1748-1836), député
Emmanuel Joseph Sieyès, dit l'abbé Sieyès (1748-1836)
© RMN-Grand Palais (château de Versailles)

Cette même année, il rédige son Essai sur les privilèges et en tire déjà une notoriété certaine. Néanmoins ce succès n’est rien comparé à sa publication suivante publiée en janvier 1789 avec le titre évocateur de Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? : ce à quoi il répond « Tout. – Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? – Rien. Que demande-t-il ? – A y devenir quelque chose. ». S’écoulant très rapidement à de nombreux exemplaires, ce texte fondateur paru d’abord anonymement esquisse déjà les idées fondatrices de la future assemblée nationale constituante. Pour la première fois, la volonté de davantage peser dans l’ordre politique est publiquement évoquée, ce qui contribue à remettre l’ordre établi en question. Alors que jusqu’à présent le clergé, la noblesse – disposant de privilèges – et le Tiers état étaient – numériquement – égaux dans les assemblées royales, Sieyès réclame une représentation proportionnelle plus équitable de façon que le Tiers état, qui regroupe l’équivalent de neuf Français sur dix dans cette société de la fin du XVIIIe s., soit dorénavant prépondérant.

Élu député du Tiers état en 1789, il s’illustre aux États généraux au sein du parti patriote, ce mouvement rassemblant initialement ceux qui exhortaient le roi Louis XVI à convoquer les Etats généraux, et propose dès le 16 juin que le Chambre du Tiers état se proclame Assemblée des représentants de la Nation connus et vérifiés. Tandis que Mirabeau, orateur de plus en plus en vue dans les assemblées, avance l’appellation de représentants du peuple français, la proposition de Sieyès est finalement transformée et adoptée par 491 voix contre 90 le 17 juin 1789 : les députés du Tiers état se constituent en Assemblée nationale et ils prêtent serment à Dieu, le Roi et à la Patrie. Sieyès est encore présent le 20 juin 1789 pour prêter le serment « de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides », alors même que les gardes royaux procèdent à des arrestations et empêchent l’accès des députés à la salle du jeu de paume sous prétexte de réparations.

S’ensuit le temps des premières difficultés pour Sieyès. Opposé à la suppression de la dîme de même qu’au décret instituant la mise à disposition des biens du clergé, il parvient malgré tout à être élu président de l’Assemblée en juin 1790. La rédaction de la Constitution lui étant échu, il essuie plusieurs échecs successifs et ne parvient pas à obtenir de consensus sur les questions de droit de veto ainsi que sur le rôle de la seconde chambre. Encore élu administrateur du département de Paris en février 1791, il démissionne rapidement de toutes ses fonctions à l’issue de la séparation de l’Assemblée constituante qui laisse place à l’Assemblée législative en septembre 1791.

Sieyès entame une brève retraite en dehors de Paris, toutefois il répond à nouveau à l’appel des citoyens qui l’élisent dans trois départements en septembre 1792. Choisissant le mandat qui lui est confié dans la Sarthe, il retrouve les bancs de l’Assemblée. S’il siège aux côtés de la Plaine, le groupe des révolutionnaires les plus modérés, il n’hésite pas à voter la mort du roi Louis XVI et à se ranger de cette manière du côté des Montagnards, groupe dont les membres sont bien souvent des révolutionnaires acharnés. Il s’attire cependant les foudres de bon nombre de députés en raison de ses méthodes de couloir qui le conduisent bien souvent à agir dans l’ombre, ce qui pousse Robespierre à le qualifier de « taupe de la Révolution ne cessant d’agir dans les souterrains de l’assemblée ». La période de la Terreur instaurée, Sieyès décide dans un premier temps d’abandonner définitivement sa charge de prêtre et de se mettre en retrait. Se faisant quelque peu oublier, il revient en décembre 1794 en entrant au Comité du salut public et présente quelques mesures afin de restaurer l’ordre public.

Sieyès se fait ensuite élire président de la Convention en mai 1795, il propose divers projets de réforme constitutionnelle qui sont tous rejetés les uns après les autres, ce qui le conduit à s’opposer aux directeurs Reubell et Barras, nouvelles figures fortes du régime du Directoire qui se met en place après la chute de Robespierre.  Lui-même nommé quatrième directeur de ce nouveau régime en octobre 1796, il refuse ce poste ainsi que le portefeuille des Affaires étrangères en raison notamment de ces divergences sur le plan constitutionnel.

Parallèlement à sa carrière politique, Sieyès obtient un poste de professeur d’économie politique de l’École centrale de Paris de même qu’un siège à l’Institut lors de la création de ces institutions en 1795. Par la suite, il obtient la présidence du Conseil des Cinq-Cents, la chambre basse du régime, et face aux menaces grandissantes du camp royaliste, il se rapproche et se rallie au coup d’Etat du 18 fructidor An V, renforçant le pouvoir exécutif des Directeurs.

Il embrasse également une carrière diplomatique avec sa nomination au poste d’ambassadeur de la République française en Prusse, où de juin 1798 à mai 1799, il tente de maintenir -avec brio- la neutralité du roi Frédéric-Guillaume III. Fort de cet important succès diplomatique, Sieyès remplace son rival Reubell dans l’exécutif collégial du Directoire en mai 1799. En revanche, il n’a toujours pas perdu de vue ses projets de révision constitutionnelle. Avec Roger Ducos, un proche et allié de longue date, nommé directeur à la faveur d’un coup d’Etat institutionnel, Sieyès commence à conspirer contre un Directoire s’essoufflant chaque jour davantage.

Disposant déjà de l’appui financier des futurs fondateurs de la Banque de France, Claude Périer et Jean-Frédéric Perrégaux, Sieyès se met à la recherche d’un « sabre ». D’abord réticent à employer Bonaparte qu’il juge trop dangereux, trop ambitieux, il est poussé par les circonstances à s’allier avec lui. En effet, Jourdan est trop proche des milieux jacobins, de même que Macdonald, Moreau est suspecté de royalisme et Hoche et Joubert sont morts en campagne. Les négociations entre Sieyès et Bonaparte débutent dans un climat de méfiance réciproque et pour que rien ne filtre, les aspects concrets du coup d’Etat sont confiés à l’inévitable Talleyrand, ainsi qu’à Roederer.

Des semaines durant, les conspirateurs se réunissent rue de la Victoire chez Bonaparte pour préparer ce coup d’Etat. Les dates du 18 et du 19 brumaire An VIII (9 et 10 novembre 1799) sont retenues. Faisant preuve d’un sang froid extrême tandis que Bonaparte est en difficulté face à des assemblées qui lui sont hostiles, Sieyès joue un rôle essentiel durant ces deux journées. Tandis que le jeune général craint d’être mis hors-la-loi par les Cinq-Cents, Sieyès sait trouver les mots pour le rassurer et le pousser à utiliser la force armée pour faire évacuer la salle de l’Orangerie, où siègent les députés.  Au soir de cette journée décisive, Sieyès est nommé consul provisoire aux côtés de Ducos et de Bonaparte. Néanmoins, au cours des semaines qui suivent, Bonaparte prend un ascendant insoupçonné sur les deux autres consuls, parvenant à s’accaparer rapidement l’essentiel des pouvoirs, tandis que Sieyès et Ducos sont remplacés par Cambacérès et Lebrun.

Toutefois, si son projet de constitution s’est heurté au refus définitif du Premier Consul Bonaparte, Sieyès influence durablement l’organisation politique du Consulat puis de l’Empire : au niveau de l’affaiblissement du suffrage, par le système des listes de confiance avec multiplication des scrutins afin d’atténuer les variations du corps électoral, et au niveau de l’affaiblissement du législatif, par la multiplication des assemblées et une division poussée du travail d’élaboration des lois, le tout synthétisé dans son mot fameux « la confiance vient d’en bas, l’autorité vient d’en haut. ».

Sieyès obtient ensuite la présidence du Sénat conservateur, est titré comte de l’Empire en 1809, pair de France pendant les Cent-Jours avant de tomber finalement en disgrâce sous la Restauration. Prenant la route de l’exil, il se réfugie à Bruxelles en 1816 et ne rentre que sous la monarchie de Juillet en 1830.

Écarté de toute responsabilité, il est toujours honoré et considéré comme un vieux sage, acteur déterminant de l’événement le plus important de son temps. Diminué mentalement et intellectuellement à la toute fin de sa vie, il crie un jour à un jeune visiteur « la Constitution, c’est moi ! », symbole de ce qu’était finalement sa vie : une tentative incessante de s’identifier aux institutions.

Emmanuel-Joseph Sieyès décède le 20 juin 1836 à Paris à l’âge de 88 ans. Il est inhumé civilement le 22 juin suivant dans la division 30 du cimetière du Père-Lachaise.

Eymeric Job
Juillet 2019

Pour aller plus loin

  • Dictionnaire Napoléon, vol.2, Jean Tulard
  • Sieyès : la clé de la Révolution française, J-D Bredin, Fallois, 1988
  • Sieyès et l’ordre de la langue : l’invention de la politique moderne, J. Guilhaumou, Kimé, 2002
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