TOURNON-SIMIANE, Camille de (1778-1833), préfet de la Rome napoléonienne

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Les années de jeunesse et la carrière avant Rome

Né le 24 juin 1778, Philippe-Camille-Marcellin-Casimir était le 3ème enfant d'une famille de onze, famille de petite noblesse qui s'était installée à Claveson dans la Drôme. Enfant, il se révéla fort indépendant, plein d'esprit, courageux et formé très tôt à prendre un certain nombre de responsabilités, non sans resssentir une profonde affection pour sa mère. A 14 ans, il fut amené à délivrer son père fait prisonnier lors du siège de Lyon : il traversa la Suisse déguisé en postillon afin d'aider son père à fuir. La famille se réfugia à Calveson pendant la Terreur puis entre 1793 et 1803. Durant cette période, Camille, entre 16 et 25 ans, fut chargé de la gestion du domaine de Claveson, révélant ainsi non seulement son intérêt mais surtout de réelles qualités d'administrateur. Toute sa vie, il resta très attaché au domaine familial.
 
Comme Tournon l'a écrit dans ses mémoires écrites à la fin de sa vie, c. 1832 (aujourd'hui perdues mais connues grâce à des citations de Moulard), il passa ces neuf années à Claveson à étudier suivant un programme qu'il avait lui-même établi : latin, histoire (par la lecture de tous les livres d'histoire de la bibliothèque familiale), mathématiques, art militaire et plus particulièrement  « l'art de l'ingénieur ».' Il étudia également le droit, travaillant plus de 8 heures par jour dans l'agitation des jeux de ses jeunes frères et soeurs, et lorsque la gestion de la propriété familiale lui en laissait le loisir.  » J'y ai pris l'habitude de m'occuper sérieusement au milieu du bruit et d'être interrompu fréquemment, sans que ma rédaction s'en ressente. J'ai, pendant le même temps, continué à dessiner, et acquis assez de facilité ». (Moulard, Tournon, p. 16).

En 1803, Camille décida de quitter le paradis familial pour s'établir à Paris. Comme il l'écrivit pompeusement dans ses Mémoires,  » J'étais parvenu à 25 ans et j'avais acquis, dans une retraite de dix ans, des connaissances assez variées, mais sans perdre la vigueur du caractère ni de la pureté de sentiments que semble conserver la simplicité de la vie de campagne. Je me sentais capable de devenir, un jour, utile à mon pays et à ma famille, et je marchais plein d'espérance et de plaisir vers le nouveau but de mon existence. » Malgré les recommandations dont il bénéficia de la part de personnalités proches de Bonaparte, telles que Mgr Boisgelin, Regnault de Saint-Jean d'Angely, Chaptal et Lebrun, il ne trouva aucun poste. Six mois après son arrivée à Paris, Tournon fut enfin appelé par Chaptal, pour travailler à la rédaction du code rural. Impressionné par les qualités de Tournon, Chaptal le fit entrer dans l'administration. Tournon refusa dans un premier temps les postes de directeur des octrois, sous-préfet, et sécretaire général de préfecture, tout à son ambition et à son désir d'entrer au Conseil d'Etat : ce fut chose faite en février 1806, comme auditeur dans la Section de l'intérieur.

Tournon à Bayreuth

Après une courte mission d'inspection en Alsace, en Lorraine et au Luxembourg, Tournon reçut l'ordre le 24 octobre 1806 de se rendre à Berlin où il fut nommé Intendant à Bayreuth, région cédée à la France par la Prusse (Traité de Tilsit, juillet 1806). Lors de cette période dénommée « l'intermède français », Bayreuth souffrit grandement de la présence des contingents bavarois (Moulard Tournon, I, 144-57). Le 10 avril 1809, les hostilités, précédant la bataille d'Essling, reprirent, et le 12 avril, Tournon se replia à Würzburg. Mais peu après son retour à Bayreuth accompagné de Bernadotte et de ses jeunes troupes de Saxe, il est capturé par Radivojevich et emprisonné à la forteresse de Munkacs en Hongrie, mais il bénéficia d'un échange avec le Comte de Goetz, Intendant général de l'Armée autrichienne détenu à Mantua en Italie (Dunan, Allemagne, p. 653). Recouvrant la liberté trois mois plus tard, Tournon fut reçu par Napoléon à Schönbrunn en septembre, et put lui remettre son rapport sur la Hongrie (Tournon, Note). Le 7 septembre, Tournon fut nommé « Préfet de Rome et du Tibre », en Italie.

La fonction de préfet

La loi du 28 Pluviôse An VIII (17 février 1800), mettait un seul homme à la tête du Département : le Préfet, qui remplaçait les anciennes administrations collégiales. Désigné par le Premier Consul, puis par l'Empereur, le préfet était le représentant du gouvernement dans le département. Directement responsable devant le Ministère de l'Intérieur, il détenait l'ensemble des pouvoirs administratifs. Seules lui échappaient les finances, auxquelles s'ajouta en 1809 l'enseignement après la création de l'Université impériale. Cependant, le préfet ne maîtrisait pas tous les aspects de la gestion du département : il devait partager certaines prérogatives relevant de la police, avec la gendarmerie, les gardiens de la paix et les commissaires de police qui relevaient respectivement du Ministère de la Guerre, du Ministère de la Justice et du Ministre de Police. Le préfet était assisté, et remplacé en cas d'absence, par un Secrétaire de préfecture nommé par le gouvernement.  » L'organisation des préfectures », déclarait Napoléon à Las Cases (Las Cases, Mémorial, jeudi 7 novembre 1816), « leur action, les résultats étaient admirables et prodigieux. La même impulsion se trouvait donnée au même moment à plus de 40 millions d'hommes ; et, à l'aide de ces centres d'activité locale, le mouvement était aussi rapide à toutes les extrémités qu'au coeur même. […] Les préfets, avec toute l'autorité et les ressources locales dont ils se trouvaient investis, étaient eux-mêmes des empereurs au petit pied ; et comme ils n'avaient de force que par l'impulsion première, dont ils n'étaient que les organes, que toute leur influence ne dérivait que de leur emploi du moment, qu'ils n'en avaient point de personnelle, qu'ils ne tenaient nullement au sol qu'ils régissaient, ils avaient tous les avantages des anciens grands agents absolus sans aucun de leurs inconvénients. »

Tournon, Miollis et la Consulte provisoire (Consulta Straordinaria)

Le 7 mai 1809, les Etats pontificaux furent annexés à l'Empire français, et un décret organisa une Consulte provisoire (Consulta Straordinaria), chargée de seconder le préfet dans l'administration de Rome et de sa région. La Consulte était composée de 4 membres, Sextius-Alexandre-François Miollis, gouverneur général, Laurent-Marie Janet, Joseph-Marie de Gérando et Ferdinando Dal Pozzo (maîtres de requêtes du Conseil d'Etat, dont on peut trouver les biographies sur le site napoleonica.org) et un secrétaire Cesare Balbo.
L'une des tâches les plus délicates qui aurait dû revenir à Tournon, concernait la supervision de l'enlèvement du pape Pie VII, mais heureusement pour lui, Miollis et Radet s'en étaient chargé quelques mois auparavant. Les relations entre Tournon et l'ascétique Miollis se révélèrent particulièrement difficiles : tous deux avaient un caractère très afffirmé et leurs prérogatives respectives n'étaient pas assez clairement définies pour éviter tout conflit. Tournon se montra énergique et très intéréssé par les domaines qui lui étaient dévolus. Il était alors reconnu pour ses travaux statistiques, notamment par ses publications sur la région de Bayreuth et sur la Hongrie. Parcourant la région pour améliorer les informations cadastrales, Tournon en profita pour entreprendre une étude de grande envergure sur l'ensemble de la région romaine, dont les résultats furent publiés en 1831 sous le titre d'Etudes statistiques.

Assainissement des marais Pontins et embellissement de la ville de Rome

Les trois grands projets de la préfecture de Tournon furent consacrés à embellir Rome, à rendre le Tibre navigable et à assainir les marais Pontins, susceptibles d'être transformés en de fertiles terrains agricoles mais pour l'heure source de terribles épidémies de malaria.
Ce dernier projet fut approuvé par Napoléon en juillet 1811 et les travaux débutèrent dès 1812, mais de fortes tempêtes à la fin de 1813, détruisant les digues, et la détérioration financière dans ces dernières années de l'Empire, ralentirent les travaux, qui prirent fin avec le départ de Tournon en 1814. (L'assainissement reprit sous Mussolini, et des résultats significatifs purent être notés dès 1926).
 
Un décret impérial du 27 juillet 1811 créa une Commission pour l'Embellissement de Rome, constituée de 3 membres, Luigi Braschi Onesti, maire de Rome, Martial Daru (un cousin de Stendhal) et Tournon. Le premier article du décret définissait l'attribution annuelle de crédits pour : des fouilles archéologiques, l'amélioration de la navigation sur le Tibre, la construction d'un nouveau pont, l'embellissement des places Trajane et du Panthéon, la construction de promenades près de la place du Peuple (piazza del Popolo), du Forum, du Colisée et du Palatin. La Commission décida également d'autres fouilles archéologiques au Colisée et dans les bains de Titus (c'est-à-dire « la maison dorée », ou Domus Aurea). Parmi l'ensemble des travaux entrepris, c'est la place du Peuple (projet de Valadier, terminé en 1824), qui conserve le plus d'éléments de cette époque de transformation de Rome. Comme Stendhal l'écrivait dans ses Promenades à Rome, « ce sont pourtant les Français, qui quelquefois font des choses si ridicules à Paris, qui ont construit ces rampes admirables qui du niveau de la place du Peuple conduisent au sommet du Monte Pincio. » (Paris : 1829, p. 728)

1813 – La lutte contre le brigandage

La fin de la période de la présence française fut marquée par un important problème de sécurité publique et notamment de brigandage. Il y avait 8 bandes qui « exerçaient » de concert, rejointes par des déserteurs : vols armés sur les grandes routes, meurtres, enlèvements, étaient les principaux crimes perpétrés contre les civils et notamment les propriétaires terriens. Savary relevait dans son Rapport du ministre de la Police générale, 15 Septembre 1813 (Imprimés de travail du Conseil d'Etat, collection Gérando 2969, Section de législation. M. le Comte Boulay, Rapporteur. N.o d'enregistrement, 39224, Rapport et Projet de Décret : Pour la Répression du brigandage dans les départemens de Rome et du Trasimène.) que le nombre de crimes était monté à 350 depuis ces trois dernières années. Des mesures furent discutées puis votées par le Conseil d'Etat, créant une « Garde soldée » et un corps de Gendarmerie spécialement affecté à la ville de Rome (Imprimés de travail du Conseil d'Etat, collection Gérando 2935. Section de la guerre. M. le Chevalier Allent, Maître des Requêtes, Rapporteur. 2.e Rédaction. N.o d'enregistrement, 38890). Alors que les problèmes empiraient, Murat faisait son coup d'Etat à Rome le 19 janvier 1814. La Vauguyon fut nommé Commandant Suprême des Etats Romains et Miollis fut remplacé. Refusant son soutien à Murat, Tournon quitta Rome le lendemain et arriva à Paris le 15 février. Ainsi prit fin la grande préfecture romaine de Camille Tournon.

La Première et la Seconde Restauration, les Cent-Jours et la fin de sa carrière

Bien que Tournon se rallia aux Bourbons, aucun poste administratif ne lui fut attribué. Il se retira aolrs dans son Château de Génélard, qui provenait de ses beaux-parents, où il commença l'écriture de ses Etudes statistiques. A son retour au pouvoir, Napoléon offrit à Tournon les préfectures de l'Hérault puis du Finistère (en avril 1815), mais il refusa les deux. Le 9 juillet, Louis XVIII lui proposa de devenir Préfet de Bordeaux. Cette fois, Camille accepta.

Il devint par la suite Préfet de Lyon le 10 janvier 1822 et fut fait Commandeur de la Légion d'Honneur le 21 août de la même année. Il démissionna de son poste de préfet de Lyon l'année suivante pour rejoindre le Conseil d'Etat où il devint président du Conseil des Bâtiments Civils. Pair de France le 24 Decembre 1823, il quitta le Conseil d'Etat après la Révolution de Juillet et s'opposa devant la Chambre des Pairs à la suppression de l'hérédité des paieries, au bannissement des Bourbons et à la loi sur le divorce. Il sortit de la chambre juste après son discours et n'y revint jamais. Après la publication des Etudes statistiques (mais pas de ses Mémoires, qui restèrent manuscrite et furent perdues), Camille Tournon mourut au Château de Génelard le 18 juin 1833.
 
Ainsi disparaisait l'homme que le Ministre de l'Intérieur, Montalivet décrivait en 1811 comme  » [son] plus jeune et [son] meilleur préfet ».
 
 
Auteur : Peter Hicks, mars 2002 (trad. de l'anglais par I. Delage)

Bibliographie

– AA.VV., Camille de Tournon : le Préfet de la Rome napoléonienne (1809-1814), Paris : Rome; Rome : Fratelli Palombi Editori, 2001, 182 p., includes articles by Bruno Foucard et al.
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Includes articles by :
Carlo M. TRAVAGLINI, Introduzione, Stefania NANNI, Geografie e durate per la storia del biennio giacobino, David ARMANDO, I baroni romani nella Repubblica gioacobina: l'abolizione dei diritti feudali, Monica CALZOLARI – Elvira GRANTALIANO, La Polizia pontificia: rapporti tra centro e periferia nello Stato ecclesiastico, Raffaele SANTORO, Il ruolo dei giudici di pace, Maura PICCIALUTI, Istituzioni napoleoniche a Roma: i « depôts de mendicité », Carla NARDI, La Roma di Napoleone nella corrispondenza di un diplomatico, Massimo CATTANEO, L'invidia appagata: « de' prodigj avvenuti in molte sagre immagini specialmente di Maria Santissima in Roma », Domenico ROCCIOLO, Il Vicariato di Roma tra Rivoluzione e seconda Restaurazione (1798-1814), Philippe BOUTRY, La prelatura di Curia tra Rivoluzione e Restaurazione, Marina FORMICA, La legislazione annonaria e le rivolte per il pane nel 1798-1799, Rita D'ERRICO, I censi a Roma nella congiuntura monetaria di fine Settecento, Carlo TRAVAGLINI, Aspetti della modernizzazione economica tra fine Settecento e inizi Ottocento. La politica fiscale, Donatella STRANGIO, Progetti francesi per il debito pubblico pontificio, Franco ONORATI, Il ruolo del Monte di Pietà di Roma negli anni di influenza e dominio francese. Gli interventi del Card. Aurelio Roverella, Marina MORENA, A proposito di nuovi modelli proposti dai francesi per l'amministrazione del bollo e per la fabbricazione delle carte da gioco nello Stato pontificio (1798-1814), Eugenio SONNINO – Adriana BRASIELLO, La mortalità infantile a Roma durante la seconda dominazione francese in base alle registrazioni dello « stato civile », Paolo ALVAZZI DEL FRATE, Cultura giuridica e dominazione francese nello Stato pontificio (1798-1814), Francesca SOFIA, Antico e moderno nel costituzionalismo di P.C.F. Daunou, commissario civile a Roma, Maria Pia DONATO, Immagini e modelli della virtù repubblicana, Pietro THEMELLY, Rinnovamento e normalizzazione nel teatro romano in età giacobina e napoleonica, Annarosa CERUTTI FUSCO, L'accademia di San Luca nell'età napoleonica: riforma dell'insegnamento, teoria e pratica dell'architettura, Luigi MASCILLI MIGLIORINI, Epifanie dell'antico, Anna Maria RAO, Roma e Napoli nell'Italia giacobina e napoleonica
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– Moulard Lettres – Moulard, Abbé Jacques, Lettres inédites du comte Camille de Tournon, préfet de Rome, 1809-1814, 1ere partie : La Politique et l'Esprit publique, Thèse complémentaire présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris pour le doctorat ès lettres par…, Paris : Librairie Ancienne Honoré Champion, 1914, 580 p.
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