Valentin Haüy (1745-1822), frère de René-Just, éducateur des aveugles

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Comme son frère René-Just, Valentin Haüy est né à Saint-Just-en-Chaussée (Oise), le 13 novembre 1745*. À Paris, où la famille Haüy s’était installée en 1751, Valentin fait de brillantes études classiques et se révèle très doué pour les langues. Au terme de ses études, il connaissait le latin, le grec, l’hébreu ainsi que neuf autres langues. Tout naturellement, il commence par faire des traductions pour les notaires et les agents d’affaires. La réputation de son « Cabinet des traductions » lui permet d’être reconnu comme « Interprète du Roi, de l’Amirauté et de l’Hôtel de ville ».
Son activité de traducteur se poursuit sous la Révolution, au ministère des Relations extérieures (où, notamment, il déchiffre la correspondance des émigrés) et, au début du Consulat, au ministère de la Police générale.

*Devant l’hôtel de ville de Saint-Just-en-Chaussée, un monument a été érigé en 1903, à la mémoire des frères Haüy (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 209). D’autre part, une stèle a été inaugurée, le 26 février 1993, à l’emplacement de la maison natale des frères Haüy.

Valentin Haüy (1745-1822), frère de René-Just, éducateur des aveugles
Portrait de Valentin Haüy, fondateur de l'Institution Nationale des Jeunes aveugles (1745-1822) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) - Gérard Blot

Mais, par ailleurs, Valentin Haüy avait trouvé sa vocation. Elle lui avait été révélée en 1771, au triste spectacle d’un concert burlesque d’aveugles-mendiants, à la foire Saint-Olive, qui se tenait alors sur la place Louis-XV (aujourd’hui place de la Concorde). À l’instar de l’abbé de l’Épée (1712-1789), qui avait réussi à mettre au point un système de langage gestuel pour les sourds-muets, Valentin Haüy avait l’ambition de trouver une méthode de compréhension et d’expression applicables aux aveugles. Cette idée généreuse le fait adhérer à la Société philanthropique créée en 1780 et animée par Condorcet (1743-1794), Bailly (1736-1793) et le duc de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827).

Valentin avait observé l’aptitude des aveugles à déceler les objets par le toucher : un aveugle qui mendiait lui avait fait remarquer qu’il lui avait donné « un petit écu » au lieu d' »un sou tapé » ; d’autre part, il avait été impressionné en assistant aux exercices musicaux de Maria Theresa von Paradis, une jeune autrichienne aveugle, virtuose du clavecin, du piano-forte et du chant, qui se produisait à Paris, aux Concerts spirituels (mars 1784).
Passant à la réalisation de ses idées, Valentin Haüy arrête une méthode et invente des caractères en relief pour enseigner la lecture aux jeunes aveugles. Avec ces moyens, il se charge de l’éducation d’un jeune aveugle, François Lesueur, originaire de Lyon et qu’il avait recueilli (François Lesueur figure à côté de Valentin Haüy dans le monument élevé dans la cour d’honneur de l’Institut national des jeunes aveugles, à Paris, et dans celui des frères Haüy à St-Just-en-Chaussée.).
Dès lors, la Société philanthropique, partageant les espérances de Valentin, met à sa disposition une maison, au 8 de la rue Notre-Dame-des-Victoires, pour installer une école, où douze jeunes aveugles sont admis.

En 1786, Valentin Haüy publie un Essai sur l’éducation des aveugles (traduit en anglais en 1795). Il fait une démonstration de son enseignement devant la Cour, à Versailles, avec ses élèves, le 26 décembre, à la suite de laquelle Louis XVI décide de prendre son établissement sous sa protection.
Au début de la Révolution, l’Assemblée nationale ordonne, le 21 juillet 1791, la réunion des sourds-muets et des aveugles au couvent des Célestins (aujourd’hui caserne de la garde républicaine, boulevard Henri-IV, Paris 4e), la prise en charge des frais par l’État et décerne à Valentin Haüy le titre de « Premier instituteur des aveugles ».
En 1794, la maison est transférée à l’Hôpital des Filles Sainte-Catherine, les « catherinettes » (qui se trouvait à l’emplacement actuel du n° 20 de la rue Saint-Denis, Paris 1er). L’année suivante, la Convention, revenant sur la solution inopportune adoptée en 1791, sépare les sourds-muets et les aveugles et vote la loi du 28 juillet 1795 (10 thermidor an III) créant l' » Institut national des aveugles travailleurs « , placé sous la direction de Valentin Haüy (Aujourd’hui, l’Institut (d’enseignement) des jeunes aveugles est installé 56, boulevard des Invalides, Paris 7e, dans les bâtiments construits par Philippon et inaugurés en 1844. Le fronton représente Valentin Haüy, inspiré par la Charité et instruisant des aveugles, par François Jouffroy (1843). Dans la cour d’honneur se trouve une statue en pierre de Valentin Haüy avec François Lesueur, par B. de La Tronchère, inaugurée en 1861 par Napoléon III (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 270).). Mais, en fait, celui-ci ne sera pas un bon administrateur (sa gestion n’était pas à la hauteur de sa générosité).

Sur le plan politique, Valentin avait nettement pris parti pour la Révolution. En 1793, il avait été élu secrétaire du comité révolutionnaire de l’Arsenal, ce qui lui avait permis d’obtenir la libération de l’abbé Sicard (1742-1822), le continuateur de l’abbé de l’Épée. Cependant, à la suite d’une dénonciation, il est arrêté, puis libéré.
Sous le Directoire, Valentin Haüy est l’un des premiers adeptes de la Théophilanthropie (amour de Dieu et des hommes), une nouvelle religion fondée le 16 décembre 1796, à l’ex-chapelle de Sainte-Catherine. Soutenue par le directeur La Révellière-Lépaux, le ministre de l’Intérieur Sotin de la Coindière et par les Idéologues, la secte obtient l’autorisation d’exercer son culte dans certaines églises de Paris, le jour du décadi. C’est ainsi que Valentin Haüy va officier, le 15 janvier 1797, à l’ancienne église Saint-Sulpice devenue Temple de la Victoire, en robe blanche, tunique bleu ciel et ceinture rose. Que devait en penser l’abbé Haüy, son frère ? Mais l’exercice de ce culte fut de courte durée. Après le Concordat, Bonaparte Premier Consul, l’interdit par arrêté du 4 octobre 1801 (12 vendémiaire an X).
Peu après, Chaptal, ministre de l’Intérieur, rattache l’institution de Valentin Haüy (sise à l’Hôpital des catherinettes) à l’Hospice des Quinze-Vingts (rue de Charenton, à Paris 12e, ancienne caserne des Mousquetaires Noirs), par souci d’économie. Malgré ses protestations, Valentin Haüy est mis à la retraite anticipée le 12 février 1802 et, à cette occasion, le Premier Consul lui fait remettre une montre en or (que l’on peut voir au Musée Valentin Haüy, 5, rue Duroc, Paris 7e).
Valentin ouvre alors un établissement privé, le Muséum des Aveugles, rue Sainte-Avoye (Paris 3e), sans grand succès.

Des promesses lui ayant été faites par le général Hitrowo, au nom du tsar Alexandre Ier, Valentin quitte la France au début de 1806 (avec sa femme et son fils) pour Saint-Pétersbourg, où il est chargé d’organiser une école pour les aveugles.
Lors de son passage en Prusse, il est reçu par le roi Frédéric-Guillaume III, qui lui offre une boîte ornée de diamants et ordonne la création d’une école pour les aveugles, à Steglitz, près de Berlin.
En Russie, Valentin a de mauvais rapports avec son adjoint Bouchoueff, il se heurte à l’hostilité des Russes et à l’inertie de l’administration (« Il n’y a pas d’aveugles en Russie ! »). Cependant, le tsar Alexandre Ier lui accorde la 4e classe de l’ordre de Saint-Wladimir.
En 1817, il rentre en France (sa femme, pour cause de mésentente, et son fils restent en Russie). Il demande à Louis XVIII sa réintégration à la direction de l’Institut des aveugles, en vain. Sans ressources, il est hébergé chez son frère, l’abbé René-Just Haüy, au Muséum.
Il ne reverra son école que le 21 août 1821 (elle est alors installée au séminaire Saint-Firmin, au coin de la rue St-Victor et de l’actuelle rue des Écoles, à l’emplacement du bureau de poste n° 60), où il est reçu solennellement (L’un des élèves, Louis Braille (1809-1852), admis à l’Institut des jeunes aveugles en 1819, inventera en 1829, une méthode nouvelle de lecture et d’écriture au moyen de points en relief (alphabet Braille), qui est aujourd’hui adoptée universellement (voir Historia, n° 146).). Malade, devenu grabataire, Valentin Haüy meurt chez son frère, six mois plus tard, le 18mars 1822, à 77 ans. Ses obsèques sont célébrées à l’église Saint-Médard, la messe est chantée par les aveugles, et il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, 60e division, chemin de Gosselin, 2e ligne (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, p. 312).
Valentin Haüy avait épousé, en 1774, Élisabeth-Victoire Vaillard, dont il eut deux filles, puis, après son veuvage, en 1791, Louise-Marguerite Allain, dont il eut un fils, Philodème (Paris, 1792-Aix-en-Provence, 1856) qui, devenu ingénieur, épousera en 1820, en Russie, la marquise de Fortville.

Le nom de Valentin Haüy, l’éducateur des aveugles, a été donné à une rue de Paris (15e) ouverte en 1900.

Sources

• Documentation de l’Association Valentin Haüy pour le bien des aveugles, créée en 1889, reconnue d’utilité publique en 1891, 5, rue Duroc, Paris 7e;
• Michaud, Biographie universelle, t.18, p. 582;
• Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, t. 17, p. 776;
• Histoire et dictionnaire de la Révolution française, p. 871;
• Histoire et dictionnaire du Consulat et de l’Empire, p. 829;
• Dictionnaire Napoléon, p. 866 (J. Jourquin);
• Pierre Henri, La vie et l’oeuvre de Valentin Haüy, PUF, 1984;
• Zina Weygand, Le temps des fondateurs (1784-1844), brochure de l’Institut national des jeunes aveugles.

Marc Allégret
Décembre 1999
Biographie parue originellement dans la Revue du Souvenir Napoléonien n° 421 (Déc-janv. 1999), p. 89-90

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