Cette œuvre de belle facture a été commandée à Milan lors du séjour qu’y effectua, en mai 1797, le général Bonaparte, chef de l’armée d’Italie. De style néo-classique, elle le représente à l’antique. La ressemblance est vérifiée par plusieurs comparaisons avec des représentations de l’époque, qu’il s’agisse de peintures, gravures ou médaillons. En marbre de Carrare, le buste est le fruit d’une rencontre. Comme le révèle une archive, il fut ordonné par le général lui-même lors d’un dîner du 25 floréal an 5 (14 mai 1797) au palais Serbelloni, dîner en présence du sculpteur Franchi et de trois astronomes de l’académie de Brera. L’œuvre a été exécutée durant l’été. On la trouve mentionnée dans une lettre du physicien genevois Marc-Auguste Pictet, ami des trois astronomes milanais, adressée à Benjamin Thomson, comte de Rumford, dès novembre de la même année.
Ce buste n’est pas seulement une superbe réalisation artistique. Il a une histoire diplomatique et politique. L’enquête le montre : il été envoyé à la Société des Arts de Genève pour préparer la visite triomphale qu’y réalisa le général Bonaparte les 21 et 22 novembre 1797, quelques mois donc avant l’annexion de la ville. Au cours de ce voyage, l’œuvre fut présentée à la foule et commenté par l’intéressé. Puis, elle a été déposée à la Préfecture du Léman avant d’être vendue, le 31 août 1818, « à un Anglais » demeuré non identifié.
Ce buste de Franchi est la toute première sculpture qui nous reste du général Bonaparte. Fraichement marié, ce dernier n’a pas encore 28 ans. La pièce taillée par Franchi est sans équivalent. Elle ouvre le cycle des innombrables représentations qui, tout au long du XIXe siècle, vont immortaliser le souverain français, qu’elles soient le fait de ses partisans ou de ses plus farouches opposants.
On connaissait avant 1797 de rares portraits peints, comme ceux d’Andrea Appiani ou Jean-Antoine Gros, avec un Bonaparte idéalisé dans la conduite d’opérations militaires, ou des portraits gravés comme celui de Giuseppe Longhi qui le montre de profil, les cheveux noués par un catogan, des compositions toutes réalisées dans le contexte de la campagne d’Italie. Le buste de Giuseppe Franchi est particulièrement original. Il montre le général Bonaparte sous les traits d’un héros à l’antique posant pour son propre mythe. Une figure de gloire aux allures de demi-dieu : elle incarne une ambition conquérante sur le point de s’étendre à toute l’Europe.
Inscription : Jos: Franchi facieb: Mediol: 1797
Jean Hugo Ihl, doctorant en historie des sciences (EHESS Paris)
Olivier Ihl, professeur de sociologie historique (IEP Grenoble)
Septembre 2023
► Pour aller plus loin :
- La notice dans le catalogue de vente de Sotheby’s (juillet 2022 ; en anglais)
- Un article d’Olivier Ihl : « Bonaparte ou Napoléon ? » dans AOC Media (décembre 2022 ; gratuit sur abonnement par messagerie)