On sait que pendant la cérémonie des funérailles, le 9 mai 1821, les différentes fanfares (militaires et de l’île) jouèrent « un chant funèbre solennel » (Kerr, 1822) tout au long du chemin de Longwood à la vallée (Il serait tentant de croire ce qu’on peut lire dans des mémoires (en réalité partiellement fictifs) de Sainte-Hélène, publiés dans St James’s Magazine, vol III (avril-septembre), 1876, p. 250, qui notent : « Four bands belonging to different corps, playing a solemn dead march, which was composed by William McCarthy, master of the St Helena band (who lives now – 1834- at Woolwich) ». (Quatre fanfares appartenant à différents corps, jouant une marche funèbre solennelle [la pièce de McCarthy n’est cependant pas une marche], laquelle a été composée par William McCarthy, maître de la fanfare de Sainte-Hélène, lequel vit maintenant – 1834 – à Woolwich)). Or, il y avait bien un lieutenant Charles McCarthy (actif 1780-1842) dans le 66e régiment. Catholique, possiblement cousin du chirurgien adjoint du régiment, Walter Henry (auteur de mémoires célèbres), McCarthy fut présenté à Napoléon le 1er septembre 1817. Il faillit perdre son grade pour un imbroglio avec le Gouverneur Lowe en 1818. Son journal très succinct (manuscrit conservé chez « The Rifles Berkshire and Wiltshire Museum », Wiltshire) parle de la mort de « Napoleon Buonaparte le samedi 5 mai à six heures de la soirée » et précise que McCarthy montait la garde sur le tombeau impérial le 20 mai 1821. En revanche, très curieusement, il ne fait aucune référence ni à la musique, ni à la fanfare de Sainte-Hélène, ni à sa partition pour les funérailles. Et la partition ici ne fait référence ni au grade de McCarthy ni à son régiment. Y-avait-il deux Charles McCarthy, un militaire et l’autre musicien ?
« Coïncidence ? ça m’étonnerait ! »
Il y a aussi un autre problème de taille concernant cette affaire d’identification. La partition mentionnée par Chaplin appartenait à une « Miss Owen » en 1916, qui résidait au Royaume-Uni, mais la partition que l’on connaît aujourd’hui se trouve à Paris, parmi les papiers de Rohan Chabot, qui est célèbre pour sa présence à Sainte-Hélène lors de l’exhumation de la dépouille de Napoléon en 1840. On trouve dans ses documents une autre partition musicale, celle de 1840, qu’il a vraisemblablement reçue à cette époque sur l’île. Il se trouve que Chaplin, dans son Who’s who, fait référence à une autre dame appelée « Owen », Mme Owen de Beckenham, dernière survivante de ceux qui avaient assisté aux funérailles de Napoléon le 9 mai 1821. Cette femme, morte en 1916 à l’âge de 95 ans à Tooting (Londres), était née à Sainte-Hélène le 26 janvier 1821. Elle était la fille du capitaine James Bennett du St. Helena Foot Regiment, qui vivait à « Chubbs Springs », non loin des Briars. Bien qu’elle n’avait que trois mois et demi au moment de la mort de Napoléon, son père tenait à ce que tous ses enfants puissent dire qu’ils avaient assisté aux funérailles de l’Empereur, et c’est pourquoi Mme Owen, alors qu’elle n’était qu’un nourrisson, avait été emmenée à la cérémonie. Naturellement, elle ne se souvint pas de l’événement. Mais, Mme Owen assista également à l’exhumation en 1840, et elle était l’une des femmes qui travaillèrent sur le drapeau tricolore en soie chinoise qui fut déployé lorsque la dépouille du grand empereur quitta l’île de Sainte-Hélène. Les autres dames qui s’étaient chargées de cet ouvrage étaient Mlle Mary Gideon, les Mlles Pritchard et les Mlles Hammond.
Le manuscrit conservé à Paris est-il celui qui a appartenu à Mademoiselle Owen en 1916 ? C’est possible puisque la moitié de la famille Rohan Chabot est d’origine irlandaise ou anglophone. Ou bien s’agit-il d’un autre manuscrit, celui que Rohan Chabot aurait récupéré à Sainte-Hélène en 1840 ? À moins qu’un autre manuscrit ne soit découvert, nous ne le saurons jamais.
Peter Hicks, octobre 2021
Peter Hicks est musicien, historien et responsable des affaires internationales à la Fondation Napoléon
► Une partie de ce texte a été publiée dans le catalogue d’exposition Napoléon n’est plus, Paris Gallimard/Musée de l’Armée, p.193.