Cet ensemble de luxe pour jeu de cartes L’Hombre a été identifié comme étant celui évoqué par le docteur de Napoléon à Sainte-Hélène, Barry O’Meara, dans son recueil de conversations avec Napoléon, A voice from St.Helena, et censé avoir été reçu le 9 juillet 1817. Selon le docteur irlandais, l’ensemble avait été commandé par Lord Elphinstone afin de l’envoyer à l’Empereur qui avait sauvé de la mort son frère, grièvement blessé et fait prisonnier la veille de Waterloo*.
Le Jeu de l’Hombre est un jeu de cartes à trois joueurs, opposant habituellement un joueur masculin (L’Hombre) à deux joueuses. Inventé en Espagne au XVIIe siècle, très en vogue au XVIIIe siècle, il est reconnu comme étant l’ancêtre du bridge. (L’Académie des jeux anciens est un des sites internet présentant les règles complexes de L’Hombre).
L’ensemble pour jouer parvenu jusqu’à nous, est constitué d’un coffret, quatre boîtes et douze petits plateaux (six rectangulaires, six carrés), tous en laque, et de 120 jetons et fiches en nacre. Les cartes de jeu manquent.
Les jetons et fiches sont ciselés, chaque face est illustrée d’une scène de la vie quotidienne et d’éléments figuratifs du monde végétal et animal, se répétant à l’identique. Sur une des faces de chaque pièce, un N surmonté d’une couronne impériale est représenté au centre de la scène.
Les boîtes, plateaux, jetons et fiches devaient parfaitement s’emboîter pour être rangés dans le coffret.
Les plateaux présentés ici sont destinés à recevoir le talon (les cartes restant après distribution), les cartes échangées et les levées remportées. Chaque joueur recevait 20 jetons circulaires et 9 fiches (1 fiche valant 20 jetons). Dans cet ensemble, les jetons et les fiches sont en nacre, et non en ivoire comme décrit par erreur par O’Meara.
D’après O’Meara, Napoléon avait grandement admiré cet assortiment, ainsi que d’autres pièces reçues en cadeaux comme un jeu d’échecs et son échiquier, et deux corbeilles à ouvrage en ivoire ajouré. Napoléon avait exprimé le souhait d’envoyer les deux boîtes à ouvrage à l’impératrice Marie-Louise, le coffret de jeu de cartes à sa mère, et le jeu d’échecs avec son échiquier à son fils. Bien que nous sachions que O’Meara rendit visite à Madame Mère à Rome en décembre 1819, nous ne sommes pas sûr de la date à laquelle la mère de Napoléon reçut effectivement ce coffret. Giulia Gorgone, dans un article paru dans la RNR en 2002**, estime que cela se passa après la mort de Napoléon. L’ensemble réapparut en 1832 à Rome. Le 21 juillet 1832, le comte Anton Prokesch-Osten, un ami proche du fils de Napoléon à Vienne, rendit visite à Madame Mère qui lui remit le coffret de jeu ainsi qu’une boîte contenant des cheveux de Napoléon, destinés au duc de Reichstadt. Mais la mort du fils de Napoléon survenant le jour suivant, le coffret resta finalement entre les mains de la famille Prokesch-Osten, jusqu’en 1934, quand Mussolini l’acheta pour le Museo Napoleonico et sa nouvelle galerie entièrement dédiée au fils de Napoléon.
Par Giulia Gorgone,
(dir. et trad. Peter Hicks, et Irène Delage), mai 2011
Avec l’aimable collaboration et permission du Museo Napoleonico.
Notes :
* Lady Malcolm, épouse du Grand Amiral Sir Pulteney Malcolm, commandant les forces navales britanniques dans l’Atlantique Sud, est célèbre pour son journal sur l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène. Son nom de jeune fille était Elphinstone, famille aristocratique écossaise, elle était la sœur de James (capitaine dans les Hussards) et John (directeur au sein de la Compagnie des Indes Orientales) Elphinstone. Tous trois avaient pour oncle l’amiral Lord Keith, commandant la flotte britannique dans La Manche. L’histoire retient que James Elphinstone fut blessé à Gemappes, la veille de la bataille de Waterloo. Le remarquant, Napoléon demanda à ce que l’on prenne soin de lui. En signe de gratitude, son frère John, alors diplomate à Bombay, commanda et fit envoyer à Napoléon à Sainte-Hélène ce magnifique coffret de jeu, ainsi que deux corbeilles à ouvrage et un jeu d’échec et son échiquier. Malheureusement, le journal de Lady Malcom s’arrête au 3 juillet 1817, ne permettant pas de savoir quand les présents furent reçus. (P. H.)
Source : Jacques Macé, Dictionnaire historique de Sainte-Hélène, Tallandier 2004, s.v., ‘Elphinstone, James et John’ et ‘Malcolm, lady Clementine, née Elphinstone’, p. 206, 303-4.
** Giulia Gorgone, « Da Sant’Elena a Roma: storia di un jeu de l’hombre », RNR Rivista Napoleonica, 2/2001, « Gioco, società in Europa e in Italia fra Sette et Ottocento », numéro sous la direction de Paola Bianchi e Andrea Merlotti, p. 217-221.