Sur les 28 sujets donnés par Napoléon pour orner les assiettes peintes de son célèbre service particulier en porcelaine de Sèvres, 15 concernaient directement l’expédition d’Égypte. Certaines de ces scènes reproduisaient des gravures publiées dans le Voyage dans la haute et la basse Égypte de Vivant Denon, tels que le Miqyâs au Caire, une vue du phare d’Alexandrie ou encore la frégate La Muiron débarquant à Ajaccio en octobre 1799. Denon nous a laissé le témoignage précis de cet épisode qui eut lieu au retour d’Égypte, l’ultime passage du futur Empereur dans son île natale, quelques jours à peine avant d’accoster à Fréjus :
« La Corse enfin nous offrit le premier aspect d’une terre amie : un vent fort nous porta sur Ajaccio ; on envoya un petit bâtiment qui était de conserve chercher des nouvelles de France, et prendre connaissance des croisières ennemies sur nos côtes. Pendant que nous attendions son retour, un coup de vent nous obligea de relâcher dans le golfe, et d’aller mouiller dans la patrie de Bonaparte. On le croyait perdu ; le hasard l’y faisait aborder : rien ne fut si touchant que l’accueil qu’on lui fit ; les canons tiraient de toutes parts ; toute la population était dans des barques et entourait nos bâtiments. Je cherchais partout madame Bonaparte ; je me peignais l’émotion, le trouble, l’étendue du bonheur d’une mère retrouvant tout-à-coup son fils, et quel fils ! Mais lorsque j’appris qu’elle n’était pas à Ajaccio, je ne vis plus dans cette réception si brillante que de l’orgueil et que du bruit, et je me contentai de faire un dessin de cette belle scène ».
Le dessin en question, intitulé Vue d’Ajaccio en Corse et conservé au British Museum à Londres, fut gravé par Giuseppe Pera. C’est cette estampe qui donna le modèle exact au peintre Jean-François Robert pour l’assiette du service particulier de l’Empereur. Or, depuis l’Empire, le titre de l’assiette était erroné. La mémoire de Napoléon ayant peut-être « flanché », il avait en effet demandé qu’on lui peignit une vue de Fréjus « avec une frégate [la Muiron] et deux petits bâtiments qui y arrivent ». Mais c’est bien le passage dans la baie d’Ajaccio qui est ici représenté. Quant à La Muiron, qui permit à Bonaparte de regagner la France, elle fit l’objet d’un véritable culte initié par Napoléon lui-même.
Les gravures réalisées d’après les dessins de Denon effectués lors de l’expédition d’Égypte furent une réelle source d’inspiration pour la manufacture de Sèvres. Outre les assiettes du service particulier de l’Empereur, elles servirent aussi aux scènes peintes des différents cabarets égyptiens livrés à Napoléon ou à Joséphine.
Karine Huguenaud
Juin 2009