Parmi les objets encore subsistants de cet ensemble, cette portière (tapisserie destinée à prendre place devant les portes pour faire obstacle aux courants d’air), tissée aux Gobelins d’après un dessin de Jacques-Louis de La Hamayde de Saint-Ange sur un carton de Jacques Dubois, est sans doute la pièce la plus significative. Elle faisait partie d’une suite de six portières livrée en mai 1811, comprenant quatre sujets allégoriques (la Victoire, la Renommée, le Génie des sciences et des arts, le Génie du commerce et de l’agriculture) et deux sujets héraldiques (les grandes armes du royaume d’Italie et les grandes armes de l’Empire français). Cinq de ces portières ont disparu le 25 mai 1871, lors de l’incendie de la manufacture des Gobelins provoqué par la Commune de Paris, et ne sont plus connues que par les cartons de Dubois. Celle présentée ici a seule échappé à la destruction.
Elle offre comme un condensé de la symbolique impériale. L’écu aux armes de l’Empire, « d’azur à l’aigle à l’antique d’or, empiétant un foudre du même », conforme au modèle fixé par le décret du 10 juillet 1804, est comme serti dans un fantastique décor : l’écu proprement dit est entouré du grand collier de l’ordre de la Légion d’honneur (constitué de seize aigles d’or symbolisant les seize cohortes de la Légion) et timbré d’un heaume surmonté d’une couronne impériale. Il repose sur un manteau pourpre semé d’abeilles d’or, bordé d’une frise de laurier d’or et doublé d’hermines. Le sceptre impérial et la main de justice sont placés en sautoir derrière l’écu. Deux cornes d’abondance chargées de fruits sont disposées sur le devant de la composition, qui s’appuie sur un trophée d’armes et de canons. Le champ de la tapisserie est occupé par un semis d’abeilles d’or sur fond ponceau. La bordure fait alterner les palmes, les abeilles et les chiffres N. L’ensemble fait penser au décor imaginé par Percier et Fontaine pour le dais du trône qui figurait dans la salle du Trône, pièce précédant le grand cabinet.
On reconnaît dans ce foisonnement de symboles la double inspiration du régime napoléonien : néo-antique d’un côté, néo-monarchique, de l’autre. De l’Antiquité gréco-romaine viennent les aigles, les palmes, les trophées, les cornes d’abondance. A l’ancienne monarchie française appartiennent la couronne, le heaume, le sceptre, la main de justice, le manteau héraldique, et jusqu’aux abeilles, tout droit sorties du fameux « trésor de Childéric ». Avec le temps, c’est à cette dernière généalogie symbolique que Napoléon souhaita se rattacher davantage. Le 11 novembre 1812, en pleine retraite de Russie, il annonçait à Cambacérès depuis Smolensk son projet d’organiser dans l’église des Invalides une cérémonie « solennelle et religieuse » où serait prononcé un discours « ayant pour objet de rétablir dans toute sa pureté cette maxime fondamentale de la monarchie : “Le roi ne meurt point en France” ».
Thierry Sarmant, Octobre 2021
Thierry Sarmant, commissaire général de l’exposition Palais disparus de Napoléon et conservateur général du patrimoine et directeur des collections du Mobilier national
► Pour en savoir davantage sur cet objet d’exception, visitez le site du Mobilier national
► Voir également le catalogue d’exposition Palais disparus de Napoléon organisée par le Mobilier national, 15 septembre 2021 – 15 janvier 2022, à la Galerie des Gobelins, dans laquelle cet objet est exposé.