Comme il est de coutume en cette fin de XIXe siècle, surtout dans les pays du Nord de l’Europe, un masque mortuaire fut modelé. Il est l’œuvre du meilleur artiste londonien en cette matière, Domenico Brucciani, installé au 40, Russel Street dans le quartier londonien de Covent Garden. Né en 1815 à Barga, près de Lucques, Brucciani apprit le métier auprès de ses pairs, dans une région célèbre pour l’habilité de ses artisans aux travaux en plâtre. Il vint en Grande-Bretagne vers 1829 dans l’atelier d’un parent déjà installé dans ce pays, atelier dont il prit par la suite la direction. Sa réputation ne cessa de grandir et il devint dans les années 1850-1870, la référence en matière de copies de statues et de masques mortuaires.
Le 11 janvier 1873, 48 heures après que Napoléon III eut rendu son dernier souffle, Signor Brucciani fut appelé à Chislehurst. Un compte rendu paru dans Daily News restitue le choc émotionnel ressenti par l’impératrice Eugénie. Ne pouvant encore croire à la mort de son mari, elle demanda que, conformément à la manière de procéder lorsqu’un moulage du visage est pris du vivant du sujet, deux plumes d’oie soient placées dans les narines avant que le plâtre soit appliqué, afin que la respiration soit possible par le canal vide des pennes. L’empreinte de la « massive moustache » et de la barbiche exigea beaucoup de doigté. Des tirages destinés à la vente furent réalisés le 23 mars 1873 par l’atelier. Leur nombre n’est pas déterminé, tout au moins trente. La réception du masque fut élogieuse, l’empereur y était très ressemblant et ne semblait plus éprouvé de douleurs, endormi dans la paix éternelle [1].
Aucun mystère n’entoure ce plâtre, aucune affabulation, aucune variante, aucun pseudo-complot ne font les délices d’historiens. Seul le lieu de conservation de l’original n’est pas déterminé. Contrairement au buste de son oncle, là encore, les exemplaires sont peu nombreux, tout au plus, note-t-on que l’on peut le contempler au château de Compiègne et au musée Fesch à Ajaccio. Et lorsqu’un exemplaire passe en vente, comme ce fut le cas en 2012 lors de la dispersion de la collection de Jean-Baptiste Franceschini Pietri, un proche du couple impérial, il atteint un « petit » 5 500 euros.
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Le masque mortuaire n’est pas le seul témoignage de ce moment historique. Grâce aux progrès de la photographie, nous avons également un autre souvenir : un cliché de l’empereur Napoléon III sur son lit de mort. Elle nous offre une belle comparaison avec le masque mortuaire. On reconnait facilement l’Empereur avec ses traits, quelques peu creusés similaires à ceux du masque. Sa barbe et sa moustache ne semblent pas autant peignées que sur le plâtre, où elles apparaissent presque en pointe, dite en guidon, comme Napoléon III avait l’habitude de la porter. En revanche, ses cheveux, presque blancs, sont plaqués sur les deux représentations. Inévitablement, la photographie nous offre plus de détails que le masque mortuaire. L’empereur est allongé sur son lit de mort, on distingue presque la décoration de sa chambre à Chislehurst en arrière-plan. Les photographes ont choisi de prendre leur cliché de Napoléon III de profil et à mi-corps. Il porte une chemise blanche et son corps est recouvert de draps blancs. Ces pièces textiles offrent un contraste avec le visage de l’empereur ainsi que les objets qui sont placés sur son torse. De façon assez attendue, on y retrouve un crucifix, mais on distingue également trois fleurs. Les identifier avec certitude nous parait délicat, mais après étude notamment des feuilles, il pourrait s’agir de roses et de violettes, symbole de l’amour et du bonapartisme.
Réalisée dans les heures qui suivent le décès de Napoléon III, cette photographie est l’œuvre des deux frères W. & D. Downey, photographes officiels de sa majesté la reine Victoria et de ses proches. Après avoir réalisé les portraits de la reine, ils se voient confier la mission de photographier chaque parlementaire en 1863. Depuis 1872, ils disposent d’un studio photo à Londres et recevront un mandat royal à partir de 1879. L’entreprise familiale perdure jusqu’au milieu du XXe siècle.
Au sujet de la photographie qui nous intéresse, les frères Downey connaissent un grand succès grâce à ce cliché qui sera abondamment reproduit et dans des formats divers. L’un des exemplaires est conservé dans les collections royales du Royaume-Uni ; il est probable qu’il corresponde à l’original de la photographie. Cette dernière sert également d’illustration pour un article du journal Illustrated London News du 25 janvier 1873. Les photographes avaient alors accepté qu’une gravure soit réalisée à partir de la photo originale.
[1] Ces informations proviennent du travail de Rebecca Wade, Domenico Brucciani end the formatori of 19th-century Britain, New-York, Bloomsbury Visula Arts, 2019, p. 86-90.
Élodie Lefort et Chantal Prévot
Décembre 2022
Élodie Lefort est responsable des collections de la Fondation Napoléon et Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon.