Ce monument aux morts de 1870 a été créé et inauguré le 7 juillet 1907 sur un emplacement offert par la commune de Figeac. Une subvention de la commune lotoise a été associée à une souscription publique lancée par la Société des anciens combattants pour le financer. L’État, via le ministère des Beaux-Arts, a quant à lui accordé une autre subvention, de 6 000 francs, pour aider à sa création.
Le monument est composé d’un groupe sculpté et d’un bas-relief en bronze, d’un piédestal en pierre calcaire et de plaques de marbre faisant la liste des morts de l’arrondissement de Figeac durant la guerre de 1870.
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L’illustration d’une mort glorieuse
Il est dédié au capitaine Pierre Auguste Anglade (1835-1870), natif de Figeac, fils de marchand plutôt fortuné et ancien élève de l’école spéciale impériale de Saint-Cyr. Anglade, lieutenant quand débute la guerre de 1870, s’est illustré durant la campagne d’Italie de 1859 et a reçu les médailles d’Italie et de la valeur militaire de Sardaigne. Resté 6 ans par la suite en garnison de Limoges, il semble s’ennuyer puisqu’il demande à permuter avec un officier, pourtant de grade inférieur, pour être intégré au 2e régiment de tirailleurs algériens (On surnomme les tirailleurs algériens les « Turcos ») de Mostaganem. C’est au sein de ce régiment de tirailleurs algériens, intégré à l’armée du Rhin, qu’il périt avec ses hommes, dans une lutte ultime contre les Bavarois, à la baïonnette et à son initiative, lors de la bataille de Frœschwiller-Wœrth/Reichshoffen, le 6 août 1870.
Sa nomination au grade de capitaine avait eu lieu deux jours avant ; il ne l’aura jamais su.
► Lire un récit détaillé de l’affrontement et de la mort du capitaine Anglade (article de Jean-Pierre Baux paru dans Le Casoar, revue trimestrielle des élèves et anciens élèves de Saint-Cyr, n° 185, avril 2007, repris sur le site web quercy.net)
Le monument de Figeac porte donc une inscription rappelant ces hauts faits : on peut lire au-dessus du relief qui accompagne le groupe de bronze « MORT HÉROIQUE / DU CAPITAINE AUGUSTE ANGLADE / BATAILLE DE WOERTH / LE 6 AOUT 1870 ». Son bas-relief immortalise l’épisode sanglant de la dernière charge menée par le capitaine Anglade.
► Voir la tombe collective avec croix marquée et dédicace à Pierre Auguste Anglade et ses hommes à Woerth. Elle contient les corps du capitaine, de vingt de ses hommes et de cinq allemands. Une inscription y est apposée : AUX / BRAVES TURCOS / ICI REPOSE MON FILS / P. AUGUSTE ANGLADE / CAPITAINE DE TURCOS / MORT AU CHAMP / D’HONNEUR / LE 6 AOUT 1870 / À L’AGE / DE 34 ANS.
Le monument aux morts de Figeac n’évoque pas pour autant un unique individu s’étant illustré durant le conflit.
Un monument collectif
La frise qui entoure ce groupe souligne cet aspect collectif : « Glorification aux enfants de l’arrondissement morts pour LA PATRIE / 1870-1871 ». ► Voir la liste des morts pour la France dans l’arrondissement de Figeac présente sur les plaques de marbre du monument.
À la droite du capitaine se trouve un garde national mobile en position de tir. Il représente Albert Delpech, Figeacois lui aussi décédé mais après la chute de l’Empire, lorsque le gouvernement provisoire fait appel à la Garde mobile pour poursuivre le conflit franco-prussien.
Le groupe représente également un tirailleur qui tient fermement le drapeau et évoque le sergent Abd el-Kadder ben Dekkish. Ce dernier a contribué à ce que cet étendard ne tombe pas aux mains des Bavarois. Sa représentation rend hommage aux hommes qui ont péri en même temps qu’Anglade.
L’artilleur, le seul dont la mort est mise en scène, complète cet ensemble et représente l’ensemble des soldats défunts durant cette guerre, qu’ils soient du pays lotois, français ou algériens, engagés sous l’Empire ou la République.
Le bas-relief porte quant à lui les noms du sculpteur Auguste Seysses (1862-1946) et du fondeur Joseph Malesset.
Des créateurs marqués par la guerre de 1870
Joseph Malesset est un multi-entrepreneur et homme public de la Belle Époque : il fait fortune grâce à une usine d’appareils à eau de seltz et s’est illustré dans la vie publique jusqu’à être fait officier de la Légion d’honneur en 1906 mais également officier de l’Instruction publique et du Mérite agricole. Il a exercé les fonctions de juge au Tribunal de Commerce de la Seine, conseiller du Commerce extérieur et il est membre du Conseil supérieur des Colonies. Investissant dans la fonderie industrielle comme d’art, son implication dans la création de ce monument relève du patriotisme chevronné qui l’anime.
Auguste Seysses, le sculpteur toulousain du monument, est quant à lui élève d’Alexandre Falguière, lui-même élève d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse et de François Jouffroy, deux grands sculpteurs du Second Empire. Il est connu pour avoir collaboré avec Alphonse Mucha. Sa carrière connaît un tournant durant l’Exposition universelle de 1900 où son Retour est très remarqué. Son plâtre du monument aux morts de Figeac, exposé en 1906, atteint un grand succès lors du Salon de la Société des artistes français.
Lorsque la guerre de 1870 éclate, Seysses a huit ans et ne manque pas d’être marqué par le conflit, à l’image de son maître Falguière. Ce dernier a sculpté sur ce thème dès 1874 son allégorie La Suisse accueille l’armée française, rappelant le terrible internement de l’armée du Rhin en Suisse, après désarmement et dans l’attente que son sort soit fixé par les négociations entre Prussiens et Français. Seysses ne s’en tiendra pas à la guerre de 1870 et exprimera sa dévotion aux morts pour la France en sculptant le monument qui leur est dédié à Toulouse, place des Minimes. ► Autres sculptures monumentales de Seysses
À l’issue de la guerre franco-prussienne, cet élan artistique s’illustre durablement dans toute la France pour porter le sentiment patriotique populaire d’une lutte glorieuse en 1870 et 1871 à travers le pays. Les érections locales et spontanées, soutenues par l’État, de tels monuments aux morts en sont l’un des témoignages les plus flagrants. La IIIe République prolongera cette ferveur grâce à l’encadrement des inaugurations puis commémorations dont ces lieux de recueillement feront l’objet, ainsi qu’en organisant l’entretien des cimetières militaires aux tombes individualisées qui remplacent les fosses communes dès la promulgation d’une loi en 1873.
Ce monument s’inscrit dans une place concentrant des siècles d’histoire de la ville. Le monument aux morts de 1870 de Figeac est sur l’emplacement du cloître de l’église Saint-Sauveur toujours existante, vestige de l’abbaye médiévale. Détruit par la Révolution, cet espace monastique est renommé place de la Raison, son nom actuel. En 1833, un premier monument y a été érigé, à la mémoire d’un autre natif de Figeac : Jean-François Champollion (1790-1832), père de l’Égyptologie… nourri par les relevés scientifiques de la campagne d’Égypte de 1798-1799 grâce à Bonaparte.
Marie de Bruchard, avril 2020
► Regarder notre série de 5 vidéos sur la guerre de 1870-1871, avec Eric Anceau, historien, maître de conférences HDR, Sorbonne Université Paris (2020).
Sur les monuments aux morts de la guerre de 1870
► Les racines d’une commémoration : les fêtes de la Revanche et les inaugurations de monuments aux morts de 1870 en France (1871-1914), Rémi Dalisson, Revue historique des Armées n°274, 2014 (Merci à M. Michel Kerautret pour l’indication de cette source)
► Témoins d’une guerre oubliée : les monuments commémoratifs de 1870-71 en Haute-Normandie, Jean-Pierre Chaline, Études Normandes, Année 2009 58-1
► Double peine des monuments aux morts disparus, Jean-François Lecaillon, Blog Mémoire d’Histoire, février 2018
► Article listant les monuments aux morts de la guerre de 1870 en France, Wikipedia
Autres sources (que celles citées au sein de l’article)
► Le monument aux morts de la guerre de 1870 de Figeac sur le site du Musée d’Orsay « À nos grands hommes »
► Les monuments aux morts France – Belgique – Autres pays, base de recensement créée par le Laboratoire UMR CNRS IRHiS Institut de Recherches Historiques du Septentrion Université de Lille
► Éléments biographiques sur Auguste Seysses sur le site Internet nelle-buscot.com
► Éléments biographiques sur Joseph Malesset sur le site Internet de la Galerie Heim