Napoléon s’éveillant à l’immortalité

Artiste(s) : Rude François
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Napoléon s’éveillant à l’immortalité
© Wikipedia

Exécuté par le sculpteur François Rude, ce bronze – également intitulé Le réveil de Napoléon – a été commandé au début des années 1840 par Claude Noisot, ancien grenadier-à-pied puis capitaine de la Vieille Garde. Le militaire était un fervent fidèle de l’Empereur, et avait participé aux campagnes d’Allemagne et d’Espagne en 1809, de Russie en 1812, d’Allemagne en 1813 et de France en 1814. Il avait tenu à accompagner Napoléon Ier en exil à Elbe puis, tout naturellement, avait soutenu son retour lors des Cent-Jours. Sa carrière militaire prit fin avec la défaite de Waterloo mais sa dévotion pour le souverain déchu ne s’arrêta pas pour autant.

Mis un temps à l’écart sous la Restauration, Claude Noisot prit sa retraite en 1835 et se consacra à l’œuvre de sa vie : la création d’un musée et d’un parc dédiés à Napoléon Ier, avec archives et reliques du Premier Empire. Il installa ce domaine en Côte-d’Or, dans la commune de Fixin, et fit bâtir un édifice pour abriter le musée, véritable réplique du palais d’I Mulini, à Elbe. Noisot fit également tailler un escalier de cent marches sur son terrain pour rappeler l’épopée des Cent-Jours. Le retour des Cendres en 1840 inspira sans doute l’idée à Noisot de créer une statue de bronze à l’effigie de l’Empereur pour prolonger la symbolique de son sanctuaire napoléonien en Bourgogne.

Loin des œuvres présentant l’Empereur malade et tourmenté par l’ennui de la réclusion, la statue de Rude va à contre-courant de l’imagerie habituelle liée à Sainte-Hélène. Napoléon n’y est pas mourant mais mort – victorieux sur la mort qui plus est – puisqu’en voie de résurrection. Cette résonance avec la résurrection de Lazare dans le Nouveau Testament et avec le Jugement dernier s’exprime cependant en l’absence de toute symbolique chrétienne, avec pour seul cadre un concept abstrait non figuré de l’immortalité : Napoléon, les yeux encore clos par le sommeil censé être éternel, est ici le seul magicien thaumaturge de son retour à la vie.

Cette sculpture fait également référence à l’Antiquité : la position semi-couchée de Napoléon n’est pas sans rappeler les sarcophages funéraires étrusques. L’aigle, symbole impérial ici terrassé et à demi-couvert par le linceul que Napoléon retire, allié à la présence d’une chaîne qui semble brisée pour permettre à l’Empereur de se redresser, font écho au mythe de Prométhée. Le titan avait été puni par Zeus pour avoir donné le feu sacré de l’Olympe aux hommes et condamné à être enchaîné au Caucase pour se faire dévorer le foie éternellement par un aigle. Napoléon est ici un anti-Prométhée qui se libère. Aucun dieu, aucune prison ne peut arrêter sa légende immortelle : l’aigle, prisonnier de Sainte-Hélène (publicité de 1901), peut désormais renaître comme le phœnix.

François Rude exprima dans cette œuvre son propre attachement à l’Empire. Élève de l’école des beaux-arts en 1809 puis Prix de Rome en 1812, il fuit la Restauration et s’installa en Belgique jusqu’en 1827, date à laquelle il retourna à Paris. Son art est influencé par le néoclassicisme qu’on retrouve dans les inspirations mythologiques du Réveil de Napoléon ; la posture et le message dégagés par son oeuvre en bronze font néanmoins penser au romantisme naissant dont il a été un pionnier.

Cette statue a été inaugurée le 19 septembre 1847. Le Prince Président Louis-Napoléon Bonaparte fit le voyage à Fixin  le 13 août 1850, l’avant veille de la Saint Napoléon. L’aigle impérial déchu à la serre crispée, bec entrouvert et à l’aile brisée au pied de Napoléon ne plut pas au futur Napoléon III : il l’interpréta comme l’ interdiction d’une renaissance de l’empire alors qu’elle était son ambition secrète.
Un modèle en plâtre de ce monument est visible au musée du Louvre.

Marie de Bruchard, décembre 2015

Compléments bibliographiques proposés par Mme Claude Collard,  conservatrice générale honoraire des bibliothèques

Disponibles sur Gallica :
– Notice sur le monument élevé à Napoléon à Fixin (Côte-d’Or), le 19 septembre 1847, par MM. Rude et Noisot, et sur le banquet donné à Dijon le 21 du même mois , publiée par la commission du banquet .
NUMM-5667935
– Trullard Jacques, La résurrection de Napoléon : statue érigée par MM. Noisot, grenadier de l’Ile d’Elbe, et Rude, statuaire, à Fixin (Côte-d’Or)  Dijon : Guasco-Jobard, 1847.
NUMM6527412
– de Fourcaud, Louis  François Rude, sculpteur. Ses œuvres et son temps (1784-1855), Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, 1904, 538 p.
NUMM-6473523
– Théophile Silvestre  Histoire des artistes vivants, français et étrangers, peintres, sculpteurs, architectes, graveurs, photographes, Paris : E. Blanchard, 1853
NUMM-5727573
À la BnF :
– Tillier  Bertrand  Napoléon, Rude et Noisot : histoire d’un monument d’outre-tombe, Paris : les Éd. de l’Amateur, 2012
À la bibliothèque de recherche de la BnF :
Bois Maurice, Un soldat de Napoléon Ier. Noisot sous-adjudant major du bataillon de l’île d’Elbe, Paris, P. Sevin et E. Rey, 1900
Violle James, Collot Augustin, Noisot grenadier de l’île d’Elbe et vigneron de Fixin, Dijon, Bernigaud et Privat impr., 1947

Claude Collard, mai 2017

Date :
1842
Technique :
Bronze
Dimensions :
H = 2,15 m, L = 1,95 m, P = 0,96 m
Lieux de conservation :
Parc du Musée Noisot, Fixin (Côte-d'Or)
Crédits :
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