De sa jeunesse à sa mort, Napoléon fut un grand liseur, bien qu’il ne fût pas bibliophile au sens artistique du terme. Les livres étaient pour lui des auxiliaires utiles et non pas des amis. Il fit réunir plus de 60 000 ouvrages dans les bibliothèques de ses palais (Tuileries, Fontainebleau, etc.) et sa bibliothèque était toujours située près de son cabinet de travail. Il emporta à Sainte-Hélène un peu moins de 600 ouvrages qui, complétés par divers moyens, étaient devenus plus de 3500 en 1821.
L’écrivain Arnault (1766-1834), relation de Bonaparte, avait été chargé de constituer une bibliothèque de voyage pour l’expédition d’Égypte. Selon la mention autographe sur la page de garde du tome 1 de l’ouvrage présenté ici, il fit parvenir ses œuvres à Sainte-Hélène, au moment où le docteur Antommarchi s’y rendit en 1819, mais sans dire expressément qu’il les lui avait remis. Or on sait par le mameluck Ali, bibliothécaire, (inédit) que plus d’une centaine de volumes furent convoyés par l’abbé Buonavita qu’accompagnait Antommarchi.
Le timbre humide et l’inscription l’Empereur Napoléon de la main d’Ali sur la page de titre sont les marques usuelles de la bibliothèque de Longwood. La reliure aux armes pose quelques questions. Comme il ne peut s’agir, vu la date de publication, d’un exemplaire offert antérieurement à Arnault par l’Empereur, il faut supposer que la reliure (Simier ? d’après le décor) a été réalisée postérieurement à la demande de l’auteur-donateur. Supposition accréditée par la présence du fer poussé au pied du dos « Bibliothèque de S. Hélène », inexistant à Longwood évidemment, mais qui se voit sur des exemplaires rapportés de Longwood, soit sur le dos, soit sur le premier plat, et dont les propriétaires ont voulu solenniser la provenance.
Quand à l’indication, encore par Arnault, que l’ouvrage lui a été « rendu » par Montholon, on peut préciser que Napoléon, peu soucieux de la valeur des livres, n’avait réglé que le sort de 400 d’entre eux, parmi ceux qui ont le plus servi à mon usage à remettre à son fils par Ali. Ce qui ne put se faire, et ils furent attribués plus tard à la famille Bonaparte. Parmi les autres, un certain nombre fut partagé entre les compagnons de l’exil.
Jacques Jourquin, février 2005
Vice-président de l’Institut Napoléon, ancien directeur de la Revue du Souvenir napoléonien