Napoléon n’était pas l’inventeur de cette tenue que portaient déjà les officiers d’infanterie sous l’Ancien Régime et pendant la Révolution pour se protéger du froid et des intempéries, sauf que là c’était l’Empereur lui-même qui en était revêtu ! L’ampleur de la coupe lui permettait de l’enfiler par-dessus son uniforme et de pouvoir ainsi garder ses épaulettes qu’il rabattait sur sa poitrine.
L’histoire de ces redingotes, appelées également capotes, est assez bien connue. Elles furent livrées d’abord par le tailleur Chevallier que remplaça en 1812 son confrère Lejeune. Si la plupart étaient grises, quelques-unes pouvaient être de couleur bleue ou verte. Elles étaient faites le plus souvent en drap de Louviers et étaient doublées de soie grise.
Les Archives nationales conservent nombre de factures concernant les livraisons dont les premières traces remontent à octobre 1804 ; d’abord facturées 200 francs, on les voit passer à 190 francs en 1808 et Lejeune ne les facture plus que 160 francs dès 1813 (A titre de comparaison, un journalier gagnait alors de 1 franc à 1,50 franc par jour !). Par ces différents mémoires on sait que chaque redingote nécessitait deux aunes et demi de drap gris, soit près de 3 mètres, trois aunes de croisé pour la doublure, environ 3,50 mètres, et de la toile de coton pour les poches.
Les livraisons se succèdent alors en fonction des besoins : à celle livrée en octobre 1804 s’ajoutent quatre autres en août 1805 pour se rendre au camp de Boulogne, puis cinq au début de 1809, quatre en 1813 dont une verte facturée 180 francs, deux pendant les Cent Jours et une dernière livrée en juin 1815 juste avant de partir pour Waterloo.
Lorsqu’on remplaça en 1811 le Grand Maître de la garde-robe, le comte de Rémusat, par le comte de Turenne, on en profita pour réglementer les livraisons ; il fut décidé que deux redingotes, l’une grise et l’autre de couleur, seraient livrées le 1er octobre de chaque année afin que le complet soit de six redingotes sans que la couleur en soit précisée ; elles devaient durer trois ans.
La campagne de Russie mit à mal cette belle organisation, trois furent brûlées et Lejeune en livra une tout à fait exceptionnelle à cette époque car elle était ouatée et garnie de chinchilla afin que l’Empereur puisse se protéger du froid.
Que subsiste-t-il de toutes ces livraisons ? Dans l’état du mobilier dressé à Sainte-Hélène le 5 mai 1821 par le valet de chambre de l’Empereur, Louis Marchand, il restait seulement « deux redingotes grises et une verte ». Tirées au sort après la mort de l’Empereur, l’une des deux redingotes grises échut au grand maréchal du Palais, Henri-Gatien Bertrand, puis passa à sa belle-fille la vicomtesse Bertrand morte sans postérité en 1885 ; c’est par elle qu’elle entra dans les collections de la famille impériale et elle fut donnée à l’Etat français en 1979 par LL. AA. II. le prince Napoléon et sa sœur la princesse Marie-Clotilde comtesse de Witt (musée de Fontainebleau, N 263).
La seconde redingote grise échut en partage en 1836 après la mort de Madame Mère à la comtesse Camerata, fille d’Elisa, l’ancienne grande-duchesse de Toscane ; comme elle ne figure pas dans la liste des œuvres qu’elle vendit en 1854 à son cousin Napoléon III, on peut supposer, qu’étant considérée comme une relique, elle lui en fit don et qu’il s’agit de celle que l’Empereur remit la même année au musée des Souverains où elle figurait sous le numéro 220 ; elle passa par cession en 1891 au musée d’Artillerie, devenu l’actuel musée de l’Armée (Inv. Ca. 16).
Lors du partage de 1836, la redingote verte échut à l’ancien roi Joseph et fut donnée à l’État en 1979 avec la redingote grise (actuellement au musée de Fontainebleau).
Bernard Chevallier
Juin 2021
Bernard Chevallier est conservateur général du Patrimoine et ancien directeur du Musée national des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau ; il est co-commissaire de l’exposition Napoléon présentée du 28 mai au 19 décembre 2021 à la grande halle de La Villette, où la redingote figure.